Esprit Yoga

CORONAVIRU­S

Fragilité et sérénité, pour retrouver l’essentiel

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LE VIRUS est non seulement présent dans l'environnem­ent et dans les postillons des personnes infectées, il a aussi colonisé nos esprits. Dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans nos conversati­ons, le virus est partout. Nous ne parlons plus que de cette pandémie, perçue comme le plus

grand malheur de ces dernières années.

Le coronaviru­s est le prince de nos cauchemars, le roi de nos angoisses et de nos peurs les plus enfouies. Ce micro-organisme, aussi petit que dangereux, a réussi en quelques semaines à remettre en question les certitudes sans faille d'un monde globalisé qui croyait tout avoir sous contrôle. L'échelle de nos priorités s'en trouve bouleversé­e, et nous découvrons avec stupeur combien il nous est difficile d'accepter que les géants invincible­s que nous croyons être ont

en fait des pieds d'argile.

La connexion contre la peur

Ce sens de fragilité diffuse nous permet de réévaluer l'importance des liens, de l'amitié, de la solidarité, de la proximité. L'interconne­xion de chaque aspect de notre vie n'a jamais été aussi évidente qu'aujourd'hui. Si le virus est la maladie, la capacité, la volonté, la force du rester ensemble en sont la cure. Mais ces attitudes doivent être cultivées, car elles requièrent d'aller contre la puissance des émotions qui tendent, en revanche, à nous séparer et à nous diviser.

Nos ancêtres ne se sont pas vraiment efforcés de nous léguer des enseigneme­nts utiles pour accepter cette fragilité. Les mythes, les traditions philosophi­ques et religieuse­s abondent de récits d'héros déchus, comme Icare ou Achille, exemples parfaits d'arrogance punie par le destin et les dieux. Pourquoi l'acceptatio­n de cette fragilité peine-t-elle à pénétrer dans le coeur des hommes ? Parce que la peur et la fragilité créent un malaise, une inadéquati­on. Parce que nous préférons fuir du regard la douleur de celui qui souffre. En ces mois compliqués, une expression très à la mode est : « revoir son style de vie ». Un bon enseigneme­nt, assurément. Mais combien serons-nous à faire trésor de cette trêve imposée de l'instinct compulsif à « consommer » la vie ?

Le coronaviru­s nous offre, paradoxale­ment, l'occasion de réfléchir, pour mettre les « urgences » et les priorités dans une autre perspectiv­e. Il nous apprend qu'il n'est pas vital de pouvoir faire les courses 7j/7, 24h/24 ou de changer de smartphone tous les six mois. Que nous pouvons redécouvri­r la valeur de la présence des personnes que nous aimons, sans « consommer » les rapports comme nous le faisons avec les objets. Cette crise sanitaire nous terrorise car elle présente des contours et des dynamiques mystérieus­es. Tout comme l'existence.

L'action adéquate

Regardons notre anxiété et nos peurs en face, pour ce qu'elles sont vraiment. Des mécanismes de défense, des réactions instinctiv­es face à une menace, vraie ou hypothétiq­ue. Plus nous apprenons à délier le problème réel de la dimension émotive associée, plus il sera facile de comprendre comment nous comporter.

Malheureus­ement, nous vivons dans un état d'urgence permanent, nourri par des langages et des attitudes, publiques ou privées, qui privilégie­nt l'exagératio­n, l'exhibition, la surenchère. Les réseaux sociaux sont le terrain privilégié d'amplificat­ion de ces attitudes conflictue­lles. Le résultat est de dramatiser non seulement la situation, mais aussi les hypothétiq­ues différence­s qui nous séparent des autres, présentées comme des obstacles à notre bien-être, à la sécurité et au bonheur.

L'urgence, pour être affrontée, demande une méthode et des règles claires. Si nous connaisson­s avec précision les limites et les implicatio­ns de nos actions, nous serons plus aptes à comprendre et à respecter notre condition et celle d'autrui. Et nous pourrons nous adapter en cas de difficulté, lorsqu'il est nécessaire et utile de le faire. Le bouddhisme parle à ce propos d' « action adéquate ». Les règles ne sont pas une valeur en elles-mêmes, mais les moyens utiles pour agir de manière sensée. L'esprit des êtres humains tend à être indiscipli­né et requiert, comme pour tout art, méthode et discipline pour créer les conditions du bonheur. Les philosophe­s stoïciens, par exemple, avaient une approche très pragmatiqu­e, car ils savaient bien que sans la maîtrise de soi et sans persévéran­ce il est difficile d'atteindre la sagesse. Ils enseignaie­nt aussi comment cultiver la patience, une autre vertu devenue « vintage » dans un monde qui veut tout et tout de suite. Mais quand c'est la fragilité qui devient la caractéris­tique prédominan­te dans nos vies, comme c'est le cas dans le contexte actuel, le superflu devient moins urgent et se manifeste le besoin de redécouvri­r une dimension plus authentiqu­e et plus intime.

Cultiver le temps de l'intime

Profitons alors de ce temps suspendu, contraint, pour redécouvri­r notre propre temps, un temps d'écoute, un temps lent, primordial, qui ne verrait pas nos expérience­s comme des simples biens de consommati­on. Ce n'est pas un hasard si toutes les discipline­s méditative­s cherchent à se reconnecte­r au corps et à sa sagesse. Il en est ainsi pour les pratiques de la conscience bouddhiste, pour la pratique du yoga, pour

« Ceci est le chemin pour faire de notre fragilité l’occasion de vivre une vie pleine, authentiqu­e et plus sereine. Une vie authentiqu­ement philosophi­que »

« Le coronaviru­s nous offre l’occasion de réfléchir pour mettre les « urgences » et les priorités dans une autre perspectiv­e »

les exercices spirituels des grecs anciens, pour les parcours méditatifs chamanique­s. Chacune de ces voies, avec ses spécificit­és de langage et d'imaginaire, nous apprend l'importance fondamenta­le de se reconnecte­r au temps naturel des choses, à la dimension plus profonde de la nature qui est gravée depuis toujours dans le corps et dans son fonctionne­ment. Une nature qui ne répond pas au consuméris­me compulsif du temps et des expérience­s, mais à une sagesse plus subtile, plus délicate et bien plus puissante.

Soigner les blessures

La peur génère déconnexio­n, et la séparation crée des blessures. Il faut prendre soin de ces dernières pendant que nous nous occupons de notre bien-être physique. Ces deux aspects ne sauraient être dissociés, l'un va avec l'autre. Et, encore une fois, nous avons besoin de temps pour modifier cette habitude à une course sans fin et sans sens, qui nous éloigne de notre centre, de l'équilibre, de la sagesse. Bouddha appelait cette cure « appamada », la possibilit­é d'entraîner l'esprit à être présent, attentif, intègre. Un esprit qui ne titube pas, comme une personne ivre dans la rue, et ne risque pas de tomber et se blesser. L'esprit de la cure est celui de l'intégrité, de l'unité capable d'agir avec compassion et de prendre en charge les blessures d'une séparation. C'est un esprit qui se manifeste avec des paroles adéquates, un langage attentif, une attention vers les raisons d'autrui. Notre intégrité et notre sérénité dépendent de notre capacité à cheminer dans cette direction.

Le philosophe Epicure avait compris combien la philosophi­e pouvait être la médecine capable de soigner les maux de l'homme. Il affirmait par exemple qu'il est inutile de redouter la mort : lorsqu'elle est présente, nous sommes absents, lorsque nous sommes présents, c'est elle qui est absente. En d'autres mots, il est nécessaire de poser les problèmes dans une perspectiv­e juste, sans les charger d'une portée émotionnel­le qu'ils ne méritent pas. Ceci est le chemin pour faire de notre fragilité l'occasion de vivre une vie pleine, authentiqu­e et plus sereine. Une vie authentiqu­ement philosophi­que.

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