Stériles ou pas ?
Abonné de la première heure à votre revue, je chasse depuis très longtemps le grand gibier, avec un attrait particulier pour l’affût. Au cours de mes expériences, j’ai souvent été témoin de tirs de laies que je suppose stériles. En effet, une laie de 40 kg qui n’est pas pleine, et qui n’a jamais eu de petits (allaites invisibles) ne peut, à mon avis, être féconde. Les portées de sangliers étant toujours nombreuses, la probabilité de marcassins atteints de free-martin, phénomène bien connu chez le bétail, doit donc être particulièrement élevée. Sans doute est-ce là une explication ? » Jacques Moufarège, du Liban, par courriel
Le free-martin est une situation où deux faux jumeaux (ovules différents) de sexes opposés sont par voie sanguine connectés dans l’utérus, par l’intermédiaire du placenta. Le corps du foetus femelle se trouve donc irrigué par le sang chargé de testostérone de son frère. La femelle génétique naît alors intersexuée, c’est-à-dire profondément modifiée dans le sens mâle, et se trouve de fait stérile. Ce phénomène touche essentiellement les bovins, mais peut aussi se rencontrer plus rarement chez le mouton, la chèvre ou encore le porc. Afin de répondre à l’interrogation de notre lecteur, nous nous sommes rapprochés de François Magnien, spécialiste incontestable en matière de suidés. Son avis, différent de celui de M. Moufarège, repose sur ses connaissances et observations de l’espèce, mais n’a aucune valeur scientifique, a-t-il tenu à nous préciser. Selon ses sources, les cas de free-martin sont plutôt rarissimes chez le porc, et le sanglier ne devrait donc pas déroger à la règle. Une situation d’autant plus limitée lorsqu’on sait que, chez ce suidé, plusieurs mâles peuvent être pères au sein d’une même portée. Il considère également qu’un poids de 40 kg, pour une laie non pleine, ne suffit pas à justifier une quelconque stérilité. Opportuniste, le sanglier a su adapter son régime alimentaire au monde agricole moderne et se nourrit, une grande partie de l’année, dans les parcelles cultivées (maïs, colza, moutarde…). La femelle atteint donc souvent un poids conséquent avant d’être en âge d’être saillie (environ 12 mois). A contrario, si une laie âgée de plus d’un an n’accuse que 40 kg, c’est probablement parce qu’elle a déjà été gestante au détriment de sa croissance. Enfin, il est difficile de prétendre qu’une femelle n’a pas eu de marcassins, au seul examen des allaites. En effet, chez les jeunes sujets, les tétines se font relativement discrètes dès la fin de la période de lactation. Toujours selon François Magnien, il ne semble pas que le free-martin présente par ailleurs un caractère héréditaire chez le mâle, frère d’une laie éventuellement atteinte. Phénomène qui, quand bien même il existerait, serait de toute façon restreint dans la mesure où plus de 90 % des sangliers n’atteignent pas l’âge de 3 ans. En conclusion, bien qu’il ne réfute aucunement les cas de stérilité chez le suidé, cet expert estime toutefois qu’ils restent peu nombreux. Preuve en est le taux d’accroissement très élevé des populations depuis maintenant une quarantaine d’années.