LE YOGA DANS LA CITÉ
Un peu partout dans la cité, des enseignants de yoga proposent des cours pour aider, accompagner, faire changer la société. Tour d’horizon de quelques-unes de ces jolies initiatives.
m Marianne Dissard est chanteuse et professeure de yoga. En février 2016, elle rejoint l’armée des bénévoles travaillant à l’« Auberge des migrants » de Calais. Modeste, elle ne se réfère pas au Karmayoga, le yoga de l’action désintéressée. Et pourtant, elle a offert des cours de yoga aux volontaires européens travaillant, comme elle, à l’auberge, lieu de soutien logistique et d’information pour les migrants de la Jungle. « Trier les colis, préparer les repas est un travail très physique et stressant. On est dans le faire, dans l’être ensemble. Et comme je suis prof, j’ai proposé aux bénévoles des cours de yoga. Tous ravis, tout comme l’auberge, qui était heureuse de se transformer en lieu de vie ». Et Marianne d’avouer : « Cette expérience m’a énormément touchée ». Gratuit dans certains centres sociaux, les cours de yoga se multiplient au sein des hôpitaux pour les patients comme pour le personnel. Il s’intègre de plus en plus à l’école, après avoir obtenu en 2013 l’agrément de l’éducation nationale. Il trouve peu à peu sa place dans les prisons. Il se diffuse un peu partout et surtout bien au-delà des salles de yoga où l’on a l’habitude de le trouver. « Le yoga peut être vraiment très utile à notre société, surtout à notre société actuelle qui est vraiment dans une forme de ténèbre et de turbulence », souligne Claude Maréchal, figure emblématique du Viniyoga.
SOIGNER AUTREMENT
Le yoga peut être un bon substitut en cas d’addiction. Emelyne Humez l’explique : « le yoga active les mêmes zones du cerveau que les drogues ». En faisant du yoga, les personnes alcooliques retrouvent ainsi un peu des sensations qu’elles ont autour d’un verre. Sauf qu’avec le yoga on se fait du bien », complète l’enseignante, diplômée du DU de yoga de l’université de Lille. Son stage de fin d’étude, elle l’a réalisé au service Addictologie de l’hôpital Brousse de Villejuif, en travaillant avec des personnes en sevrage. Pour aider les malades, Emelyne Humez a mis en place un protocole de 18 séances. Elle a dû s’adapter à leur condition physique et a beaucoup travaillé sur les postures d’équilibre afin de renforcer la stabilité physique et mentale. Elle s’est adaptée à chaque élève. « Certains étaient très nerveux, tremblaient tellement qu’il a fallu faire les postures sur une chaise ». La respiration complète leur a beaucoup plu, en les aidant à renforcer leur volonté. « La concentration est un vrai problème pour ces patients. Mais si au début du cours ils étaient fatigués, nerveux, présentaient des douleurs de la colonne vertébrale, des genoux, des cervicales, à la fin ils se disaient contents, détendus », complète la jeune enseignante. Et au final, tous les élèves ont expliqué que le yoga les a soutenus dans leur sevrage. C’est dans une structure psychiatrique du centre hospitalier de Lille, qu’estelle Leperck est intervenue auprès de 13 jeunes femmes anorexiques, âgées de 16 à 26 ans. Pour ces patientes fragiles, il faut une décision collégiale du corps médical pour autoriser la participation à une séance de yoga. « Certaines arrivent avec une sonde dans le nez. C’est assez impressionnant », avoue la jeune enseignante. Du coup, la pratique se fait toujours sous la surveillance d’une infirmière. « Guérir de ce genre de maladie est très complexe car le côté psychologique est difficile à gérer » précise Estelle Leperck. L’objectif de l’enseignante a été d’améliorer leur conscience d’elles-mêmes, pour ces jeunes filles qui sont souvent dans le déni de leur corps et se voient trois à cinq fois plus grosses qu’elles ne le sont. « Je leur propose des cours posturaux, des cours dynamiques car elles ont envie de se dépasser physiquement ». Avec l’anorexie, les muscles fondent et les raideurs s’installent. Et comme elles ont du mal à se tenir assises ou sur les genoux, elles utilisent des tapis très épais pour amortir. « En les interrogeant à la fin j’ai
« Le yoga peut être vraiment très utile à notre société, qui est dans une forme de ténèbres »
Claude Maréchal
constaté qu’elles avaient une meilleure perception d’elles, de leurs sens, de leurs émotions ». Émue, elle déclare avoir voulu modestement contribuer à leur reconstruction.
La maladie isole, et la chimiothérapie malmène le corps. Le yoga aide non seulement à soulager les douleurs, à supporter le traitement, mais permet aussi aux femmes qui font face au cancer de partager un moment de bien-être, ensemble. À Bordeaux, d’un cancer, en cours de traitement ou venant de le terminer. Chaque semaine, Stéphanie Loÿ encadre une dizaine d’entre elles. Très fatiguées, souffrant de troubles du sommeil ou digestifs liés à leur traitement, « elles sont peu habituées à faire du yoga, sont souvent déconnectées de leur corps et ont perdu confiance en elles ». L’enseignante travaille beaucoup sur la relaxation avec visualisation ». Résultat, « le yoga leur redonne de l’énergie, de la confiance pour retrouver un lien avec leur corps ». Elle constate que la douleur a diminué de 60 %. « Moins de stress, donc moins de douleurs ». Et c’est un succès, puisqu’en général elles ont envie de poursuivre le yoga une fois le traitement terminé. Car si les douleurs s’estompent, les angoisses et les peurs persistent même après la fin du traitement.
SE SENTIR PLUS EN PAIX
La prison est un milieu hostile où règne la violence, souvent générée par la peur. Peur de l’autre, peur de perdre le contrôle. « Le yoga permet la transformation de pulsions violentes, la disparition de la peur, l’ouverture à l’empathie, à l’amour et à la paix intérieure » estime Pauline Buisson. En 2015, cette Française intervient dans la prison de Otisville, à deux heures de New York. Pour la première fois, l’administration pénitentiaire américaine accepte que des détenus accèdent à une formation de professeurs de yoga. Formée à l’école Sivananda et engagée dans l’humanitaire, Pauline va donc, pendant Bienveillance, compassion, respect mutuel, soutien physique et émotionnel, sentiment d’appartenance, communication positive… sont autant de valeurs humaines universelles véhiculées par l’acroyoga, cette pratique qui réunit la sagesse du yoga, la dynamique des acrobaties et le bien-être du massage thaï traditionnel. Depuis 2008, un collectif d’acroyogis de différentes nationalités a décidé de partager ces valeurs avec des personnes qui n’ont pas forcément été gâtées par la vie, à travers Circle Up, un projet initié par l’enseignant d’acroyoga espagnol Oliver Chamorro. « Nous avons enseigné dans des camps de réfugiés en Jordanie l’été dernier, mais aussi dans des prisons espagnoles et thaïlandaises, dans des hôpitaux en Argentine, dans des écoles en Palestine, des orphelinats au Liban, des ashrams en Inde », explique Oliver, solide et joyeux trentenaire. Femmes, enfants, hommes… des centaines de personnes défavorisées et complètement débutantes en Acroyoga ont pu cultiver la joie, la confiance en soi et les autres, le potentiel intérieur, la connexion à travers le mouvement conscient et le jeu. Ils ont pu redorer leur estime de soi, redécouvrir l’amitié, et même évacuer une partie du stress post-traumatique lié aux situations tragiques qu’ils avaient vécues. « Lorsque j’ai découvert l’acroyoga, j’ai su que j’avais là un outil précieux pour aider les gens à moins souffrir », nous dit Oliver, ancien travailleur social « passionné par le partage de la joie ». Sonia Peltzer, acroyogini franco-américaine, a partagé cette pratique avec un groupe de femmes dans un camp de réfugiés en Jordanie, cet été. Elle se souvient : « Avec Sharon Peregrina, elle aussi enseignante certifiée, nous avons fait découvrir l’acroyoga à des femmes qui devaient se cacher pour venir pratiquer. En quatre jours, grâce à une atmosphère d’écoute et de confiance, elles se sont tellement ouvertes et révélées qu’elles voulaient toutes voler dans des postures d’acroyoga et échanger des massages ensemble. » Pour Sonia, cette pratique a le pouvoir d’aider les gens à ouvrir leur esprit, loin des impasses et luttes de leurs vies quotidiennes.
six mois, donner des cours à une quinzaine de détenus. Dans cet environnement bruyant, peuplé, chaotique, se tenir sur ses gardes, montrer de la force et contenir ses émotions est vu comme une protection nécessaire. Pourtant, jour après jour, la métamorphose s’opère et les élèves s'ouvrent progressivement. « Alors que j'ajuste un des élèves, je réalise que la plupart n'ont probablement pas été touchés de manière affectueuse depuis des années sinon des décennies », témoigne Pauline. « Vous nous donnez l’impression d’être normaux » déclare l’un deux.
Au départ, les élèves sont dans la force, mais les enseignants leur rappellent sans cesse d'être bienveillants envers eux-mêmes. Alors, rapidement, ils se détendent et lâchent prise, notamment au cours de la relaxation finale et du chant qui devient un de leurs moments préférés. En revanche, observer ses pensées et entrer en contact avec soi-même n'est pas chose facile. Un des élèves avoue que la méditation met l'accent sur ses pensées les plus noires, ressentant de la frustration, du chagrin et surtout de la culpabilité. Mais en une semaine, les stagiaires expriment un changement positif : ils commencent à exercer un contrôle sur leurs pensées, prennent du recul sur les vagues d'émotions et se sentent plus en paix. « C'est comme si on avait allumé une lumière
« Les autistes sont enfermés dans leur monde. Le yoga peut les aider à s’ouvrir »
Jackie Doble, professeure de yoga