CHARTRES
On l’aperçoit de loin, ses mâts aigus piqués net dans le ciel bas de l’eure-et-loir, phare guidant les pèlerins depuis neuf siècles… Mais sa lumière est intérieure, née d’un déploiement inégalé de vitraux chatoyants et d’un souffle mystique tenace. Cathédrale classique par excellence, Notre-dame de Chartres fut la première inscrite au patrimoine de l’humanité, en 1979.
La cathédrale de Chartres n’est ni la plus grande, ni la plus haute, ni la plus ancienne
de France. Elle fait date dans l’histoire du gothique par son équilibre et sa symétrie. Le plan en croix latine dit « chartrain », pourtant déjà utilisé à Soissons et à Meaux, va demeurer le modèle idéal des grandes cathédrales : à deux collatéraux, large choeur à double déambulatoire et chapelles rayonnantes, élévation linéaire sur trois niveaux, grandes arcades, triforium et fenêtres hautes, long transept amplifié par des bas-côtés et deux grands porches ouvragés aux extrémités.
LA DEMEURE DE DIEU SUR TERRE
L’ensemble, assez rapidement bâti entre 1195 et 1260, ne va pourtant pas sans hésitations et irrégularités. Ainsi, neuf tours avaient été prévues à l’origine, dont deux seulement verront le jour. Et on note, pour une fois, un fort attachement au passé : le beau portail central de l’ancienne façade. Probablement moins par souci pratique ou financier qu’en hommage à l’évêque Fulbert, qui l’avait fait élever ; sa renommée d’érudit reste vive, et la foi populaire en fait déjà un saint… La chapelle SaintPiat, forteresse miniature, fut ajoutée plus tard, vers 1330. Une idée forte domine la construction, que l’on retrouve dans les sermons de l’époque : celle de la Jérusalem céleste, une ville idéale décrite, dans le livre des prophètes et l’apocalypse de Jean, comme plus chatoyante qu’un trésor d’ali Baba, avec douze portes de perle, une cité d’or pur transparent comme du verre et des murailles ornées de pierres gemmes : saphir, émeraude, jaspe, onyx, agate, béryl, topaze, etc. Pour les théologiens d’alors, il s’agit d’une image, une figuration spirituelle, à l’usage des fidèles, de la demeure de Dieu sur terre. Et pour s’en approcher concrètement, rien ne vaut le vitrail. Sur ce point, la cathédrale de Chartres détient, avec ses 2 500 m2 de verrières, un record : celui du plus important ensemble au monde de vitraux du xiiie siècle, et même du xiie siècle pour certains. Il est vrai qu’en 1918, comme en 1939, on a pris le temps de les démonter pour les mettre en lieu sûr. Leurs couleurs,
dont ce fameux « bleu de Chartres », font l’admiration de tous. Le soleil rasant de l’aube ou du crépuscule, surtout, y fait merveille. Sur la lumière à l’intérieur de Notre-dame, Huysmans est prolixe : « Le génie du Moyen Âge avait combiné l’adroit et le pieux éclairage […] réglé la marche ascendante de l’aube dans ses vitres. Très sombre […] dans les avenues de la nef, la lumière fluait mystérieuse et sans cesse atténuée le long de ce parcours. Elle s’éteignait dans les vitraux, arrêtée par d’obscurs évêques, par d’illucides saints qui remplissaient en entier les fenêtres […] aux teintes sourdes de tapis persans… Puis, arrivé au choeur, le jour filtrait dans les couleurs moins pesantes et plus vives, dans l’azur des clairs saphirs, dans des rubis pâles, dans des jaunes légers, dans des blancs de sel. L’obscurité se dissipait, après le transept, devant l’autel […], le soleil entrait dans des verres plus minces, moins encombrés de personnes [et] dans l’abside figurant le haut de la croix, ruisselait de toutes parts… La forêt était devenue une immense basilique, fleurie de roses en feu, trouée de verrières en ignition, foisonnant de Vierges et d’apôtres, de Patriarches et de Saints. »
UNE MIRACULEUSE INSPIRATION
La Vierge, omniprésente, est chez elle en ce lieu depuis la nuit des temps. S’il faut en croire une chronique de 1389, l’église aurait été fondée « avant la naissance du Christ, en l’honneur de
la Vierge qui devait enfanter ». La crypte de Fulbert, qui suit en sous-sol le contour de la cathédrale, autour d’une crypte tombeau encore plus ancienne, serait-elle l’héritière d’une antique grotte sanctuaire à la « déesse-mère » ? Son lien avec la Vierge s’est en tout cas renouvelé avec éclat au xiie siècle. On vénérait alors à Chartres depuis plus de trois siècles une « chemise » de Marie rapportée par Charlemagne de son pèlerinage à Constantinople et offerte à l’église par son petit-fils, Charles le Chauve. Lorsque se déclara le grand incendie de 1194, quelques chanoines se précipitèrent pour sauver la relique, et, cernés par les flammes, se réfugièrent au plus profond de la crypte. On les croyait perdus quand ils émergèrent de leur abri, trois jours plus tard. C’est dans l’enthousiasme de ce miracle que fut conçue la nouvelle cathédrale, celle que l’on connaît. La ferveur mariale n’a guère décru depuis, et lui a permis de nous parvenir intacte, moyennant un incessant travail d’entretien. Depuis 2009 ont été réalisés de nombreux travaux de restauration. L’intérieur a subi une campagne de restitution des couleurs sur les murs et les voûtes (un décor de faux joints blancs sur fond ocre), tandis que la façade occidentale et les portails de la façade nord ont été restaurés. Rien n’a changé depuis le Moyen Âge : il faut toujours jongler entre les chantiers permanents, les visiteurs et les exigences du culte…
S’IL FAUT EN CROIRE UNE CHRONIQUE DE 1389, L’ÉGLISE AURAIT ÉTÉ FONDÉE « AVANT LA NAISSANCE DU CHRIST, EN L’HONNEUR DE LA VIERGE QUI DEVAIT ENFANTER ».