Cosmopolitan (France)

... la mi-saison

-

lMi-soleil mi-frisquet, sweat léger ou bottes fourrées, mon coeur balance.

Par Camille Anseaume

a mi- saison, c’est l’entredeux. Comme entre deux hommes. Le cul entre deux chaises. Un sas de décompress­ion en attendant que la porte s’ouvre en grand. Et que le soleil brille tout- puissant. Une époque où on nous promet 10 °C le matin, 22 °C l’après-midi. C’est bien gentil tout ça, Evelyne Dhéliat, mais ils font comment, ceux qui ne rentrent pas déjeuner chez eux ? Ils doivent faire un choix entre se cailler le matin et crever de chaud l’après-midi. Ce qui revient à peu près, en termes de difficulté­s, à devoir choisir entre ne plus jamais manger de raclette ou être obligée d’en manger tous les jours. Et du coup, dans une foule, la scène est assez irréelle. Les jupes légères côtoient les bonnets en laine, on se fait marcher dessus ici par une bal- lerine et là par des Ugg. Personne n’a l’air sûr de son coup, tout le monde s’observe du coin de l’oeil en se disant qu’il aurait peut-être dû mettre une écharpe en plus, ou une épaisseur en moins. On a tous l’impression d’être la seule personne déguisée dans une soirée pas déguisée. Personne n’est dans le ton, tout le monde le sait, ça a quelque chose de touchant de nous voir si vulnérable­s, et égaux dans nos errances vestimenta­ires.

La terrasse mi-couverte

Tous sauf une, juste en face de moi. Une « femme printemps », ça s’appelle. Il en existe quelques rares spécimens. Elle n’a ni chaud, ni froid, et ce sera pareil cet après-midi. Elle porte des baskets Stan Smith toutterrai­n, un pantalon 7/ 8 et une doudoune réversible. Me voilà donc mi-figue mi-raisin. C’est qu’en robe d’été manches courtes et collant en laine, je sue des genoux et je gèle des avant-bras. Ma collègue se moque de moi. Je lui dis qu’elle ne devrait pas trop faire la maligne, rapport quand même à son col roulé sans manches, car on n’a rien inventé d’aussi idiot depuis le pain de mie sans croûte. Pour le déjeuner, entre collègues, on se met en terrasse. À essayer d’attraper la chaleur du soleil, tout en restant sous le parasol chauffant. La marmotte que j’ai été se sent pousser des ailes. On commande. J’ai envie d’une soupe, mais ce n’est pas vraiment le moment. Et de fraises, mais ce n’est pas encore la saison. Autour, les premiers « Tu fais quoi toi, cet été ? » commencent à tomber, ça fait plaisir et bizarre comme quand on nous demande en septembre ce qu’on fait pour le réveillon.

L’amour léger

Un minuscule coup de vent déclenche quelques éternuemen­ts : on se regarde avec un sourire compatissa­nt, façon « Bon courage à toi aussi pour tes allergies ». « À vos amours », lance le serveur. Tiens oui, ça, c’est de saison. Je vais prendre un peu d’amour, pourvu qu’il vienne, et un risotto aux asperges. Bien crémeux, le risotto, et bien léger, l’amour : un amour de mi-saison, avec qui boire du rosé en terrasse et se demander si ce n’est pas trop tôt pour faire des projets de vacances. Un qui sera une bonne excuse pour reporter à plus tard le grand ménage de printemps, un pour qui mettre des draps tout propres sur une couette légère. Clemenceau disait que le meilleur moment dans l’amour c’est quand on monte l’escalier. Eh oui, le plus beau dans le printemps, c’est d’attendre l’été.

l

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France