GQ (France)

Kevin Systrom, qualité filtre

Avec plus de 300 millions d’utilisateu­rs, Instagram, lancée en 2010, a révolution­né la prise de vue à l’aide de filtres savamment désuets. Rencontre avec Kevin Systrom, le créateur (devenu millionnai­re) de l’applicatio­n qui ne garde que le meilleur. Comme

- yan-alexandre Damasiewic­z frédéric stucin

Il est le fondateur de l’appli qui a séduit 300 millions d’utilisateu­rs à la vitesse de la lumière : instagram.

Portrait d’un entreprene­ur qui a eu le déclic.

K «evin souhaite faire les photos avec ses propres vêtements, afin de rester authentiqu­e », nous confie son attachée de presse. Lors de son marathon promo à Paris, le jeune PDG de la célèbre appli photo pour smartphone­s lancée en 2010, déjà millionnai­re à 31 ans, a séduit le toutParis avec son sourire de gendre parfait et la success story d’instagram qui fédère aujourd’hui 300 millions d’utilisateu­rs. Le look preppy de son inventeur ne doit rien à cette nouvelle fortune: élevé dans l’upper middle class de Boston, il n’a vu la couleur de son premier jean qu’au lycée. Systrom rejoint ensuite la Californie pour ses études à la prestigieu­se université Stanford, où son côté BCBG détonne dans la jungle des T-shirts ; dans la ville voisine vient de s’installer une start-up qui recrute à tour de bras : Facebook. Kevin Systrom rencontre Mark Zuckerberg, qui le convainc presque de le rejoindre. « J’ai demandé conseil à mes mentors, ils m’ont tous dit que Facebook n’était qu’une mode sans lendemain... » Surtout, Systrom ne veut pas quitter l’université sans avoir décroché son diplôme en science et ingénierie du management. Après un stage dans une autre start-up, Odeo – futur Twitter –, dûment diplômé, il rejoint Google puis Nextstop (un site de conseil en voyages, que Facebook rachètera en 2010), où il apprend à coder. À ses heures perdues, il développe une appli mêlant géolocalis­ation, recommanda­tions, social média, photos, etc. Il lève 450 000 €, quitte son job un an plus tard, s’associe avec Mike Krieger, et lance enfin Burbn. Trop compliquée, l’appli ne donne pas satisfacti­on aux deux associés, qui remarquent néanmoins que la géolocalis­ation des photos remporte un franc succès. « Nous avons fait comme Odeo qui, ne fonctionna­nt pas, s’est réinventé en Twitter. Burbn est devenu Instagram » Dans la Silicon Valley, une bonne idée naît souvent d’un échec. De Burbn, Kevin et Mike ne gardent qu’une fonctionna­lité : celle de prendre des photos. « J’avais

appris les techniques du développem­ent photo, comme le dodge & burn ( sous-exposition ou surexposit­ion, ndlr) ou le virage chromatiqu­e. J’ai pensé le proposer de façon numérique et instantané­e. » Instagram est né, et son succès est fulgurant. « C’est un produit simple qui rend les photos belles, ça excitait tout le monde. » Une belle revanche pour celui qui avait raté le train des deux plus grands réseaux sociaux.

Plus belle la vie Depuis, l’homme s’est transformé en VRP de luxe pour promouvoir son entreprise, dont l’avenir s’annonce juteux : si Instagram a été revendue 1 milliard de dollars à Facebook en 2012, le courtier Citigroup l’a valorisée en décembre dernier à 35 milliards et prévoit que l’appli rapportera bientôt plus de 2 milliards de dollars par mois. Car, depuis l’automne 2014, Instagram s’est ouvert à la publicité, avec photos sponsorisé­es. Les people, qui l’utilisent comme arme de communicat­ion, lui disent merci. Mais avec cette profession­nalisation, la censure frappe : exit les photos dénudées postées par Madonna ou Rihanna. Et ce n’est qu’un début: l’avenir de l’appli passera bientôt par la connexion de sa communauté avec les événements en temps réel. « L’an dernier, 10 % de nos utilisateu­rs suivaient un compte lié à la Coupe du monde de foot. » Un algorithme permettant de trier les quelque 70 millions de clichés uploadés chaque jour et de montrer aux utilisateu­rs ceux qui les intéressen­t est à l’étude. « On pourra voir des photos de Neymar pendant un match, rêve Kevin, celles des défilés lors de la Fashion Week, ou les moments forts d’un événement comme “Je Suis Charlie”. » Soit tirer le meilleur des tags et de l’outil de géolocalis­ation d’instagram pour en faire un concurrent de Twitter. La force de l’image en plus, l’excitation du téton en moins. Systrom, qui se pique de musique et vient d’ouvrir le compte thématisé @music, cite Guetta, Kavinsky et Woodkid comme meilleurs Instagrame­rs français. Leur point commun? Comme lui, ils sont, à l’entendre, « authentiqu­es ». Mais comment définir l’authentici­té en se basant sur une appli qui embellit les photos ? « Je pense qu’il est naïf de dire que l’authentici­té est une représenta­tion exacte de la réalité. Une photo Instagram est authentiqu­e parce qu’elle montre un vrai moment de la façon dont vous l’avez ressenti. » Son filtre préféré ? Ludwig, « raffiné et subtil, j’aime qu’il ne ressemble pas à un filtre ». Raffiné et subtil, mais modifiant impercepti­blement notre représenta­tion du réel : cela ressemble drôlement à la stratégie com’ du redoutable homme d’affaires que nous venons de rencontrer.

« Il est naïf de dire que l’authentici­té est une représenta­tion exacte de la réalité. Une photo Instagram est authentiqu­e parce qu’elle montre un vrai moment. »

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France