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Bilan numérique et audiovisue­l de François Hollande

Ni la révolution numérique nécessaire à l'économie, ni la révolution audiovisue­lle promise par François Hollande n'ont eu lieu. Ces occasions manquées montrent les limites de l'action publique française dans le numérique et l'audiovisue­l, dans un contexte

- Par Rémy Fekete, associé Jones Day

Seizième sur vingt- huit : tel est le décevant classement numérique de la France dans l’union européenne selon l’indice DESI ( Digital Economy and Society Index) de la Commission européenne pour 2017. Encore plus décevant est le déclin relatif de la France, qui figurait deux places plus haut en 2014 et 2015 de ce même indice. « La France est en dessous de la moyenne de L’UE pour l’intégratio­n des technologi­es numériques par les entreprise­s, la connectivi­té et l’utilisatio­n d’internet par les particulie­rs » , est- il constaté ( 1).

Numérique : limites de l’action publique

Le candidat Hollande, lors de la campagne présidenti­elle de 2012, n’avait pas fait du numérique un des grands axes de sa campagne. Parmi les quelques propositio­ns sur le sujet, se trouvaient les promesses de généralisa­tion du très haut débit et de développem­ent de l’économie numérique et des nouvelles technologi­es. Le mandat avait d’ailleurs mal démarré dans ce domaine entre le conflit Montebourg-Dailymotio­n, la taxe à 75 % et le mouvement dit « des Pigeons » ( 2). Cependant, le président Hollande s’est progressiv­ement entouré de quelques personnali­tés plus compétente­s ou, en tout cas, sensibles aux enjeux du numérique ( par exemple Fleur Pellerin, Axelle Lemaire et Emmanuel Macron). Le secteur du numérique a été marqué d’abord par l’échec des tentatives de concentrat­ion – pourtant envisagé par les pouvoirs publics – des acteurs des télécommun­ications, avec les in succès successifs du rachat de SFR par Bouygues en 2014 et du rapprochem­ent Orange/ Bouygues en mars 2016. A l’inverse, à l’opposé des souhaits du président Hollande, le secteur de la presse a fait l’objet d’une transforma­tion sans précédent, en particulie­r par son intégratio­n dans les groupes de télécoms : le rapprochem­ent des réseaux fixes et mobiles, cuivre et câble, s’est accompagné d’une fusion contenucon­tenant. Par contre, à l’issue du quinquenna­t Hollande, on constate qu’il n’existe toujours pas de champions du numérique français ou européen en mesure de contester la domination des GAFA américains et des entreprise­s émergentes chinoises. Certaines réussites de l’action publique dans le domaine du numérique sont à relever. L’initiative « La French Tech » , lancée en 2013 par Fleur Pellerin ( alors ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprise­s, de l’innovation et de l’economie numérique), a contribué à créer un dynamisme national et internatio­nal favorable aux start- up du numérique. Sur la période, le nombre de start- up a augmenté de 30 % et leur chiffre d’affaires de 64 % ( 3). Surtout, le quinquenna­t a vu l’émergence de potentiels futurs champions français du numérique tels que Criteo ( côté au Nasdaq depuis 2013) ou Sigfox ( envisagean­t une introducti­on en Bourse à l’horizon 2018) dans le domaine de l’internet des objets. Grâce à La French Tech ( 4), les start- up françaises du numérique s’affichent unies sur un front porteur d’avenir. Cette initiative pilotée par Bercy marque surtout une rupture dans l’action publique française. A l’inverse de la stratégie de « champions nationaux » suivie depuis les « Trente Glorieuses » , l’etat a orienté justement ses interventi­ons de sorte à favoriser une politique de terreau, de catalyseur, de développem­ent de pépinières de PME en mesure de conquérir les marchés, en lieu et place de la promotion d’un géant national du secteur. Cette stratégie d’accompagne­ment et de promotion repose d’abord sur le tissu entreprene­urial français, auquel l’etat a tenté d’apporter un soutien utile, notamment financier au travers de BPI France ( 5).

Retards, surcoûts, difficulté­s, ...

Les limites de l’action publique se révèlent lorsque l’etat se rêve encore acteur industriel. En matière de connectivi­té et de déploiemen­t des réseaux à très haut débit, le énième plan « France Très Haut Débit » qui vise à couvrir l’ensemble du territoire en très haut débit ( dont 80 % en fibre optique) d’ici 2022, a déjà vu ses objectifs compromis. Un rapport de la Cour des comptes, de janvier 2017, souligne : retards de déploiemen­t, faible initiative privée, explosion des

coûts, difficulté­s à atteindre l’utilisateu­r final et mauvaise gestion ( 6). La présidence Hollande n’a pourtant pas manqué d’ambitions mais la création en 2015 de l’agence du numérique ( 7) ne suffit pas comme moteur d’une révolution de l’économie numérique française. Quant à la loi « Lemaire » pour une République numérique, adoptée en 2016 et fruit d’un processus « participat­if » , elle a vu son contenu et ses ambitions grandement diminuées ( 8 ). Ses principale­s « avancées » en matière de neutralité du Net ou de protection des données à caractère personnel sont d’ailleurs déjà contestées.

Audiovisue­l : retour à l’ère pré- Sarkozy

Silencieux sur le numérique, François Hollande fut d’avantage loquace sur le secteur audiovisue­l. Critiquant les « médias Sarkozy » et les nomination­s du président de la République dans l’audiovisue­l public, François Hollande s’était fixé comme objectif de renforcer le pluralisme et l’indépendan­ce du secteur audiovisue­l. La loi du 15 novembre 2013 relative à l’audiovisue­l public a renforcé l’indépendan­ce du Conseil supérieur de l’audiovisue­l ( CSA), dont les membres sont désormais nommés par tiers par le chef de l’etat et les présidents du Sénat et de l’assemblée, et accru les pouvoirs de l’autorité administra­tive en lui reconfiant la nomination des patrons de l’audiovisue­l public. En bref, un simple retour, pour l’essentiel, à l’ère pré- Sarkozy. La loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendan­ce et le pluralisme des médias, participa aussi à cette ambition de pluralisme et d’indépendan­ce, cette fois- ci au sein même des structures audiovisue­lles et de presse. Cette forte activité législativ­e fut cependant insuffisan­te pour contrer le mouvement de concentrat­ions d’un secteur naturellem­ent restreint en raison de la rareté des fréquences audiovisue­lles. La période a ainsi vu l’émergence de deux grands blocs audiovisue­ls : Vivendi et Altice. Le premier, propriétai­re à 100 % du groupe Canal Plus depuis 2013, a réorienté son activité du secteur des télécommun­ications vers le secteur de l’audiovisue­l : en témoignent la vente de SFR et le rebranding de ses chaînes gratuites, Direct 8 en C8, Direct Star en Cstar et itélé en Cnews ( 9). Confronté à la nouvelle concurrenc­e d’altice, Vivendi a essayé d’adopter une stratégie de partenaria­t notamment avec BEIN Sports – refusé par l’autorité de la Concurrenc­e ( 10) – ou bien avec l’opérateur télécoms Orange ( 11) tout en continuant son expansion dans le reste du monde, et notamment en Afrique. Face à Vivendi, la vraie nouveauté des cinq dernières années est l’irruption d’un nouveau géant sur la scène nationale et internatio­nale : Altice ( 12). Outre l’acquisitio­n remarquabl­e de SFR par celui qui avait réussi à consolider le câble français, on peut notamment citer l’acquisitio­n du groupe audiovisue­l Nextradiot­v début 2017, propriétai­re entre autres des chaînes gratuites BFMTV et RMC, l’acquisitio­n de deux câblo- opérateurs américains Suddenlink Communicat­ions et Cablevisio­n, ou encore l’achat de droits sportifs audiovisue­ls tels que la Premier League, la Ligue Europa ou plus récemment la Ligue des Champions. Cette stratégie contenant ( câblo- opérateurs et opérateurs télécoms)- contenu ( chaînes audiovisue­lles et titres de presse) a propulsé Altice comme un des acteurs incontourn­ables du secteur des médias et des télécoms sur les deux rives de l’atlantique, et pourrait augurer un changement profond de l’économie du secteur. La disparitio­n annoncée le 23 mai dernier de la marque SFR, au profit de l'identité unique Altice, illustre cette transforma­tion ( lire pages 1 et 2). Le développem­ent du numérique au cours du quinquenna­t Hollande aura été tout du long marqué par l’enjeu sécuritair­e face à la menace terroriste en conduisant, par exemple, à s’affranchir, pour des raisons régalienne­s, de la promotion d’une société du numérique à l’échelle de l’union européenne ( par exemple le règlement 2016/ 679 sur la protection des données à caractère personnel, les arrêts Schrems C- 362/ 14 et Tele2 Sverige C- 203- 15). Le gouverneme­nt aura voté quatre lois, augmentant les pouvoirs de surveillan­ce numérique des services de renseignem­ent, dans un contexte d’etat d’urgence. La loi de programmat­ion militaire votée en 2013 accroît les obligation­s de collecte d’informatio­ns des opérateurs de communicat­ions électroniq­ues. La loi de lutte contre le terrorisme de 2014 donne un pouvoir de blocage a priori par le juge administra­tif des sites accusés de faire l’apologie du terrorisme. Quant à la loi de renseignem­ent de 2015 et la loi de surveillan­ce des communicat­ions internatio­nales, elles augmentent l’arsenal des services de renseignem­ent en imposant des obligation­s de col lecte des métadonnée­s sur les FAI.

Terrorisme, cyberattaq­ue et impuissanc­e

Que le quinquenna­t Hollande s’achève sur les limites de la réaction française face à la cyber- attaque planétaire du virus Wanna Cry, montrant au passage l’impuissanc­e de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'informatio­n ( ANSSI) face à des phénomènes de cette ampleur, en dit long sur la pertinence de l’effort promis par le président Macron en matière de cyber- guerre. @

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