Paroles de guide : Frank Vannier, le Cameroun en héritage
Fils et père de guide, Frank Vannier intervient depuis plus de trente ans en brousse. Inutile de dire que le Cameroun, sa faune, sa flore sont un peu comme son jardin. Un jardin qu’il souhaite à tout prix préserver, notamment grâce à la chasse. Rencontre avec un passionné. (1re partie)
FRANK VANNIER
Le Cameroun, une histoire familiale…
En effet, la 4e génération prend la relève avec Xavier, mon fils aîné, depuis quatre ans. Mon grand-père maternel arriva le premier au Cameroun à la fin de la Seconde guerre mondiale. Il avait l’âme de ces pionniers qui débarquèrent par bateau, après une traversée de trois longues semaines, au Port de Douala, lui avec sa petite famille dont ma mère. Il travaillait pour une société d’extraction d’or à Bétaré Oya, avant de s’installer quelques années plus tard à son compte sur Ngaoundéré. Mon père arriva en 1956, par le biais du service militaire long de deux ans, en tant qu’ingénieur agricole, formant les populations locales. Ngaoundéré avait une base militaire française. Il y rencontra ma mère et ils se marièrent en 1958.
Quant à la chasse ?
Mon grand-père initia très vite mon père à la grande chasse. Ensemble, ils pérégrinaient régulièrement durant un mois en savane ou en forêt. Puis mon père fit ses premiers pas en guidant quelques safaris par plaisir chez Henri Eyt-Dessus, qui avait son
pyjama et son couvert chez nous lorsqu’il s’arrêtait à Ngaoundéré. Nous avions beaucoup d’affection pour « Tonton Rickey » et buvions ses aventures contées lors de ses joyeux passages. Mon père amodia la zone de Demsa en 1971. J’avais 10 ans.
L’enfance ne dure pas…
Avec mon frère et ma soeur, nous passions toutes nos vacances scolaires au Faro. Ce furent des années joyeuses, dans un univers totalement préservé et sauvage. Des années d’insouciance, assoiffé de découvertes, imprégné de tout ce que la nature et les autochtones m’apprenaient. Le braconnage n’existait pas, seulement un peu de prélèvement autarcique de la part du seul petit village limitrophe. Pas d’orpaillage. Pas d’élevage. Aucune pression humaine. Toutes ces années ont déterminé le fait que je reprenne le fleuron. Je rachetais à mon père la zone de mon enfance en 2002, après avoir amodié mon propre territoire (Kourouk) pendant onze ans.
Embarquons pour le Faro…
La Zic 18 est un petit paradis de 70000 ha, où toute la faune de savane d’Afrique centrale est représentée. Le territoire reste enclavé entre trois rivières principales, dont le mythique Faro, et une chaîne
de montagnes (culminant à 600 m dans la zone et 1800 m hors zone), apportant une diversité de reliefs. Cette topographie préserve de toute pénétration humaine pendant les crues de saison des pluies, période où notre activité est fermée. Le campement est construit en dur au bord d’un site panoramique unique. Environ 250 kilomètres de pistes sont entretenus annuellement.
Une savane riche…
On y rencontre de nombreux éléphants, hippopotames, crocodiles, buffles, élands de Derby, cobs de Buffon, guibs harnachés, ourébis, céphalophes de Grimm et céphalophes à flancs roux.
Les populations d’hippotragues, bubales, cobs defassa, cobs redunca, cobs de montagne Adamawae fulvurola (espèce unique sur le continent), léopards, babouins et autres singes comme les colobes guereza, patas et grivets sont en constante densité. Ces dernières années, nous recensons à la baisse la population de lions et hyènes victimes de l’empoisonnement par les bergers nomades qui sévissent partout en Afrique.
Des raisons à une telle diversité ?
La configuration de la zone, de son relief, les nombreux cours d’eau et les salines naturelles en sont initialement les principales raisons. Mais la pression démographique extérieure, sur nos limites nord et est ont aussi participé à augmenter les cheptels d’éléphants, d’élands de Derby et de buffles, entre autres, qui sont venus se réfugier dans un espace plus tranquille. La rivière Faro a toujours observé une surabondance d’hippopotames et de crocodiles. Sans compter la très riche et diversifiée faune aquatique : perches du Nil, poissons-tigres… (Ndlr : lire encadré p. 100).
Des nuages noirs apparaissent-ils ?
Depuis une vingtaine d’années, nous avons été obligés de commencer à combattre une pression humaine exponentielle due à une démographie elle aussi exponentielle, délaissée par les gouvernances. Les pénétrations sont de trois ordres : les braconniers, les orpailleurs, les bergers nomades. Les premiers sont passés d’un prélèvement autarcique à un braconnage industriel, répondant à la demande recrudescente de viande de brousse des grandes villes mais aussi à la demande chinoise et vietnamienne en ce qui concerne l’ivoire et les os de lion. Les orpailleurs quant à eux envahissent les rivières et leurs abords pour la quête de l’eldorado. Vu le niveau de vie du pays, la moyenne d’or trouvée quotidiennement leur apporte un confort non négligeable. Ils détruisent déjà l’écologie des sites pillés, quand ils n’utilisent pas le mercure… Enfin, les Mbororos, voleurs de pâturage, pour qui la terre appartient à tout le monde (mais étonnamment pas leurs milliers de têtes de bétail), pénètrent sur tous les territoires cynégétiques, propageant des épizooties à la faune sauvage, quand ils n’empoisonnent pas les prédateurs…
Pas simple de faire front… Nous avons dû former des équipes présentes sur le terrain 365 jours sur 365, nécessitant toute une logistique obligatoire. Avec le progrès nous avons recours aux Gps, aux drones, aux moyens de communication rapides avec les administrations adéquates (antenne satellitaire pour internet, WhatsApp). Le système administratif collabore peu, sauf si vous leur offrez une motivation pécuniaire… Ce qui nous oblige à couvrir tous leurs frais de participation : déplacements, frais de procédure, frais d’alimentation des malfrats pendant la procédure,
frais de transport des malfrats, intéressement de toute la chaîne de procédure, etc.
Vous êtes bien seuls…
Nous essayons de parvenir à des accords avec les Ong impliquées dans la préservation qui à l’origine ne pouvaient se passer des administrations étatiques. Aujourd’hui elles nous approchent car elles réalisent le travail de terrain que nous pouvons fournir et surtout les abus de gestion des administrations africaines. On pourrait penser que la sauvegarde implique une néocolonisation du continent africain. Je répondrai que les ressources fauniques africaines et mondiales devraient être considérées comme patrimoine de l’humanité, et protégées par n’importe quels moyens. Paradoxalement, la chasse – qui comme n’importe quel sport pratiqué avec éthique ne nuit en rien à la préservation des espèces, bien au contraire – est le seul moyen de financement de la conservation animale productive. Remercions les chasseurs !