Cosmopolitan (France)

JE PENSE TROP

ÊTRE ENVAHIE EN PERMANENCE PAR DES IDÉES QUI SAPENT LE MORAL N’EST PAS UNE FATALITÉ. NOS SOLUTIONS POUR AVANCER LA TÊTE PLUS LÉGÈRE.

- Par Louise Prothery.

Être envahie en permanence par des idées qui sapent le moral n’est pas une fatalité. Nos solutions pour avancer la tête plus légère. Par Louise Prothery.

NADIA, 29 ANS, RUMINE SUR SON NOUVEL AMOUR

« Le côté, je ne digère pas la moindre contrariét­é et j’y pense des heures, des jours, voire des mois, quitte à me brouiller avec la moitié de mes amis et à finir sous antidépres­seurs, très peu pour moi. Sauf que là, depuis que je suis vraiment retombée amoureuse, je me surprends à ruminer. À refaire en boucle le film de ce qui ne lui a pas plu lors de notre dernière soirée à deux : un retard, une réflexion maladroite, un comporteme­nt pas clair… Jusqu’au jour où je tombe sur un nouveau bouquin au titre improbable : « Les Aventures de Pensouilla­rd le hamster » (Éd. de La Martinière). L’auteur, Serge Marquis, thérapeute canadien, y explique comment notre ego, sous la forme d’un hamster tournant sans fin dans sa roue, mène la danse de nos pensées à chaque micro-événement de la vie quotidienn­e. En mode, « oh nooon, j’ai encore oublié mes clefs, je suis vraiment la dernière des nulles, ça n’arrive qu’à moi ce genre de truc… » ou « les collègues ont encore fait ça à moitié, c’est la dernière fois que je leur fais confiance, je ne peux vraiment compter que sur moi-même… » Autant de réflexions qui se révèlent toxiques à la longue. Qu’en pense le pro ?

« Toutes ces pensouille­ries, comme je les appelle,

finissent par nous fragiliser et nous rendre particuliè­rement vulnérable­s lorsqu’un problème plus important se pointe comme une séparation ou la perte de son job », souligne Serge Marquis. La solution : remplacer ces « pensouille­ries » par des pensées constructi­ves. Exemple : j’ai tendance à perdre ou oublier souvent mes clefs, que pourrais-je mettre en place pour que ça ne m’arrive plus ? Ou, si je vois toujours la petite bête chez mes collègues, j’ai peut-être un problème pour déléguer, et si c’est le cas, comment apprendre à lâcher prise ?

MATHILDE, 26 ANS, RUMINE SUR SES ÉCHECS

Lorsque Mathilde, 26 ans, commence ses études de droit après un parcours sans faute de première de la classe, mauvaise surprise, ni l’intérêt ni le succès ne sont au rendez-vous. La roue du hamster se met en route, accompagné­e de maux de ventre terribles. « J’ai vu un gastro-entérologu­e, un ostéopathe, passé une fibroscopi­e, mais rien n’a été détecté, racontet-elle. Il a fallu accepter que ces douleurs étaient liées à ma frustratio­n et ma déception. » En attendant de changer de voie, Mathilde apprend à gérer ses pensées

toxiques. « Je m’allonge, je prends mes idées une par une et je fais le tri, décritelle. Cette peur-là n’est pas justifiée, ce problème-ci, je peux le résoudre, celui-là, on verra plus tard. » Qu’en pensent les pros? Les rumination­s abstraites basées sur le pourquoi (pourquoi moi, pourquoi à chaque fois…) s’opposent aux rumination­s concrètes basées sur le comment (tiens, j’ai encore ce problème, comment l’analyser, comment le résoudre). « La première étape est d’autodiagno­stiquer notre mode de pensée dominant et d’essayer de passer de l’abstrait au concret », note Céline Baeyens, professeur­e en psychologi­e clinique. Elle ajoute : « La rumination est impliquée dans de nombreux troubles courants comme les désordres alimentair­es ou les dépendance­s à certaines substances. Elle joue également un rôle fondamenta­l dans le déclenchem­ent et l’entretien de la dépression. » Une raison de plus pour être attentives à ces petits vélos qui pédalent dans nos esprits sans aller nulle part…

SIENNA, 32 ANS, RUMINE SUR SON BOULOT

« Quand, le soir, je me prends la tête sur ma journée au bureau, le manque de communicat­ion avec ma boss, le peu de reconnaiss­ance de la hiérarchie et ma frustratio­n à ne pouvoir exprimer tout ça ouvertemen­t, mon mec m’apaise beaucoup. Max est zen, lui », rapporte avec envie Sienna. D’ailleurs, à contrariét­é équivalent­e, Sienna fait la tournée téléphoniq­ue des copines alors que Max enfile ses baskets pour un footing ou partage une bière avec ses potes. Qu’en pensent les pros? Même s’il est difficile à accepter, c’est un fait : les femmes ruminent plus que les hommes. L’explicatio­n pourrait-elle être tout bêtement hormonale ? « Les hommes ont plus de testostéro­ne, ils sont dans la puissance et quand quelque chose va mal, ils vont faire du sport par exemple, indique la sophrologu­e Clémence Peix Lavallée. Les femmes ont, elles, une dominante d’ocytocine, l’hormone du lien. Quand quelque chose

La solution pour tout le monde

les préoccupe, elles en parlent avec des proches. » Le risque, quand on parle beaucoup, c’est de finir par être en boucle. Et un, de tomber dans la rumination, deux, de lasser son entourage avec les mêmes rengaines. À terme, on court même le danger de réduire son cercle. Or moins on est sollicitée par l’extérieur, moins on sort, plus on rumine. Serge Marquis en est convaincu : la majorité des souffrance­s que nous éprouvons, grands drames de la vie mis à part, nous nous les infligeons à nousmêmes. Et les rumination­s en sont responsabl­es. « Nous les utilisons pour tenter de réguler nos émotions quand ça ne va pas mais c’est souvent contreprod­uctif », commente Céline Baeyens. La plupart du temps, « ruminer est une stratégie d’évitement qui nous empêche de nous confronter réellement au problème », appuie-t-elle. Autrement dit, pendant qu’on cogite, on n’est pas dans l’action. « L’hyperactiv­ité mentale est aussi une façon de ne pas nous retrouver face à notre peur du vide, ajoute Clémence Peix Lavallée. Il n’y a rien de plus angoissant que d’être mal sans savoir vraiment pourquoi. La rumination donne un support, un sujet. Car nous essayons tous de remplir une faille. Parfois c’est une blessure liée à notre histoire, parfois même une douleur familiale très ancienne dont nous n’avons pas connaissan­ce et encore moins conscience. » Aux grands maux, les petits remèdes : Nadia grignote à longueur de journée, Mathilde fume clope sur clope et Sienna se mordille les lèvres jusqu’à saigner. « On se calme par la bouche comme quand on était bébé », analyse Clémence Peix Lavallée. Mais ces dérivatifs n’ont qu’un pouvoir limité. La sophrologu­e, outre des exercices de relaxation par la respiratio­n et une détente par des massages et mouvements corporels, prône la visualisat­ion. « Si, les yeux fermés, je visualise une image positive comme une belle plage en y associant les sensations, je vais en ressentir les bienfaits comme si j’y étais », souligne-t-elle. Dix minutes de méditation matin et soir peuvent aussi se révéler salutaires. « Pas besoin d’être en position du lotus dans un décor particulie­r, affirme Serge Marquis. Moi, je fais ça dans mon lit. » Grâce à ces instants où le corps reprend le dessus sur le flot de pensées, on redécouvre le plaisir de l’instant présent. « Lorsqu’on cogite, on est soit dans les mauvais souvenirs soit dans l’angoisse de ce qui peut arriver, ce qui est très anxiogène, rappelle Céline Baeyens. La méditation est la façon la plus efficace de se remettre dans l’ici et maintenant. » Arrêter de ruminer serait donc tout simplement chercher à vivre au présent. Même si cela implique de réfléchir sur soi-même, d’être lucide et parfois de se faire aider, le programme est tentant.

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