AUDIO, MÉGALO, DISCO
Producteur de Donna Summer, précurseur de la techno, idole de Daft Punk… Giorgio Moroder revient, à 74 ans, avec un nouvel album sur lequel il fait chanter Kylie Minogue et Britney Spears. Le début d’une nouvelle vie ? L’auteur du hit « I Feel Love » et
M «y name is Giovanni Giorgio, but everybody calls me Giorgio. » C’est par cette modeste sentence que le plus célèbre moustachu des musiques électroniques concluait en 2013 l’interview livrée aux Daft Punk afin que les deux robots composent « Giorgio by Moroder », pierre angulaire de l’album Random Access Memories. Soit Giorgio Moroder, l’homme qui parvint à faire basculer la pop dans la disco et la disco dans la techno, le producteur sans qui les synthétiseurs seraient restés des machines de laboratoires, le compositeur qui transforma à tout jamais les thés dansants en boîtes de nuit par la grâce de tubes novateurs, tels « I Feel Love » (1977) pour Donna Summer ou « Call Me » (1980) pour Blondie. À l’occasion de la sortie de son nouvel album, nous rencontrons l’inventeur de la disco électronique, chemise et pantalon noirs, dans une chambre du Mandarin Oriental de Paris. Ses cheveux et sa moustache ont blanchi mais ses souvenirs sont intacts. En 1970, après avoir quitté son Italie natale – plus précisément le Tyrol du sud, une région montagneuse où l’on parle surtout allemand – pour devenir musicien professionnel, Giorgio sillonne l’europe avant d’atterrir à Berlin chez une de ses tantes. Dans les bagages du trentenaire qui arbore vestes en daim, cheveux longs et imposantes bacchantes de camionneur, il y a un album et quelques singles sous influence des Beatles. « Le premier a été un succès mais Berlin était à l’époque une ville sinistre, se souvient-il sans nostalgie. Quand on m’a proposé un poste de producteur à Munich, j’ai sauté sur l’occasion. »
la nouvelle frontière C’est dans le studio d’un compositeur de musique classique que l’apprenti sorcier entre pour la première fois en possession d’un Moog, ce synthétiseur révolutionnaire, popularisé depuis deux ans par le succès de l’album Switched-on Bach de Walter Carlos. C’est une révélation. Fasciné par les possibilités de la machine, il construit le morceau « Son Of My Father », tube synthétique qui fait converger la tradition pop anglo-saxonne et le rock expérimental allemand (Kraftwerk, Can…). Giorgio est déterminé à poursuivre cette voie et compose alors l’album Einzelgänger (1975) : « J’ai vraiment voulu explorer les possibilités inconnues du synthétiseur. Chercher et découvrir de nouveaux sons que je n’aurais pas pu utiliser dans des chansons normales. Einzelgänger était tellement novateur que je n’en ai vendu aucun», lâche-t-il dans un éclat de rire. Mais la rencontre avec une certaine Donna Summer va accélérer ses rêves de gloire au-delà de toutes ses espérances.
Lancé par le single « 74 Is The New 24 »,
le nouvel album de Moroder, son premier véritable depuis 1992,
devrait sortir en avril (Columbia). Maîtrisant toute la palette qui va de l’électro vintage façon
à L’EDM (Electronic Dance Music) contemporaine à la David Guetta, l’italien démontre qu’à 74 ans, il reste le roi de la dance.
Giorgio Moroder et son complice Pete Bellotte sont alors en quête de choristes et auditionnent cette chanteuse noire américaine qui est restée à Munich après une tournée de la comédie musicale Hair. sa puissance vocale les foudroie : « J’ai été fasciné par le spectre de sa voix, se souvient Giorgio. elle venait du gospel et pouvait tout faire. » Le trio enregistre un premier album, Lady of the Night (1974), puis Moroder décide de frapper un grand coup en produisant une réplique du « Je t’aime… moi non plus » du duo Gainsbourg-birkin : « Je voulais faire une chanson sexy et j’ai demandé à donna si elle avait des paroles. elle a débarqué chez moi en susurrant les mots “love to love you baby”. Je l’ai immédiatement enregistrée, puis j’ai arrangé ses parties vocales le lendemain avec des musiciens. » sur une rythmique disco hypnotique, donna miaule ses incantations comme une chatte en chaleur au bord de l’apoplexie. La démo, qui convertirait un ascète aux joies du sexe à plusieurs, est envoyée à neil Bogart, le boss flamboyant de casablanca records qui, entre deux lignes de coke, est en train de rafler le marché disco aux États-unis. Lors d’une fête, l’un de ses invités ne cesse de repasser « Love to Love you Baby » qui ne fait alors que trois minutes trente. Bogart a une illumination et appelle Moroder dès le lendemain : « il aimait tellement la chanson qu’il voulait une version longue, se souvient Giorgio. c’est comme ça qu’est née celle de dix-sept minutes. surtout destinée, selon moi, à un usage très intime. » dès sa sortie en novembre 1975, ce morceau révolutionnaire par son format devient un tube mondial. Pour le dj vidal Benjamin, à qui l’on doit la formidable compilation Disco Sympathie (2014), « Moroder a apporté une touche européenne, plus synthétique et surtout plus hypnotique à la disco américaine, qui était symphonique et organique. il avait moins de moyens donc il employait des manigances – synthés et rythmes puissants – pour marquer sa différence. »
la touche Moroder Giorgio et donna s’enferment en studio, enchaînent les albums et accouchent de l’acte 2 qui va asseoir leur suprématie. soit « i feel Love », dont la rythmique martiale sculptée au scalpel par les boîtes à rythmes transforme les clubbeurs en véritables robots et anticipe la new wave et la techno : « Mon idée était d’écrire une chanson mécanique, à la fois traditionnelle et futuriste, entièrement composée sur des machines mais avec une voix très mélodique par-dessus », analyse son créateur. Le hit fait le tour du monde et reste encore intemporel, comme l’affirme didier Lestrade, ancien critique house de Libération et grand érudit de la dance music : « ce morceau plaît autant aux gros