Cosmopolitan (France)

IL ME PLAÎT : JE ME FAIS CONFIANCE

Conseils pour comprendre qu’on n’attrape pas les hommes avec du vinaigre, mais avec un brin d’assurance et une bonne dose de cool.

- Par Fiona Schmidt. Photo Arthur Belebeau.

1er eye contact

La tempête sous mon crâne. Quand je le croise à un feu rouge, chez des amis communs ou dans un concert, c’est toujours la même histoire : où regarder pour qu’il comprenne qu’il me plaît, tout en lui laissant l’initiative du premier pas et l’illusion qu’il reste de ces mâles alpha dont on fait la publicité pour les montres étanches à 20 mètres ?Droit dans les yeux ? Pourquoi pas m’allonger nue en travers de son chemin en criant « À taaaaaable ! », aussi ? Droit devant moi ? Ça

fait collégienn­e qui récite sa poésie. Derrière son épaule ? Il va croire que je drague son pote. Quand j’ai enfin trouvé le point d’impact idéal de mon regard (sous la clavicule gauche : mystérieux mais intéressé), se pose la question du sourire : avec ou sans les dents ? Et si j’ai un bout de salade ? Résultat, il finit par s’éloigner avant que j’aie pu décider quelle commissure lever en premier, persuadé que je souffre d’un syndrôme de la Tourette en mode silencieux. L’anticyclon­e. J’arrête de couper les cheveux en quatre dans le sens de la largeur : je le trouve à mon goût ? Je le regarde avec bienveilla­nce et un petit sourire distrait, comme s’il était un transat vide sur une plage de sable fin, et que je passais justement dans le coin. Entre mes deux oreilles le calme revient, on n’entend plus que le clapotis des vagues, ssshhhhh…

1er poke

La tempête sous mon crâne. Le premier contact a été établi : je connais son prénom, la couleur de ses yeux et son goût pour les olives (il en a avalé tout un bol pendant qu’on discutait), il n’a pas prétexté un rendez-vous urgent pour écourter notre échange et m’a même demandé mon 06, par politesse ou, plus vraisembla­blement, pour me recontacte­r. Tous les feux sont au vert et j’aimerais donc attendre son message, son appel ou son signal de fumée en toute décontract­ion, les mains dans les poches. Au lieu de quoi, mes doigts sont suspendus à dix centimètre­s au-dessus du clavier, façon alpinistes de l’extrême : le googler ou ne pas le googler, telle n’est hélas pas la seule question. Dois-je solliciter son amitié sur Facebook ou le poker l’air de rien – « Hey, quelle surprise, qu’est-ce que tu fais là !? » ? Le suivre sur Twitter, Snapchat et/ou Instagram, liker ses photos, et si oui, lesquelles ? Faut-il que j’ajoute un commentair­e, et si oui, avec ou sans emojis ? Et quels emojis, d’abord ? La banquise aura fondu avant que je me décide. L’anticyclon­e. Je tourne sept fois mon pouce au-dessus de mon écran, et je recopie simplement ce message : « À très vite j’espère ? Je t’embrasse. » Sexy sans être trop explicite, ouvert mais pas béant, à la fois vague et tentant, bref, l’équivalent 2.0 du « Sésame, ouvre-toi » d’Ali Baba (c’est une image). Bien entendu, je lui laisse le temps de répondre. Mais je ne suis pas le genre de fille à envoyer un message pour vérifier qu’il a bien reçu le premier, posté par mail, sur son wall Facebook et via Messenger, WhatsApp, Twitter, Instagram, Snapchat et pigeon voyageur, pas vrai ?

1er date IRL

La tempête sous mon crâne. Les choses sérieuses commencent – avant, c’était juste un échauffeme­nt… Depuis qu’il m’a donné rendez-vous « quand tu veux, où tu veux », j’ai replongé dans le grand bassin du désarroi, celui-là même où je n’ai pas pied (allez j’avoue : je suis un peu la Laure Manaudou de l’indécision). J’aimerais lui répondre de trancher mais mes grandsmère­s ont brûlé leurs soutiens-gorge pour que je choisisse le resto… ou le café ? ou la patinoire ? Mais s’il se casse la cheville ? Un bowling, alors ? C’est redevenu branché comme la pétanque, ou pas ? Et s’il pleut, on le lance où, le cochonnet ? Un saut en parachute, alors, pour lui montrer que je suis intrépide ? Aime-t-il seulement les filles intrépides ? Un ballet, pour qu’il comprenne que je suis élégante et cultivée ? Un ballet dans les airs ? À deux heures du rendez-vous, mon cerveau ressemble à la chambre d’une ado gothique et je n’ai rien à me mettre : autant annuler, de toute façon, je n’ai même pas le temps de me faire les ongles, ça va être une catastroph­e… L’anticyclon­e. Je lui propose que l’on se retrouve dans un café que j’aime bien pas très loin de chez moi, et j’arrive à l’heure, habillée comme tous les jours, mais avec des talons et les cheveux propres – une version améliorée de moimême, en somme. Si on plussoie au niveau des affinités, on ira dîner quelque part, à la cool. NB : j’évite toutefois de lui donner rendez-vous dans le QG où je connais tout le monde, sous peine qu’il se sente comme le bout de fromage dans la tapette à souris lorsque ma BFF (ou mon cousin, ou pire : ma mère) lui donnera une claque dans le dos en s’exclamant, le pouce sur la carotide : « Elle est géniale, hein ? Prends bien soin d’elle ou sinon, couic ! »

1er « dernier verre » (hum, hum…)

La tempête sous mon crâne. Bizarremen­t, le rendez-vous s’est bien passé – étrange, comme je peux être charmante quand j’oublie mes angoisses… Je n’ai pas renversé mon verre sur ses genoux, il a ri à mes blagues, j’ai gloussé aux siennes, je marche encore droit et lui aussi, il a glissé sa main dans la mienne et me susurre : « On va chez toi ? » Hein, quoi, comment ça, chez moi ? Pour quoi faire ? Est-ce que j’ai fait mon lit ? Le ménage ? Mes mollets ? Et s’il voyait la photo de mon ex sur le frigo ? Aurais-je le temps de l’enlever ou du moins, de déplacer le magnet Vache qui rit sur son visage avant que… Rien que d’y penser, j’ai le ventricule qui pond des Smarties. Alors on va chez moi, mais je fais semblant d’avoir oublié le digicode, pour couper la poire en deux ? L’anticyclon­e. Je fais taire mon cerveau et j’écoute les papillons que j’ai dans le ventre : s’ils sont deux, avachis sur le canapé en train de zapper sur la longue nuit de sommeil qui les attend, je décline simplement et lui souhaite une bonne nuit, sans me justifier pendant un quart d’heure (« J’aimerais bien mais c’est impossible car heu, mon chat est allergique aux poils de barbe, il faut d’ailleurs que je l’emmène chez le vétérinair­e très tôt demain et, heu… »). Si au contraire, les papillons sont au moins 50 et miaulent a cappella, je le prends par

JE LE TROUVE À MON GOÛT ? JE LE REGARDE AVEC BIENVEILLA­NCE ET UN PETIT SOURIRE DISTRAIT.

la main et le renverse sur le clic-clac, sans penser à… sans penser, point.

1re nuit

La tempête sous mon crâne. Le moment autant attendu que redouté est arrivé : l’homme qui me plaît va me voir nue, et s’il est encore là après que j’ai rallumé la lumière, nous allons probableme­nt faire grincer le sommier. Une question enfonce alors la porte déjà largement ouverte de mon angoisse : et s’il se rend compte que je ne suis pas gaulée comme Emily Ratajkowsk­i ? Et si par miracle il surmonte sa déception, quoi faire de nos vingt doigts ? Sans parler du reste ? Faut-il garder le meilleur pour la fin, de la soirée, ou lui proposer d’entrée de jeu le buffet sexuel à volonté de mes spécialité­s locales ? Faut-il lui servir la formule entrée-plat-dessert, avec mise en bouche et trou normand entre chaque plat, ou se contenter d’une salade verte, sauce à part ? Pourquoi n’existe-t-il pas de tuto pour coucher la première fois, bon sang ?! L’anticyclon­e. Je pense avant tout à mon plaisir à moi, c’est le meilleur moyen d’oublier mes complexes, après avoir constaté que lui non plus n’est pas le sosie corps de Jordan Barrett. Si j’ai un petit creux, je ne me force pas, en revanche si j’ai une faim de louve, je commande – poliment – en conséquenc­e, et je finis mon assiette, évidemment.

1re engueulade

La tempête sous mon crâne. On était bien tous les deux… On apprenait à se découvrir peu à peu, l’autre était une chasse au trésor quotidienn­e, on riait des mêmes choses, on regardait dans la même direction, on se manquait dès qu’on était séparés plus de cinq minutes, quand soudain, retour de bâton dans les roues de cette belle mécanique. On n’a pas été d’accord sur un sujet de rien du tout. Comme ni l’un ni l’autre n’a cédé, il est rentré chez lui en claquant la porte, et depuis j’attends son appel, recroquevi­llée sur mon portable en position foetale. Tout est fichu, à commencer par moi-même. L’anticyclon­e. Je prends une grande respiratio­n et je sors prendre l’air pour faire le point. Qui a tort, dans cette histoire ? Et si l’important n’était pas de déterminer les responsabi­lités de chacun mais d’enterrer la hache de guerre – même pas : le couteau à beurre de guerre –, entre adultes responsabl­es ? Je prends l’initiative du premier pas, et j’agite la culotte blanche de la paix : la réconcilia­tion n’est-elle pas l’objectif de toute engueulade réussie ?

1er « je t’aime »

La tempête sous mon crâne. On s’est réconcilié­s et tout est redevenu parfait, si parfait que pour la première fois depuis très longtemps, tous les muscles de mon cerveau se sont détendus, relâchant du même coup l’expression fatidique : « Je t’aime. » Si seulement je pouvais balayer ce tas de consonnes et de voyelles tombés entre nous et le cacher sous ma langue ! Hélas, son expression m’indique qu’il a entendu : apocalypse moins 3… 2… 1… L’anticyclon­e. Je n’ai pas attendu qu’il me fasse sa déclaratio­n en premier, so what ? On est en 2017, pas sous Jane Austen, qu’il s’y fasse ! Et vu le sourire qui illumine son visage, il s’y fait parfaiteme­nt : à vous maintenant.

J’ARRIVE À L’HEURE, HABILLÉE COMME TOUS LES JOURS, MAIS AVEC DES TALONS ET LES CHEVEUX PROPRES.

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