GP Racing

Portrait Franck Vayssié............

À 53 ans, Franck Vayssié est le patron des discipline­s de vitesse à la Fédération internatio­nale de moto (FIM). Retour sur l’incroyable parcours du Français.

- Par Jean-Aignan Museau.

Patron des discipline­s de vitesse de la FIM.

Du plus profond de sa mémoire, son premier émoi motocyclis­te remonte à la 750 Honda K1 d’un cousin. Franck Vayssié, alors en culotte courte, a tout juste 4 ans et se voit gratifié de quelques tours sur un parking. Ensuite, ce sont les mobylettes de ses grands- pères qui croisent sa route et lui font découvrir les joies de tourner une poignée de gaz. Mais il devra attendre le fruit de son premier travail estival pour s’offrir une Yamaha 80 TY d’occasion. Non pas par amour du trial mais parce que la petite Yam’ lui a tapé dans l’oeil : « Et aussi parce qu’elle n’était pas chère. » Il se souvient encore des 2 500 francs qu’elle lui avait coûtés. Et comme ses parents voulaient absolument l’éloigner de sa passion pour les deux- roues, forcement jugée trop dangereuse, ils lui offrent à l’âge du permis une... Fiat 126. Il fait un tonneau avec : « Et celui qui ne connaît pas la sensation de faire un

tonneau loupe quelque chose » , rigole- t- il avec son accent du Sud- Ouest. Il finit par revendre la R5 Alpine que lui avait ensuite léguée son père pour s’acheter une 600 CBR- F. La première d’une longue série de Honda, avec en point d’orgue une RC30, avec laquelle il écume les routes de France et goûte même au circuit dans le cadre de Track Days. Mais son grand truc est de rallier les circuits pour assister aux épreuves de vitesse. Championna­t de France Open ( le FSBK d’aujourd’hui), Superbike mondial, endurance : Franck ne loupe rien. En 1990, il tombe sur une petite annonce dans Moto Revue qui fait appel aux bonnes volontés des lecteurs qui souhaitera­ient

devenir commissair­es de piste pour le Bol d’Or. « Tout commence là. Je fais un stage et c’est parti pour deux saisons. »

Saisons évidemment riches en souvenirs, comme la casse du moteur de sa RC30 sur l’autoroute après un Bol où il avait tant plu que la Honda avait barboté dans l’eau jusqu’au moteur toute la nuit. La vue des voitures officielle­s qui tournent autour de la piste pour les inspection­s lui fait dire que ça peut être aussi une fonction intéressan­te. Il se rapproche de la FFM et passe un à un tous les échelons qui mènent jusqu’à la direction de course sur les épreuves françaises. Il dirige des épreuves de Superbike français, de Promosport, puis des manches françaises de championna­t du monde. Il y apprend à gérer des grèves de commissair­es qui ne sont pas satisfaits de l’endroit où ils dorment ou la colère d’un pilote qui se plaint d’avoir loupé sa course pour un problème de décompte des tours. « Mais c’est surtout une aventure humaine. La moto est un petit milieu où tout le monde se connaît et où les rencontres sont toujours sympas. Acheter une moto, c’est s’offrir de la liberté et s’enrichir de rapports humains. » Une aventure humaine avec son lot d’épreuves : « En 2001, lorsque Frédéric Salençon se tue au Vigeant. Je préférerai­s ne pas m’en souvenir. Ça fait partie de la course. Malheureus­ement. » Franck préfère se remémorer les années bénies : « 2007 a été une année fabuleuse. J’ai dirigé six ou sept des manches du FSBK. J’avais un super bon rapport avec les pilotes. Tout s’est parfaiteme­nt déroulé. » C’est la période où le FSBK se profession­nalise, où les courses se suivent du levant au couchant sans interrupti­on. L’étape suivante arrive de façon pour le moins inattendue. Le Qatar s’est lancé dans la course via un team engagé en endurance. À sa tête, une Française, Marie Hervagault, qui a oeuvré dans la vitesse mondiale dans les années 90 avant de devenir collaborat­rice recherchée dans différente­s entreprise­s liées à la course auto et moto. Elle vient le trouver au soir des 24 Heures du Mans 2008 pour lui proposer de prendre en main une course d’endurance qui se déroulera à Doha. « Il aurait fallu être stupide pour ne pas accepter. »

LA FORMATION PERMANENTE

À l’époque, le Grand Prix, qui existait depuis quatre ans, est encadré par des commissair­es de piste espagnols, qui viennent par avions charters. « Comme dans mon esprit, il s’agissait d’un coup unique, je leur ai fait un ( court) rapport avec les points positifs... et deux pages de négatifs. »

Ils se quittent bons amis. Quelques mois plus tard, Franck reçoit un coup de fil : « Ton boulot nous a plu. Tu ne viendrais pas nous donner un coup de main ? » Il met en veilleuse l’horlogerie- bijouterie qu’il exploite dans sa ville natale de Montauban. « Dès la première année, j’ai mis en place une équipe de commissair­es. J’ai assuré des formations permanente­s durant des années, qui continuent aujourd’hui. Il s’agit d’expatriés qui sont là pour une durée limitée et qu’il faut renouveler, donc former de nouveau, sans arrêt. » Au final, une assise d’environ 150 personnes lorsqu’il

en faut 300 pour un Grand Prix. « Avec la complicati­on d’une course qui se déroule le dimanche, qui est, au Qatar, un jour travaillé... » Il y a quatre ans, l’homme qui était à la tête à la fois du circuit et de la Fédération qatarie de moto, et qui en parallèle, atteint les hautes sphères de la Fédération internatio­nale de moto, est évincé... « À présent, comme partout dans le monde, il y a une fédération et un club affilié dirigés par deux personnes distinctes. Et aujourd’hui, je suis responsabl­e de la compétitio­n pour la Fédération du Qatar, aussi bien auto que moto. » Sur l’unique circuit de la péninsule, il y a cinq rendezvous, tant en auto qu’en moto, où le pilote loue machine et matériel. Et roule. « Deux catégories pros et Trophy.

Une vingtaine de pilotes à chaque course. L’objectif est de monter le niveau.

Et, gérée par le circuit, il y a la Qatar Motorsport Academy pour les enfants de six ans avec une piste de dirt, un circuit de cross et les motos qui vont avec. »

De quoi faire émerger un champion du monde qatari ? « Je pense que je serai à la retraite d’ici là » , élude- t- il. Forcément, cette carrière dans le Golfe est un pavé essentiel au chemin qui l’a mené jusqu’à ce poste de directeur des courses sur route ( comprenez sur circuit recouvert d’asphalte, ndlr)

à la FIM. « Le Qatar a proposé mon nom pour entrer à la CCR. Quelques années plus tard, le World Superbike cherchait un safety Officer pour un remplaceme­nt de deux courses. » Franck accepte pour Imola et Moscou. Et se retrouve dans l’un des pires moments de sa carrière : « Avant la course Supersport de Moscou, il pleut. Je prends la voiture pour faire un tour de circuit afin de vérifier l’état de la piste. C’était mouillé mais roulable. Andrea Antonelli chute à l’entrée du virage qui précède la dernière ligne droite. Il se fait percuter. C’est moi qui ai dû descendre annoncer son décès à son père... » Mais le courant passe bien avec la Dorna, qui lui propose le job pour la saison suivante. Et qu’il tiendra jusqu’en 2019. Un travail qui consiste, en amont, à homologuer les circuits et durant la course, à gérer tout ce qui dépend de la sécurité en piste : « Si la piste devient dangereuse, c’est toi qui appuies sur le bouton rouge. Mais c’était aussi, à l’époque, la gestion des sanctions à l’encontre d’un pilote. C’est une position centrale avec les team managers, les pilotes, les organisate­urs. Tu es au coeur du paddock, et non enfermé dans une salle de direction de course. Il y a de l’huile sur la piste, tu fonces voir. Il y a un problème de réglementa­tion, ça te concerne... »

PLUS QU’UN BOULOT, UN SACERDOCE CHRONOPHAG­E

L’exemple de l’épreuve de World SBK d’Argentine l’an dernier en est l’illustrati­on parfaite. L’adhérence du circuit de San Juan, fraîchemen­t construit, ne fait pas l’unanimité auprès des pilotes. Certains, dont des tops, décident de ne pas prendre le départ de la course du samedi. Elle se déroule quand même, sans problème. Le lendemain, la totalité des engagés est sur la grille de départ de la seconde course du week- end. « Je ne vais pas forcément me faire des amis, mais je considère qu’être pilote profession­nel, ce n’est pas toujours rouler au taquet.

C’est aussi savoir lorsque tu peux passer à fond et lorsque tu ne dois pas passer à fond. Il faut apprendre à doser sa vitesse en fonction des conditions. Lorsque tu es pilote profession­nel, tu dois savoir le faire. Et si toi, tu ne peux pas passer à fond, tes collègues ne le peuvent pas plus. »

Des moments forts qui débouchent sur ce poste, salarié de la FIM, où Franck gère la commission en charge de la partie sportive des sept championna­ts du monde de vitesse. « Beaucoup de travail, avec 200- 250 journées hors de la maison. Un poste renouvelab­le tous les quatre ans. Avec une façon de travailler totalement différente de ce que je faisais auparavant. J’ai encore besoin d’un an pour vraiment apprendre, à finir d’installer le relationne­l nécessaire au bon fonctionne­ment. » Un métier aux multiples facettes qui peut souvent être associé à un empilage de réunions où les sujets sont aussi variés que la sécurité en course, la mise en place d’un nouveau GP, ou l’augmentati­on du prix maximum d’une machine engagée en championna­t du monde d’endurance pour permettre à Ducati de revenir dans la discipline... Plus qu’un boulot, un sacerdoce chronophag­e au- dessus de l’imaginable, mais ô combien passionnan­t. « Ma fille cadette a fait le décompte. Je reçois plus de 120 emails par jour. Il m’est impossible de rester plus de deux jours sans regarder mon courrier. Et si les deux tiers partent à la poubelle, il faut répondre aux autres. »

Mais une chose est sûre, lorsque Franck a acheté sa première TY 80, il n’aurait jamais imaginé qu’elle puisse, 35 ans plus tard, l’amener jusque- là. « Le plus important, c’est que la moto continue à me faire vibrer comme au premier jour. »

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 ??  ?? S’assurer de la sécurité, comme ici sur le circuit de Doha, avant de lancer les safety cars pour des tours de reconnaiss­ance, gérer le départ d’un Grand Prix, en compagnie de Jorge Viegas ( boss de la FIM) et Carmelo Ezpeleta (boss de la Dorna), ou être directeur de course : voici les nombreuses tâches de Franck Vayssié.
S’assurer de la sécurité, comme ici sur le circuit de Doha, avant de lancer les safety cars pour des tours de reconnaiss­ance, gérer le départ d’un Grand Prix, en compagnie de Jorge Viegas ( boss de la FIM) et Carmelo Ezpeleta (boss de la Dorna), ou être directeur de course : voici les nombreuses tâches de Franck Vayssié.

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