Doolittle

Boucle-la !

Il y a quelques mois, une pétition enflammait l’Angleterre. Signée par plus de 400 000 personnes, elle réclamait l’instaurati­on d’un âge minimum légal pour percer les oreilles d’un bébé…. Aucune dispositio­n n’a été prise pour le moment et le débat demeure

- texte Amanda Rubinstein illustrati­ons Julia Lamoureux

Il y a quelques mois, une pétition enflammait l’Angleterre. Signée par plus de 400 000 personnes, elle réclamait l’instaurati­on d’un âge minimum légal pour percer les oreilles d’un bébé…. Le débat demeure. D’un côté, les propercage, de l’autre, les anti-percage... Entre les deux ? Des petites filles aussi inquiètes que tentées.

L’enfantdoit avoir 3 ans. Elle porte un joli chemisier blanc, ses cheveux blonds sont tirés en queue-de-cheval. La mère, assise près d’une baignoire, la tient sur ses genoux, serrée dans ses bras. Les deux, mère et fille, sourient à la caméra. La petite est confiante, elle sait qu’il va se passer quelque chose, mais son visage est serein. La maman se crispe quand apparaît le pistolet tenu par “tata Odile”. La petite se laisse faire, le pistolet s’approche de son oreille et clique brusquemen­t, la chair est percée, la boucle installée. L’enfant, surprise, n’a même pas crié. Ses grands yeux bleus regardent la caméra avec un air d’incompréhe­nsion et se remplissen­t de larmes. Elle commence à pleurer doucement, puis plus fort. Elle crie quand elle comprend qu’il va falloir faire la deuxième. La mère rassurante lui promet qu’elle n’aura pas mal. “Il reste de la crème, tu ne sentiras rien”. Évidemment, c’est faux. Sur Youtube, cette vidéo-là comptabili­se près de 400 vues. Dans le même registre, il y en a des centaines d’autres. À chaque fois, les enfants pleurent et les parents sourient, créant un drôle de climat : pourquoi faiton encore percer les oreilles des fillettes, et même parfois des garçons, au XXIe siècle ? Pourquoi s’accroche-t-on encore à cette tradition, malgré la douleur et les risques d’infection ? Tu seras une princesse… Ah bon ? Une petite fille rêve de pendentifs, de pierres multicolor­es, de perles ou d’anneau et on lui répond pistolet, agrafeuse, aiguille, poinçon. Marie-Laure, la petite trentaine, se souvient avec effroi de son perçage d’oreilles, à l’âge de 5 ans : “J’étais complèteme­nt folle de ces boucles d’oreille Minnie. Ma mère me les avait offertes à une condition : que je me fasse percer les oreilles. Pour moi, c’était un truc super coquet, les boucles d’oreille. Je n’avais pas du tout assimilé ça à une machine, à du bruit et à avoir mal. Dans ma tête, j’allais aller quelque part, on allait me mettre mes boucles et j’allais ressortir toute mimi, trop belle et trop contente. Je suis allée gaiement un mercredi après-midi dans une bijouterie avec ma mère. Le mec a commencé à m’expliquer ce qu’il allait faire, j’ai commencé à pleurer, je disais : ‘Non, je ne veux plus le faire !’ Je voulais juste avoir les boucles comme un trésor. Ma mère a essayé de me calmer, du coup il a fait la première. J’ai hurlé, je n’arrivais plus à m’arrêter. Je ne sais

“J’ai hurlé, je n’arrivais plus à m’arrêter. Je ne sais pas si j’ai eu vraiment mal, mais j’ai trouvé ça totalement traumatisa­nt.” Marie-Laure

pas si j’ai eu vraiment mal, mais j’ai trouvé ça totalement traumatisa­nt.” À douze ans, pourtant, Marie-Laure reçoit une paire de boucles d’oreille qu’elle portera pendant des années. Aujourd’hui, elle ne sort jamais sans ses créoles et elle a même failli se faire percer l’oreille une deuxième fois. Cléa, elle aussi, s’est retrouvée avec un seul trou aux oreilles pendant plusieurs années. Elle l’a très mal vécu. “C’est mon père et ma grand-mère qui ont décidé qu’il fallait me faire percer les oreilles. Je devais avoir 6 ans. La dame m’a assise et m’a percé l’oreille avec l’horrible agrafeuse. J’ai hurlé, hurlé, hurlé. Mon père et ma grand-mère m’ont ramenée à la maison. Ma mère était furieuse de me voir revenir avec une seule oreille percée.” Les parents de Cléa sont tous les deux d’origine italienne. Elle se souvient des vacances en Sicile avec sa famille, ses cousines si féminines avec leurs boucles d’oreille. “De vraies petites filles catholique­s ! Là-bas, on offre beaucoup d’or aux jeunes filles pour les baptêmes, les communions. J’étais un vrai petit mec et je détestais ça. Je sais que ma grand-mère avait un peu honte de moi. En fait, je ressemblai­s à mon père. Il avait une boucle d’oreille à l’époque, en mode année 1990 avec des jeans troués à la Lavilliers…” C’est la mère de Cléa qui, au bout d’un an, finira par régler le problème. Retour à la bijouterie : “La bijoutière m’a montré la fameuse agrafeuse et elle me l’a mise au doigt en me disant : ‘Tu vois ça ne fait

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