La force aérienne saoudienne
Héritière des traditions britanniques, la Royal Saudi Air Force (RSAF) a formellement été mise en place en 1950, avant de connaître une montée en puissance particulièrement notable depuis les années 1990 et l’opération « Tempête du désert ».
Les débuts de la force aérienne de Riyad sont cependant difficiles et elle évolue à l’ombre de la RAF et de L’US Air Force. Londres, puissance coloniale traditionnelle dans la région (le Koweït sera indépendant en 1962 et les neuf Émirats en 1971) apporte son soutien en matière de formation, mais aussi d’armement, en livrant des
Strikemaster, mais aussi des Lightning. La guerre civile au Yémen faisant rage, des appareils égyptiens violent à plusieurs reprises l’espace aérien saoudien, de sorte que Riyad finit par acheter, en décembre 1965, 34 Lightning F.53 monoplaces, et 6 biplaces T.55 et 25 Strikemaster destinés à la formation avancée des pilotes. Des radars et des batteries de missiles antiaériens Hawk sont également commandés. Mais la situation est urgente, de sorte qu’en mars 1966, Riyad commande six Lightning (quatre F.2 monoplaces et
deux T.3 biplaces) déclassés par la RAF, six Hawker Hunter, de même que des missiles Thunderbird.
Les États-unis loueront quant à eux la base de Dhahran de 1952 à 1962. Reste que, dans les années 1950 et 1960, l’intérêt politique pour la force aérienne est limité. Elle constitue un enjeu de prébende et la corruption de ses cadres, en particulier intermédiaires, comme le népotisme limitent ses capacités opérationnelles. L’année 1969 marque cependant une rupture. Un des fréquents accrochages sur la frontière
avec le Yémen vire au fiasco : des forces yéménites prennent possession d’un poste-frontière saoudien. Riyad est alors engagé dans un processus d’arrestation de dissidents, mais la force aérienne joue un rôle important dans la reprise du poste-frontière. Sa réaction, perçue comme une marque de loyauté alors que 130 militaires ont été arrêtés, va avoir une influence importante sur son avenir.
La RSAF se tourne alors vers les États-unis, recevant 114 F-5E/F à partir de 1972. Le contrat porte également sur la construction d’installations, y compris d’entretien, l’ensemble étant intégralement géré par L’US Air Force. Cependant, Riyad cherche à se doter du F-15 et y parvient, en dépit de l’opposition du Congrès. En 1979, les deux pays signent le contrat Peace Sun qui porte sur 47 F-15C et 15 F-15D devant remplacer les Lightning ainsi que sur l’extension des bases aériennes. Les États-unis fournissent également une assistance en matière de formation et d’entretien. Les premiers appareils entrent en service opérationnel initial en août 1981, et la commande est soldée en janvier 1983, à deux exceptions près. En fait, le Congrès américain a défini une règle selon laquelle aucun pays ne peut disposer de plus de 60 F-15. La limitation a fait l’objet de débats houleux dès lors qu’israël entre dans le rayon d’action des appareils saoudiens.
Le tournant des années 1980
L’US Air Force, au demeurant, produit également des analyses stratégiques et des définitions de besoin au profit de Riyad, qui débouchent sur le programme Peace Sentinel : face à l’étendue du territoire saoudien, L’USAF estime que Riyad doit se doter d’e-3 AWACS de détection aérienne avancée, de ravitailleurs en vol ainsi que d’un système intégré de défense aérienne. In fine et en dépit de l’opposition d’une partie du Congrès américain, cinq E-3A et huit KE-3A (en fait, des KC-135) sont livrés entre juin 1986 et septembre 1987, après une commande passée en 1983. Les E-3A seront remotorisés au milieu des années 2010 et leurs systèmes de détection modernisés. En 2015, une nouvelle demande de modernisation afin de porter les systèmes au standard Block 40/45 est effectuée. Depuis le choc pétrolier de 1973, qui a considérablement accru les royalties des producteurs de pétrole, l’argent n’est pas un problème.
Reste que, entre-temps, les F-15 ne tardent pas à connaître le feu. Le contexte de la guerre Iran-irak s’y prête : des appareils iraniens évoluent fréquemment à proximité de l’espace aérien saoudien. Le 5 juin 1984, deux F-4E Phantom iraniens sont abattus à coups de missiles Sparrow par deux F-15 saoudiens. Durant les années 1980, Riyad cherchera à acheter des F-15 supplémentaires, se heurtant systématiquement à la règle américaine
des « 60 Eagle », ainsi que des missiles air-sol AGM-65 Maverick, sans plus de succès. À ce moment, la stratégie de Washington à l’égard de son allié saoudien repose sur quelques piliers simples : la nécessité de sécuriser un État particulièrement important pour ses approvisionnements pétroliers ; la nécessité de protéger Israël et de maintenir un équilibre global des forces dans la région; une forte aptitude à la défense – certes contre l’iran, mais surtout contre L’URSS. In fine, Riyad peut donc prétendre aux systèmes défensifs, mais non aux offensifs.
Ces refus sont l’une des raisons pour lesquelles l’arabie saoudite maintiendra une ligne d’approvisionnement britannique. En septembre 1985, elle achète 48 Tornado IDS d’interdiction (dont 6 de reconnaissance et 14 à doubles commandes pour l’entraînement) et 24 ADV de défense aérienne, un contrat impliquant que les 22 Lightning encore en état de vol soient repris par le Royaume-uni (1). Il porte également sur le renouvellement de la flotte d’entraînement, avec 30 Hawk et 30 Pilatus PC-9 et inclut des armements avancés jusque-là refusés par Washington : missiles antinavires Sea Eagle, antiradars ALARM, systèmes JP-233 de destruction de pistes. Les contrats avec le Royaume-uni, s’ils font couler beaucoup d’encre en raison de suspicions de corruption, sont partiellement payés en pétrole brut.
« Desert Storm »
Les réticences américaines à l’équipement de l’arabie saoudite en armements offensifs vont s’évanouir en même temps que les chars irakiens envahiront le Koweït. Rapidement, les États-unis accordent à l’arabie saoudite 24 F-15C/D supplémentaires, prélevés sur les stocks de L’US Air Force. Durant la guerre du Golfe, la RSAF enregistre deux nouvelles victoires aériennes. Le capitaine Ayehid Salah al-shamrani abat ainsi deux Mirage F-1 irakiens le 24 janvier. Les appareils auraient pu s’en prendre à la force navale stationnée au large du Koweït, ce qui pose question quant aux capacités saoudiennes (2). Le jugement de Kenneth Pollack sera sévère : « Les chasseurs saoudiens ont démontré une incapacité particulière à opérer en formation autre que des paires, aussi bien que des difficultés à agir sur la base d’informations données par des AWACS ». Les Saoudiens sont également
(3) engagés dans des opérations air-sol – 1656 sorties –, mais avec des résultats très limités. Pollack note ainsi plusieurs ratés de navigation ou encore l’attaque, réservée aux Saoudiens, de la base aérienne de Safwan, ciblée à plusieurs reprises, mais sans dommages importants. L’auteur américain estime ainsi que les pilotes saoudiens ne pouvaient être engagés que sur des cibles fixes faiblement défendues.
Il n’en demeure pas moins que la guerre du Golfe va avoir un impact direct sur la structure de forces saoudienne. En plus d’évolutions majeures dans le secteur de la défense aérienne (voir p. 64), de nouveaux contrats se profilent. Le Congrès n’est plus réticent à l’achat de F-15C/D et la demande saoudienne faite en 1989 et initialement refusée est honorée. Le contrat Al-yamamah II, en 1993, porte sur 48 nouveaux Tornado IDS. La RSAF
cherche alors à accroître ses capacités d’attaque. Elle s’intéresse rapidement au F-15E, mais le Congrès juge l’exportation de l’appareil trop sensible. Il est un temps question d’une version d’attaque monoplace (F-15F), un projet abandonné, le Congrès s’y opposant toujours. Finalement, 72 F-15S sont commandés en dépit des protestations israéliennes. Ils sont pratiquement identiques aux F-15E Strike Eagle américains, mais les performances du radar APG-70 sont bridées. Ces appareils sont livrés entre 1996 et 1998.
Reste qu’au début des années 2000 la situation n’apparaît guère comme brillante. Le processus de « saoudisation » de la formation et de l’entretien connaît des difficultés. Conduit dès le milieu des années 1990, il est aggravé par la baisse brutale des prix du pétrole de 1997, qui impose à la RSAF de réduire ses frais en matière de soutien extérieur. En conséquence, les taux d’indisponibilité et d’accidents augmentent. La gestion des ressources humaines est également problématique du fait de processus de promotion lents et parfois opaques; tout comme l’entraînement, en particulier aux profils de mission les plus délicats. En fin de compte, dès cette époque, l’essentiel de la flotte de F-5, y compris les RF-5 de reconnaissance, est considéré comme non opérationnel. Les stocks de munitions ne sont plus guère entretenus ou modernisés. Plus largement, la capacité de la RSAF à mener des opérations aériennes de manière intégrée avec les autres armées est virtuellement nulle (4).
Les années 2010
Pour autant, la course à la modernisation matérielle ne cesse pas. En 2006, Riyad commande ses premiers missiles de croisière Storm Shadow, destinés à équiper, au moins dans un premier temps, ses Tornado. Environ 300 engins seraient prévus, avec en ligne de mire la menace iranienne, qui devient alors plus pressante, tant sur le plan balistique que sur celui de la prolifération nucléaire. Les Tornado saoudiens entrent eux-mêmes dans un processus de modernisation devant les rapprocher du standard GR4, une attention particulière étant portée aux emports de munitions et aux capteurs. L’année suivante, ils seront pour la première fois engagés dans un exercice en dehors de la région du Golfe, au Royaume-uni, comportant la conduite de sorties avec les Britanniques et sous la supervision d’un E-3D.
En août 2006, un contrat est signé, toujours avec le Royaume-uni, pour la livraison de 72 Eurofighter Typhoon de la Tranche 2, renégocié en 2011 de manière que les 24 derniers soient de la Tranche 3. Ils remplacent les F-5, mais aussi des Tornado ADV, et bénéficient également d’un soutien industriel. Les derniers appareils sont livrés en juin 2017. La possibilité d’un achat supplémentaire de 48 Typhoon a été évoquée en 2016. Utilisés contre l’état islamique en Syrie, en 2015, ils ont frappé des objectifs avec des bombes à guidage laser Paveway IV. Riyad conserve donc sa ligne d’approvisionnement britannique. Pour autant, la stratégie des moyens cherche aussi l’équilibre avec Washington. C’est l’un des facteurs expliquant le mégacontrat portant sur 84 F-15SA et la modification au même standard des 70 F-15S déjà achetés, de même que des munitions associées.