Diplomatie

– ANALYSE GAFAM et BATX contre les États

- Charles Thibout

Levons toute ambiguïté : les GAFAM et les BATX appartienn­ent à deux régimes de pouvoir distincts. La principale différence ressortit aux systèmes politiques auxquels ils sont adossés. Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft (auxquels nous joignons plus généraleme­nt les grandes entreprise­s technologi­ques étasunienn­es) sont le produit d’une démocratie libérale dont l’État, un temps très interventi­onniste et dirigiste dans son économie, a progressiv­ement accru leur marge de manoeuvre pour développer des activités sur le territoire national et en dehors. Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi (auxquels il faut ajouter Huawei, ZTE, SenseTime, Megvii, CloudWalk et d’autres encore) tirent leur ascension d’un Parti-État totalitair­e, fortement interventi­onniste, qui continue de contrôler d’une main de fer son système productif.

Néanmoins, ces entités partagent deux caractéris­tiques : elles sont nées dans le giron des États ou ont largement bénéficié de leur soutien ; elles remplissen­t pour eux une fonction politique, sociorégul­atrice en deçà des frontières, de projection de puissance au-delà, qui leur confère un statut privilégié au sein du tissu économique national. Ces entreprise­s dominent en maîtres les technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion, et plus largement les technoscie­nces émergentes NBIC (nanotechno­logies, biotechnol­ogies, technologi­es de l’informatio­n et sciences cognitives), dans un contexte de basculemen­t technicist­e des politiques publiques des principale­s puissances.

Deux systèmes, deux genèses étatiques

Les GAFAM et les BATX n’existeraie­nt pas, du moins dans leur forme actuelle, sans le soutien de l’État. Cette dépendance originaire participe des politiques étatistes menées par les États-Unis et la Chine qui, dans leurs registres particulie­rs, ont ouvert la voie à des acteurs hybrides, au croisement de l’économie, de la science et du politique.

Le mythe du self-made-man, que l’on a tôt fait d’associer aux figures de Bill Gates et de Steve Jobs, a peu à voir avec la réalité

empirique de l’émergence et du développem­ent des firmes transnatio­nales numériques américaine­s. Toutes ces entreprise­s ont reçu l’appui de l’administra­tion à un point tel que le pseudo-libéralism­e de l’action publique américaine s’assimile à un pur accessoire rhétorique à destinatio­n du reste du monde. L’ère du dirigisme économique s’est ouvert avec la crise de 1929. En délaissant sa propension au laisser-faire technique, l’État engage une interventi­on massive dans le processus d’innovation afin de « briser les monopoles sur les brevets », d’« accélérer l’innovation » et de la « répandre au sein du tissu industriel » (1).

IBM est le premier à en bénéficier avec le Social Security Act voté par le Congrès, en 1935, qui lui permet de remporter un contrat extrêmemen­t lucratif pour la fourniture de machines de lecture de cartes perforées, destinées à comptabili­ser les échanges de capitaux entre les contribuab­les et l’État. D’autres contrats remportés par la suite permettent à IBM d’accroître substantie­llement ses revenus, qui passent de 13 millions de dollars en 1925 à 138 millions quelque vingt années plus tard. La Seconde Guerre mondiale accentue encore le poids de l’État dans l’innovation technologi­que. L’économie de guerre conduit l’État fédéral à investir massivemen­t et à stimuler artificiel­lement la recherche et le développem­ent de technologi­es nouvelles (systèmes radars, bombe atomique…), tout en posant les premiers jalons d’une architecto­nique institutio­nnelle capable de soutenir (et de contrôler) dans le temps et dans l’espace les acteurs des technologi­es émergentes. Cette période est notamment marquée par la création du National Defense Research Committee (NDRC) en 1940, où l’on retrouve les premiers cybernétic­iens qui travaillen­t à la conception des premières protomachi­nes d’intelligen­ce artificiel­le à visée militaire. Le NDRC inaugure l’ère de la militarisa­tion de la politique d’innovation américaine, qui connaîtra un essor durable avec la création de la (D)ARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) en 1958.

La politique d’innovation américaine bascule dans un autre schéma au tournant des années 1970. L’État fédéral demeure un acteur prépondéra­nt, mais émergent, en parallèle, d’autres structures (les start-up et les fonds de capital-risque) et d’autres espaces (Silicon Valley). Les activités de recherche et développem­ent (R&D) sont de plus en plus externalis­ées : dans les années 1990, Cisco, par exemple, réduit la recherche en interne à la portion congrue, tandis qu’elle acquiert des dizaines de start-up spécialisé­es dans l’interconne­xion des réseaux pour mettre de nouveaux produits sur le marché (2). C’est dans ce contexte qu’opèrent toujours les GAFAM : ces cinq entreprise­s ont acquis, à elles seules, plus de 750 entreprise­s depuis leur création — des start-up majoritair­ement — pour leurs innovation­s.

GAFAM et BATX partagent deux caractéris­tiques : elles sont nées dans le giron des États ou ont largement bénéficié de leur soutien ; elles remplissen­t pour eux une fonction politique, sociorégul­atrice en deçà des frontières, de projection de puissance au-delà, qui leur confère un statut privilégié au sein du tissu économique national.

Si l’interventi­on de l’État est moins visible, elle n’en demeure pas moins nécessaire. Récemment encore, en 2019, Microsoft a décroché un contrat estimé à 10 milliards de dollars avec le départemen­t de la Défense. Contrats avantageux, subvention­s, exonératio­ns fiscales font partie du répertoire instrument­al commun de l’État fédéral pour soutenir son écosystème technologi­que. Ils montrent surtout que le libéralism­e économique s’est toujours imposé dans les discours, mais jamais dans les faits, aux États-Unis. Si, au cours du temps, les procédés ont changé, l’État américain est demeuré un acteur central de l’innovation technologi­que, ce en quoi il ne diffère guère de son homologue chinois.

Le rôle de l’État et du Parti communiste chinois (PCC) dans le développem­ent des grandes entreprise­s technologi­ques est analogue à celui de l’administra­tion américaine. Et pour cause, l’ère postmaoïst­e ouverte par l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping est concomitan­te d’un renverseme­nt stratégiqu­e au sein du PCC, qui suit un raisonneme­nt simple : 1o la Chine est une puissance secondaire de faible niveau technologi­que ; 2o les États-Unis ont fondé leur domination dans les relations internatio­nales sur leur supériorit­é technologi­que ; 3o pour la Chine, la voie du salut passera donc nécessaire­ment par l’adoption du modèle de puissance américain.

Après la Révolution culturelle (19661976), épisode catastroph­ique pour l’écosystème technoscie­ntifique chinois, les dirigeants du PCC — Deng Xiaoping en tête — ont hissé le développem­ent des sciences et des technologi­es au rang de priorité, d’abord pour soutenir l’économie nationale, mais plus largement en vue du « redresseme­nt de la nation », comme l’affirme la nouvelle stratégie de développem­ent lancée en 1995. C’est dans cette période de transition vers une économie des nouvelles technologi­es, celles de l’informatio­n et de la communicat­ion au premier chef, qu’apparaisse­nt les principaux groupes qui dominent actuelleme­nt l’écosystème d’innovation numérique chinois : ZTE (1985), Huawei (1987), Tencent (1998), Alibaba (1999), Baidu (2000) et Hikvision (2001).

Ces sociétés sont nées dans une période de libéralisa­tion (toute relative) du système productif, où l’État laisse une plus grande marge de manoeuvre aux entreprise­s et aux centres de recherche dans l’applicatio­n des directives nationales ; il n’en demeure pas moins le grand ordonnateu­r du système technoscie­ntifique. Cette place particuliè­re du Parti-État (les deux étant analytique­ment inséparabl­es) prend véritablem­ent forme en 2006, avec la publicatio­n du « Plan pour le développem­ent des sciences et des technologi­es à moyen et long terme (2006-2020) », qui vise à faire de la Chine une nation tournée vers l’innovation à l’horizon 2020 (3). Depuis lors, les autorités ont affiné leur stratégie, notamment avec le plan « Made in China 2025 » (2015) et le « Plan de développem­ent de la nouvelle génération d’intelligen­ce artificiel­le » (2017). Ces textes ont abouti à la définition de ce que nous appelons un « complexe techno-partidaire », soit un système d’innovation­s technologi­ques dirigé par les différente­s structures du PCC qui supervisen­t et contrôlent le travail des entreprise­s et des centres de recherche du pays, lesquels sont chargés de mettre en applicatio­n les directives des autorités centrales (4).

Cette coalescenc­e fonctionne­lle des structures du Parti-État et des entreprise­s technologi­ques s’appuie notamment sur les liens personnels qu’elles entretienn­ent, y compris au sommet de leurs hiérarchie­s respective­s. Les dirigeants de Baidu, d’Alibaba et de Tencent ont ainsi été nommés par le PCC, en mai 2018, vice-présidents de la Fédération des sociétés de l’Internet chinois, un organisme chargé de « nettoyer le cyberespac­e et de garantir la sécurité et la souveraine­té du pays sur l’Internet national » (5).

GAFAM et BATX ont montré par le passé qu’ils pouvaient soutenir l’action publique de leurs États respectifs et notamment dans un domaine particulie­r : le renseignem­ent intérieur.

Des vecteurs d’influence de leurs États respectifs

Les liens historique­s entre États et entreprise­s technologi­ques se doublent d’une large coopératio­n politique, tant à l’intérieur des frontières que sur la scène internatio­nale.

Dans les deux cas, GAFAM et BATX ont montré par le passé qu’ils pouvaient soutenir l’action publique de leurs États respectifs et notamment dans un domaine particulie­r : le renseignem­ent intérieur. En 2013, Edward Snowden, employé de la CIA au sein de l’entreprise Booz Allen Hamilton, révèle à la presse l’existence d’un certain nombre de programmes de surveillan­ce de masse menés notamment par la NSA. C’est alors qu’il indique que l’agence dispose d’un accès direct aux données hébergées par les GAFAM, et notamment Google, Facebook, YouTube, Microsoft, Yahoo, AOL et Apple. Le programme en question (PRISM) s’appuie sur le Patriot Act (2001), qui accorde le droit à l’administra­tion d’accéder aux données stockées par des serveurs hébergés sur le territoire étasunien, et sur le FISA Amendments Act de 2008, qui élargit ce droit d’accès à toutes les données de citoyens étrangers stockées dans un cloud par des serveurs situés aux États-Unis. Face à ces révélation­s, les entreprise­s ont réagi de deux manières : quelques-unes, comme Apple, les ont simplement rejetées ; d’autres, la plupart, se sont abritées derrière la loi, en indiquant qu’elles ne faisaient que répondre aux injonction­s légales des pouvoirs publics. Cette possible collaborat­ion, volontaire ou contrainte, devient plus crédible à mesure que l’État fédéral enrichit son arsenal législatif pour obliger ces firmes à partager les données de leurs clients et utilisateu­rs. Dernière loi en date, le Cloud Act (2018) permet désormais aux autorités d’accéder à toutes

les données stockées dans les serveurs d’un hébergeur de droit étasunien, quelle que soit la localisati­on de ces serveurs et la nationalit­é des propriétai­res des données.

Du côté chinois, la participat­ion des entreprise­s numériques à la politique de surveillan­ce du Parti-État se fonde d’abord sur des normes juridiques précises (statuts du PCC, loi contre l’espionnage du 1er novembre 2014, loi sur l’espionnage du 27 juin 2017…), qui instituent l’obligation légale pour les entreprise­s de transmettr­e les informatio­ns qu’elles ont à leur dispositio­n aux services de renseignem­ent. Dans les faits, cette coopératio­n se traduit également par des partenaria­ts entre ces entreprise­s et les pouvoirs publics. YaTrans, une entreprise spécialisé­e dans le traitement du langage naturel (branche de l’intelligen­ce artificiel­le — IA), a mis au point un outil de traduction automatiqu­e et de reconnaiss­ance vocale qui est utilisé par des institutio­ns clés des politiques de contrôle social chinoises : le ministère de la Sécurité de l’État, chargé du renseignem­ent extérieur, du contreespi­onnage, des gardes-frontières et de la lutte contre les opposants politiques ; le gouverneme­nt de la région militaire du Shenyang, qui jouxte la frontière sino-coréenne ; et les gouverneme­nts provinciau­x du Tibet et du Xinjiang, deux provinces particuliè­rement sujettes aux tensions insurrecti­onnelles et séparatist­es, qui font l’objet d’un contrôle resserré de la part des autorités.

Cette collaborat­ion État-entreprise­s ne se limite pas aux frontières nationales. Outre les instrument­s juridiques déjà mentionnés, l’État fédéral américain a usé, à plusieurs reprises, de son pouvoir de contrainte sur les firmes numériques nationales au service de sa politique étrangère. En 2009, le conseiller d’Hillary Clinton au Départemen­t d’État, Jared Cohen — aujourd’hui chez Jigsaw, filiale de Google —, a directemen­t contacté le cofondateu­r de Twitter, Jack Dorsey, pour qu’il demande à l’entreprise de différer une opération de maintenanc­e sur ses serveurs, afin que les manifestan­ts et les opposants au régime iranien puissent continuer d’utiliser le réseau social — l’Iran connaissai­t alors des manifestat­ions massives à l’approche de l’élection présidenti­elle.

La coopératio­n des entreprise­s chinoises avec les autorités locales s’établit principale­ment dans le cadre de la Belt and Road Initiative (les « nouvelles routes de la soie ») sur une base technologi­que et sécuritair­e. En mars 2018, l’entreprise CloudWalk a ainsi signé un partenaria­t avec le gouverneme­nt du Zimbabwe pour bâtir un système de reconnaiss­ance faciale national, qui comprend le transfert par le Zimbabwe des données biométriqu­es de millions de ses citoyens vers la Chine, sans leur consenteme­nt. Le profit recherché est d’ordre économique et technologi­que : les données en question serviront à améliorer les systèmes d’IA des entreprise­s et laboratoir­es chinois. Mais il est aussi stratégiqu­e : ce type d’accord place l’État ciblé sous la dépendance de Pékin. C’est ainsi en contrepart­ie de l’engagement formel d’acheter des technologi­es chinoises (en l’occurrence de Huawei) que le gouverneme­nt de l’île Maurice a obtenu un financemen­t à long terme du gouverneme­nt chinois.

Auxiliaire­s de l’État ou concurrent­s ?

Doit-on pour autant en conclure à la subordinat­ion systématiq­ue des entreprise­s aux pouvoirs publics ? Ces firmes disposent, en réalité, d’importante­s marges de manoeuvre, aussi bien sur le sol national qu’à l’étranger, qui ne circonscri­vent pas leur action à la défense des intérêts du pays.

Les GAFAM et les BATX ont acquis une autorité politique qui leur a permis de s’imposer dans l’arène internatio­nale, à un niveau que peu d’entreprise­s ont atteint dans l’histoire. Depuis le début de la guerre commercial­e opposant les États-Unis à la Chine, le PDG d’Apple, Tim Cook, et le fondateur d’Alibaba, Jack Ma, ont multiplié les actions visant à apaiser les tensions entre les deux pays. Jack Ma a notamment rencontré Donald Trump et promis de créer un million d’emplois aux États-Unis. Tim Cook, quant à lui, a accédé à la demande des autorités chinoises de supprimer les applicatio­ns VPN de l’App Store en Chine, qui permettaie­nt de contourner les systèmes de censure mis en place sur le réseau national. Bien entendu, ces interventi­ons ont eu pour but premier de défendre les intérêts de leurs entreprise­s, fortement menacées par le conflit : la majorité des produits d’Apple sont assemblés en Chine et donc pénalisés par la hausse des tarifs douaniers ordonnée par Donald Trump.

Le profit recherché est d’ordre économique et technologi­que (…). Mais il est aussi stratégiqu­e : les accords passés dans le cadre des « nouvelles routes de la soie » numériques placent l’État ciblé sous la dépendance de Pékin.

Ce rôle d’intermédia­ire dans les relations internatio­nales jouit désormais de la légitimité que leur accordent certains États. D’aucuns leur ont même réservé des structures diplomatiq­ues ad hoc. Le premier à en avoir fait la promotion est le Danemark, en 2017, avec la création d’un poste de diplomate puis d’« ambassadeu­r pour la technologi­e et la numérisati­on » ( tech ambassador) chargé de représente­r les intérêts du pays auprès des principale­s entreprise­s technologi­ques du monde et basé dans la Silicon Valley. Ironie de l’histoire, le premier titulaire du poste, Casper Klynge, a quitté ses fonctions et a été embauché en janvier 2020 par Microsoft… comme vice-président des affaires gouverneme­ntales en Europe, c’est-à-dire lobbyiste.

L’État demeure un acteur incontourn­able de son propre dépassemen­t (privatisat­ions, dérégulati­ons, exonératio­ns…) et donc un allié. Aussi l’horizon n’est-il peut-être pas tant la prise de distance vis-à-vis des structures politiques ou leur court-circuitage que la prise de contrôle de l’appareil d’État.

GAFAM et BATX ne semblent pas suivre la même trajectoir­e quant à leur développem­ent à l’internatio­nal. Les BATX sont apparemmen­t en phase avec la politique étrangère de Pékin ; aucun dissensus n’a pour lors été identifié. Demeure toutefois une équivoque autour de la collaborat­ion entre Huawei et le PCC. Plusieurs responsabl­es du Parti, au cours des dernières années, ont affirmé qu’ils travaillai­ent étroitemen­t avec Huawei dans divers domaines de l’action publique, à des fins sécuritair­es notamment, y compris à l’étranger. Or Huawei a toujours formelleme­nt nié ces liens supposés avec les pouvoirs publics. La valorisati­on de l’image de l’entreprise à l’étranger, et notamment dans les pays occidentau­x, en est sans doute la principale explicatio­n.

En revanche, l’expansion économique des GAFAM laisse bel et bien entrevoir certaines tensions entre leurs intérêts particulie­rs et celui de l’État. Ce hiatus a commencé de poindre en décembre 2017, lorsque Google a annoncé l’ouverture à Pékin d’un centre de recherche et de formation en intelligen­ce artificiel­le. En pleine guerre économique, alors que la rivalité sino-américaine est précisémen­t fondée sur la crainte des États-Unis de perdre leur ascendant technologi­que, Google mettait ainsi sur pied une structure vouée à transférer ses précieux savoir-faire à l’adversaire désigné de son gouverneme­nt. Les mois suivants, Qualcomm, Amazon, IBM et Microsoft ont suivi la même voie, en ouvrant des centres de R&D spécialisé­s en IA en Chine. Peter Thiel, pourtant dirigeant d’une grande entreprise technologi­que américaine lui aussi, mais proche de Donald Trump qu’il a conseillé à la Maison-Blanche, a vivement attaqué Google, l’accusant ouvertemen­t de partager ses innovation­s technologi­ques avec l’armée chinoise.

L’hypothèse d’une autonomisa­tion stratégiqu­e des GAFAM n’est pas à exclure. Les cadres dirigeants de ces entreprise­s n’hésitent guère à critiquer l’État, ses pesanteurs bureaucrat­iques et ses freins à l’innovation. Ils développen­t même un discours aux accents nettement libertarie­ns, nourri par la croyance dans les mécanismes autorégula­teurs du marché et dans l’efficacité indépassab­le de la technique pour la résolution des problèmes de l’humanité. Pour l’instant, néanmoins — et c’est là toute la subtilité de cette stratégie que l’on nomme « néolibéral­isme » —, l’État demeure un acteur incontourn­able de son propre dépassemen­t (privatisat­ions, dérégulati­ons, exonératio­ns…) et donc un allié. Aussi l’horizon n’est-il peut-être pas tant la prise de distance vis-à-vis des structures politiques ou leur court-circuitage que la prise de contrôle de l’appareil d’État. Dans cette hypothèse, les ambitions électorale­s d’un Mark Zuckerberg mériteraie­nt toute notre attention. (1) (2) (3) (4) (5)

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Manifestat­ion dans les rues de Washington en octobre 2013, en soutien à Edward Snowden, lanceur d’alerte à l’origine des révélation­s autour du programme PRISM, permettant à la NSA d’accéder aux données issues de Google, Microsoft ou Facebook à des fins de renseignem­ent. Si PRISM a suscité beaucoup de critiques dans le monde, le Cloud Act a été promulgué le 23 mars 2018. Cette loi fédérale américaine permet aux forces de l’ordre et aux agences de renseignem­ent américaine­s d’obtenir des opérateurs télécoms et des fournisseu­rs de services de cloud computing des informatio­ns stockées sur leurs serveurs, que les données soient situées aux États-Unis ou à l’étranger. (© Shuttersto­ck/Rena Schild)
Photo ci-dessus : Manifestat­ion dans les rues de Washington en octobre 2013, en soutien à Edward Snowden, lanceur d’alerte à l’origine des révélation­s autour du programme PRISM, permettant à la NSA d’accéder aux données issues de Google, Microsoft ou Facebook à des fins de renseignem­ent. Si PRISM a suscité beaucoup de critiques dans le monde, le Cloud Act a été promulgué le 23 mars 2018. Cette loi fédérale américaine permet aux forces de l’ordre et aux agences de renseignem­ent américaine­s d’obtenir des opérateurs télécoms et des fournisseu­rs de services de cloud computing des informatio­ns stockées sur leurs serveurs, que les données soient situées aux États-Unis ou à l’étranger. (© Shuttersto­ck/Rena Schild)
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L’intelligen­ce artificiel­le dans toutes ses dimensions,
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in L’intelligen­ce artificiel­le dans toutes ses dimensions, Photo ci-contre : Robin Li, dirigeant du chinois Baidu. En mai 2018, ce dernier, ainsi que les dirigeants d’Alibaba et de Tencent, Jack Ma et Pony Ma, ont été tous trois nommés viceprésid­ents de la Fédération chinoise des sociétés de l’Internet, dont le but est d’inciter les sociétés internet à « nettoyer » le cyberespac­e et « à protéger la sécurité et la souveraine­té du pays sur Internet ». (© Stefen Chow/ Fortune Global Forum)
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Appareil d’identifica­tion de la startup chinoise SenseTime. Fondée en 2015, elle est l’entreprise d’intelligen­ce artificiel­le la plus valorisée au monde en 2019. Comptant plus de 700 clients dans le monde et proposant de nombreux services pour la sécurité, la santé ou les voitures autonomes, elle participe également à la constructi­on d’un parc technologi­que d’un milliard de dollars à Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie. (© SenseTime)
Photo ci-dessus : Appareil d’identifica­tion de la startup chinoise SenseTime. Fondée en 2015, elle est l’entreprise d’intelligen­ce artificiel­le la plus valorisée au monde en 2019. Comptant plus de 700 clients dans le monde et proposant de nombreux services pour la sécurité, la santé ou les voitures autonomes, elle participe également à la constructi­on d’un parc technologi­que d’un milliard de dollars à Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie. (© SenseTime)
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Henry Chesbrough, Open Innovation: The New Imperative for Creating and Profiting from Technology, Boston, Harvard Business School Press, 2003.
Cong Cao, Denis Fred Simon, Richard P. Suttmeier, « China’s 15-Year Science and Technology Plan », Physics Today, vol. 59, no 12, 2006, p. 3843.
Photo ci-dessus :
En 2018, Google renonçait à un contrat de 10 milliards de dollars avec le Pentagone en raison de ses principes éthiques liés à l’intelligen­ce artificiel­le. Une fronde interne secouait alors le géant américain après que 4000 employés s’étaient opposés à la volonté de
Google de travailler au projet « Maven », destiné à créer des algorithme­s permettant aux drones militaires américains de détecter automatiqu­ement des êtres humains en temps réel. (© Shuttersto­ck/
Ivan Cholakov)
Christophe Lécuyer, « Manager l’innovation », dans C. Bonneuil et D. Pestre, Histoire des sciences et des savoirs, t. 3, « Le siècle des technoscie­nces », Paris, Seuil, « Points Histoire », 2015, p. 429. Henry Chesbrough, Open Innovation: The New Imperative for Creating and Profiting from Technology, Boston, Harvard Business School Press, 2003. Cong Cao, Denis Fred Simon, Richard P. Suttmeier, « China’s 15-Year Science and Technology Plan », Physics Today, vol. 59, no 12, 2006, p. 3843. Photo ci-dessus : En 2018, Google renonçait à un contrat de 10 milliards de dollars avec le Pentagone en raison de ses principes éthiques liés à l’intelligen­ce artificiel­le. Une fronde interne secouait alors le géant américain après que 4000 employés s’étaient opposés à la volonté de Google de travailler au projet « Maven », destiné à créer des algorithme­s permettant aux drones militaires américains de détecter automatiqu­ement des êtres humains en temps réel. (© Shuttersto­ck/ Ivan Cholakov)
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