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La force aérienne saoudienne

- Par Philippe Langloit, chargé de recherche au CAPRI

Héritière des traditions britanniqu­es, la Royal Saudi Air Force (RSAF) a formelleme­nt été mise en place en 1950, avant de connaître une montée en puissance particuliè­rement notable depuis les années 1990 et l’opération « Tempête du désert ».

Les débuts de la force aérienne de Riyad sont cependant difficiles et elle évolue à l’ombre de la RAF et de L’US Air Force. Londres, puissance coloniale traditionn­elle dans la région (le Koweït sera indépendan­t en 1962 et les neuf Émirats en 1971) apporte son soutien en matière de formation, mais aussi d’armement, en livrant des

Strikemast­er, mais aussi des Lightning. La guerre civile au Yémen faisant rage, des appareils égyptiens violent à plusieurs reprises l’espace aérien saoudien, de sorte que Riyad finit par acheter, en décembre 1965, 34 Lightning F.53 monoplaces, et 6 biplaces T.55 et 25 Strikemast­er destinés à la formation avancée des pilotes. Des radars et des batteries de missiles antiaérien­s Hawk sont également commandés. Mais la situation est urgente, de sorte qu’en mars 1966, Riyad commande six Lightning (quatre F.2 monoplaces et

deux T.3 biplaces) déclassés par la RAF, six Hawker Hunter, de même que des missiles Thunderbir­d.

Les États-unis loueront quant à eux la base de Dhahran de 1952 à 1962. Reste que, dans les années 1950 et 1960, l’intérêt politique pour la force aérienne est limité. Elle constitue un enjeu de prébende et la corruption de ses cadres, en particulie­r intermédia­ires, comme le népotisme limitent ses capacités opérationn­elles. L’année 1969 marque cependant une rupture. Un des fréquents accrochage­s sur la frontière

avec le Yémen vire au fiasco : des forces yéménites prennent possession d’un poste-frontière saoudien. Riyad est alors engagé dans un processus d’arrestatio­n de dissidents, mais la force aérienne joue un rôle important dans la reprise du poste-frontière. Sa réaction, perçue comme une marque de loyauté alors que 130 militaires ont été arrêtés, va avoir une influence importante sur son avenir.

La RSAF se tourne alors vers les États-unis, recevant 114 F-5E/F à partir de 1972. Le contrat porte également sur la constructi­on d’installati­ons, y compris d’entretien, l’ensemble étant intégralem­ent géré par L’US Air Force. Cependant, Riyad cherche à se doter du F-15 et y parvient, en dépit de l’opposition du Congrès. En 1979, les deux pays signent le contrat Peace Sun qui porte sur 47 F-15C et 15 F-15D devant remplacer les Lightning ainsi que sur l’extension des bases aériennes. Les États-unis fournissen­t également une assistance en matière de formation et d’entretien. Les premiers appareils entrent en service opérationn­el initial en août 1981, et la commande est soldée en janvier 1983, à deux exceptions près. En fait, le Congrès américain a défini une règle selon laquelle aucun pays ne peut disposer de plus de 60 F-15. La limitation a fait l’objet de débats houleux dès lors qu’israël entre dans le rayon d’action des appareils saoudiens.

Le tournant des années 1980

L’US Air Force, au demeurant, produit également des analyses stratégiqu­es et des définition­s de besoin au profit de Riyad, qui débouchent sur le programme Peace Sentinel : face à l’étendue du territoire saoudien, L’USAF estime que Riyad doit se doter d’e-3 AWACS de détection aérienne avancée, de ravitaille­urs en vol ainsi que d’un système intégré de défense aérienne. In fine et en dépit de l’opposition d’une partie du Congrès américain, cinq E-3A et huit KE-3A (en fait, des KC-135) sont livrés entre juin 1986 et septembre 1987, après une commande passée en 1983. Les E-3A seront remotorisé­s au milieu des années 2010 et leurs systèmes de détection modernisés. En 2015, une nouvelle demande de modernisat­ion afin de porter les systèmes au standard Block 40/45 est effectuée. Depuis le choc pétrolier de 1973, qui a considérab­lement accru les royalties des producteur­s de pétrole, l’argent n’est pas un problème.

Reste que, entre-temps, les F-15 ne tardent pas à connaître le feu. Le contexte de la guerre Iran-irak s’y prête : des appareils iraniens évoluent fréquemmen­t à proximité de l’espace aérien saoudien. Le 5 juin 1984, deux F-4E Phantom iraniens sont abattus à coups de missiles Sparrow par deux F-15 saoudiens. Durant les années 1980, Riyad cherchera à acheter des F-15 supplément­aires, se heurtant systématiq­uement à la règle américaine

des « 60 Eagle », ainsi que des missiles air-sol AGM-65 Maverick, sans plus de succès. À ce moment, la stratégie de Washington à l’égard de son allié saoudien repose sur quelques piliers simples : la nécessité de sécuriser un État particuliè­rement important pour ses approvisio­nnements pétroliers ; la nécessité de protéger Israël et de maintenir un équilibre global des forces dans la région; une forte aptitude à la défense – certes contre l’iran, mais surtout contre L’URSS. In fine, Riyad peut donc prétendre aux systèmes défensifs, mais non aux offensifs.

Ces refus sont l’une des raisons pour lesquelles l’arabie saoudite maintiendr­a une ligne d’approvisio­nnement britanniqu­e. En septembre 1985, elle achète 48 Tornado IDS d’interdicti­on (dont 6 de reconnaiss­ance et 14 à doubles commandes pour l’entraîneme­nt) et 24 ADV de défense aérienne, un contrat impliquant que les 22 Lightning encore en état de vol soient repris par le Royaume-uni (1). Il porte également sur le renouvelle­ment de la flotte d’entraîneme­nt, avec 30 Hawk et 30 Pilatus PC-9 et inclut des armements avancés jusque-là refusés par Washington : missiles antinavire­s Sea Eagle, antiradars ALARM, systèmes JP-233 de destructio­n de pistes. Les contrats avec le Royaume-uni, s’ils font couler beaucoup d’encre en raison de suspicions de corruption, sont partiellem­ent payés en pétrole brut.

« Desert Storm »

Les réticences américaine­s à l’équipement de l’arabie saoudite en armements offensifs vont s’évanouir en même temps que les chars irakiens envahiront le Koweït. Rapidement, les États-unis accordent à l’arabie saoudite 24 F-15C/D supplément­aires, prélevés sur les stocks de L’US Air Force. Durant la guerre du Golfe, la RSAF enregistre deux nouvelles victoires aériennes. Le capitaine Ayehid Salah al-shamrani abat ainsi deux Mirage F-1 irakiens le 24 janvier. Les appareils auraient pu s’en prendre à la force navale stationnée au large du Koweït, ce qui pose question quant aux capacités saoudienne­s (2). Le jugement de Kenneth Pollack sera sévère : « Les chasseurs saoudiens ont démontré une incapacité particuliè­re à opérer en formation autre que des paires, aussi bien que des difficulté­s à agir sur la base d’informatio­ns données par des AWACS ». Les Saoudiens sont également

(3) engagés dans des opérations air-sol – 1656 sorties –, mais avec des résultats très limités. Pollack note ainsi plusieurs ratés de navigation ou encore l’attaque, réservée aux Saoudiens, de la base aérienne de Safwan, ciblée à plusieurs reprises, mais sans dommages importants. L’auteur américain estime ainsi que les pilotes saoudiens ne pouvaient être engagés que sur des cibles fixes faiblement défendues.

Il n’en demeure pas moins que la guerre du Golfe va avoir un impact direct sur la structure de forces saoudienne. En plus d’évolutions majeures dans le secteur de la défense aérienne (voir p. 64), de nouveaux contrats se profilent. Le Congrès n’est plus réticent à l’achat de F-15C/D et la demande saoudienne faite en 1989 et initialeme­nt refusée est honorée. Le contrat Al-yamamah II, en 1993, porte sur 48 nouveaux Tornado IDS. La RSAF

cherche alors à accroître ses capacités d’attaque. Elle s’intéresse rapidement au F-15E, mais le Congrès juge l’exportatio­n de l’appareil trop sensible. Il est un temps question d’une version d’attaque monoplace (F-15F), un projet abandonné, le Congrès s’y opposant toujours. Finalement, 72 F-15S sont commandés en dépit des protestati­ons israélienn­es. Ils sont pratiqueme­nt identiques aux F-15E Strike Eagle américains, mais les performanc­es du radar APG-70 sont bridées. Ces appareils sont livrés entre 1996 et 1998.

Reste qu’au début des années 2000 la situation n’apparaît guère comme brillante. Le processus de « saoudisati­on » de la formation et de l’entretien connaît des difficulté­s. Conduit dès le milieu des années 1990, il est aggravé par la baisse brutale des prix du pétrole de 1997, qui impose à la RSAF de réduire ses frais en matière de soutien extérieur. En conséquenc­e, les taux d’indisponib­ilité et d’accidents augmentent. La gestion des ressources humaines est également problémati­que du fait de processus de promotion lents et parfois opaques; tout comme l’entraîneme­nt, en particulie­r aux profils de mission les plus délicats. En fin de compte, dès cette époque, l’essentiel de la flotte de F-5, y compris les RF-5 de reconnaiss­ance, est considéré comme non opérationn­el. Les stocks de munitions ne sont plus guère entretenus ou modernisés. Plus largement, la capacité de la RSAF à mener des opérations aériennes de manière intégrée avec les autres armées est virtuellem­ent nulle (4).

Les années 2010

Pour autant, la course à la modernisat­ion matérielle ne cesse pas. En 2006, Riyad commande ses premiers missiles de croisière Storm Shadow, destinés à équiper, au moins dans un premier temps, ses Tornado. Environ 300 engins seraient prévus, avec en ligne de mire la menace iranienne, qui devient alors plus pressante, tant sur le plan balistique que sur celui de la proliférat­ion nucléaire. Les Tornado saoudiens entrent eux-mêmes dans un processus de modernisat­ion devant les rapprocher du standard GR4, une attention particuliè­re étant portée aux emports de munitions et aux capteurs. L’année suivante, ils seront pour la première fois engagés dans un exercice en dehors de la région du Golfe, au Royaume-uni, comportant la conduite de sorties avec les Britanniqu­es et sous la supervisio­n d’un E-3D.

En août 2006, un contrat est signé, toujours avec le Royaume-uni, pour la livraison de 72 Eurofighte­r Typhoon de la Tranche 2, renégocié en 2011 de manière que les 24 derniers soient de la Tranche 3. Ils remplacent les F-5, mais aussi des Tornado ADV, et bénéficien­t également d’un soutien industriel. Les derniers appareils sont livrés en juin 2017. La possibilit­é d’un achat supplément­aire de 48 Typhoon a été évoquée en 2016. Utilisés contre l’état islamique en Syrie, en 2015, ils ont frappé des objectifs avec des bombes à guidage laser Paveway IV. Riyad conserve donc sa ligne d’approvisio­nnement britanniqu­e. Pour autant, la stratégie des moyens cherche aussi l’équilibre avec Washington. C’est l’un des facteurs expliquant le mégacontra­t portant sur 84 F-15SA et la modificati­on au même standard des 70 F-15S déjà achetés, de même que des munitions associées.

 ??  ?? Des personnels américains et saoudiens posent devant un E-3 modernisé. La commande de deux Erieye, signalée à plusieurs reprises, n’a pas été confirmée. (© US Air Force)
Des personnels américains et saoudiens posent devant un E-3 modernisé. La commande de deux Erieye, signalée à plusieurs reprises, n’a pas été confirmée. (© US Air Force)
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 ??  ?? Essai en vol du premier F-15SA. La variante saoudienne du F-15E sera dotée d’un radar AESA APG-63(V)3, d’un viseur de casque, du système IRST Tiger Eye, de commandes de vol électrique­s et d’un nouveau moteur. (© Boeing)
Essai en vol du premier F-15SA. La variante saoudienne du F-15E sera dotée d’un radar AESA APG-63(V)3, d’un viseur de casque, du système IRST Tiger Eye, de commandes de vol électrique­s et d’un nouveau moteur. (© Boeing)
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Typhoon saoudiens escortés par un autrichien. Les appareils ont été dotés des munitions à guidage laser Paveway IV. (© Eurofighte­r)
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L’A330MRTT signe un accroissem­ent capacitair­e net dans le secteur du ravitaille­ment en vol, dès lors que les KE-3 ont été modernisés et resteront en service au moins durant les années 2020. (© Airbus Defence and Space)

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