Cosmopolitan (France)

GÉNÉRATION CÉLIB

Mais pourquoi galèret-on autant pour rencontrer quelqu’un ? La faute à qui : nous-mêmes, les hommes, la société ?

- Par Sophie Billaud. Photo Nick Onken.

Mais pourquoi galère-t-on autant pour rencontrer quelqu’un ? La faute à qui : nous-mêmes, les hommes, la société ? Par Sophie Billaud.

Q« Quand je me suis retrouvée célib à 27 ans après cinq années de vie de couple, c’était comme débarquer seule à l’autre bout du monde, en étant montrée du doigt… J’étais perdue », raconte Sonia. Des témoignage­s comme celui-ci, Anne Berland en a entendu beaucoup avant d’écrire son livre « Celibadtri­p ». Elle explique ce malaise : « La société passe son temps à nous rappeler que le couple est la norme. Si le célibat était davantage mis en valeur et montré comme un accompliss­ement de soi, on le vivrait mieux. » Aujourd’hui, le célibat des femmes devient matière à réflexion : psys, coachs et sociologue­s s’emparent du phénomène. Le sujet envahit même les rayons des librairies : « 21 clés pour l’amour slow », « C’est décidé, j’arrête d’être célib ! », « Célibatair­e ? Faut pas t’en faire ! »… Chacun apporte sa pierre à l’édifice, étudiant sous tous les angles cette communauté de femmes plutôt trentenair­es, plutôt sympas, mais seules. Les hommes célib, eux, n’ont pas droit à cette réflexion, comme si la société vivait bien mieux de les voir braconner l’élue au coin

d’un bar… Génération célib, on assume. Mais pas d’appartenir à une communauté d’activistes, qui brandit son indépendan­ce comme un étendard et doit sans cesse justifier son bonheur d’être solo. On est juste d’accord sur le fait que ça prend du temps de trouver le bon. Parfois trop. Plus qu’avant ? Sans doute. Et de nous pencher sur les réponses qu’apportent les spécialist­es…

La culture du zapping

Pour Nathalia L. Brignoli, auteure du livre « Le Chaos de la séduction moderne », le développem­ent des applis et sites de rencontre aurait fait perdre à l’amour ses valeurs et sa dimension sacrée. Qu’en pense Adeline, 32 ans, qui fait désormais toutes ses rencontres amoureuses via Tinder ? « On se retrouve autour d’un verre avec les éternelles questions : “Tu fais quoi dans la vie ? T’habites où ? T’es célib depuis quand ?…” Mais je ne suis pas à l’aise. Et si j’étais son deuxième rencard de la soirée ? Et s’il est en couple ? Et s’il cherchait juste un plan cul ? J’ai la désagréabl­e impression de n’être personne. Que ce soit moi ou une autre assise sur cette chaise, ça change quoi pour lui ? » La cause est entendue : sur Tinder, on accepte d’être un produit anonyme. Tout le monde y vient. Et c’est justement cette profusion qui fait peur. « Sans parler de la discordanc­e entre les femmes qui cherchent plus volontiers l’amour, et les hommes qui préfèrent s’amuser », ajoute Nathalia L. Brignoli. Alors on fait quoi ? Il faudrait zapper Happn et Tinder ? « Pourquoi pas ! Au final, personne n’y trouve son compte. Avant, on draguait dans la rue, dans les transports en commun, à une terrasse de café. C’était simple et spontané. C’est ce qu’il faut retrouver pour ne pas passer à côté de belles rencontres. Et si on va sur les sites, il faut être pleinement consciente de ce qu’on y cherche et de ce qu’on y trouve. »

Le bon timing

Pour Fanny, 28 ans, la question du timing est toujours un problème : « Quand je rencontre un mec, soit il sort d’une longue relation et il veut s’amuser, soit il est accablé de travail et n’arrive pas à m’accorder du temps. Et quand lui est dispo et prêt à s’engager, c’est de mon côté que ça coince. Je le trouve trop malléable, pas assez fun… » Pour Fabienne Kraemer, auteure de « 21 clés pour l’amour slow », il faudrait d’abord réfléchir sur soi. « Commençons par nous interroger sur nous-mêmes. Qu’est-ce qu’on attend non pas d’un homme, mais de l’amour ? Nous sommes encombrées par un tas de fantasmes, de films, de pubs, de couples parfaiteme­nt instagramm­és. On place la barre tellement haut que l’homme n’appartient plus à notre cercle proche. Forcément, on ne le trouve pas. Et pourtant, la rencontre ne se fera jamais comme on le pense, ni avec la personne que l’on avait imaginée. C’est la raison pour laquelle il faut rester 100 % ouverte aux surprises, en oubliant les cases à cocher et les fameux “critères”. »

L’héritage des parents divorcés

Sur le sujet, Fabienne Kraemer est claire : « Les parents ont fait n’importe quoi avec l’amour ! » Souvenirs douloureux pour Anna, 27 ans : « Mes parents ont divorcé quand j’avais 13 ans. Je les ai vus se disputer pendant des mois. Ma mère pleurait, mon père partait en claquant la porte, et mon frère et moi étions au milieu de ce cirque. Aujourd’hui, j’ai des doutes sur l’amour toujours. » Près de 45 % des mariages finissent par un divorce. Pas la plus sympa des statistiqu­es. Nos parents ont voulu se différenci­er de leurs propres parents, qui se sont mariés par raison ou devoir, et ils ont finalement divorcé en masse. Pourquoi ? Parce que l’idée du bonheur individuel a supplanté celle du bonheur familial. Qu’on préfère être seule et divorcée plutôt que mal accompagné­e. Notre génération a-t-elle tiré un trait définitif sur la puissance amour ? Non. Heureuseme­nt, il y a Kate et William, Beyoncé et Jay-Z, Céline et René… C’est beau et ça existe aussi au-delà des couples de stars. Mais attention : à nous de redécouvri­r le couple dans sa réalité, pas dans son fantasme.

L’angoisse de la routine

Constat chez tous ceux qui se sont penchés sur la question : notre génération ne sait pas gérer la frustratio­n. C’est une notion qui lui est totalement inconnue. Il faut que tout soit fun, tout le temps. Pour Vanina, 31 ans : « Passé l’excitation des premières semaines, la relation perd de sa superbe et on se retrouve dans un rythme pépère. Je vais chez lui, on dîne, on regarde un film et on va se coucher. On va de temps en temps au resto et au ciné, mais je suis vite déçue… » Anne Berland, l’auteure

de “Celibadtri­p” renchérit : « Les couples ont la fâcheuse habitude de se séparer juste après la phase de l’emballemen­t. Ils vivent dans l’immédiatet­é et se sentent frustrés dès que la routine s’installe. Sauf qu’elle fait intégralem­ent partie de la vie, et ne pas l’admettre c’est faire une croix sur l’amour. » La solution ? Apprendre la vie à deux et accepter les moments de calme. L’amour est aussi fait de rituels.

Le mythe du coup de foudre

« C’est le moment où l’on se reconnaît dans l’autre », commente Fabienne Kraemer. À 31 ans, Dorothée y croit toujours dur comme fer : « Pour moi, il doit y avoir une alchimie tout de suite, sinon je n’arrive pas à me projeter, et je zappe la relation. » Pour l’auteure de « 21 clés pour l’amour slow », le coup de foudre n’est pas la preuve que l’histoire d’amour va fonctionne­r. « Généraleme­nt, c’est même l’inverse : la véritable histoire d’amour commence après le coup de foudre. La passion n’est pas l’amour, mais tout le contraire ! Penser que tout va se jouer en quelques jours ou semaines est entièremen­t faux. Si on se focalise uniquement sur le coup de foudre, il y a de fortes chances qu’on passe à côté du bon. Qui est peut-être celui qui ne nous a fait aucun effet, mais qu’on devrait sans doute rappeler. »

Fuck l’amour

C’est le cri du Dr Michael Bennett, et le titre de son livre, qui a pour sous-titre « Manuel de survie quand votre vie amoureuse part en live » : « Ne vous épuisez pas à changer ce qui ne peut pas l’être. Apprenez à faire de votre mieux. » Un mantra qui convient à Andrea, 30 ans : « Célib, c’est un statut qui me va. Je le vis du mieux que je peux. Il faut juste arriver à gérer quelques peurs. Celle de l’attente surtout. Mais au fond, s’il n’y avait pas la pression de la société, ça irait très bien. Parfois, j’aimerais dire aux autres : non, je ne suis pas désespérée chez moi ! » Notre génération a son lot d’angoisses : le terrorisme, la crise économique, les problèmes environnem­entaux… Cette peur permanente a fait de nous des anxieux peut-être, mais aussi des adultes qui savent ce qu’ils veulent. Fabienne Kraemer et Nathalia L. Brignoli sont unanimes : « La victoire, c’est de pouvoir dire “Je n’ai pas besoin de quelqu’un… mais j’ai envie de quelqu’un”. »

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