GQ (France)

« S’ILS ENTRENT, ON LEUR SAUTE DESSUS ! »

- Un récit inédit de Stéphanie Marteau

C’EST SON PREMIER CONCERT.

Ce soir-là, Samantha, jolie web-designeuse de 25 ans, cheveux bruns très courts et peau diaphane, quitte son bureau un peu plus tôt pour être à l’heure. Une idée de Pierre, son copain depuis quatre ans. Il a vu les Eagles of Death Metal jouer en première partie des Arctic Monkeys, en 2009, et en garde un bon souvenir. Pour ce solide gars de 26 ans, taiseux et carré comme un soldat, c’est l’occasion de faire autre chose qu’un énième resto. Lui aussi est sorti tôt de la start-up qui l’emploie, un doggy bag à la main. Comme tous les vendredis, le patron a offert le déjeuner. Chacun a pioché dans les restes. Il verra sa bande de potes dimanche, comme d’habitude. Ils sont aussi devenus ceux de Samantha, plus solitaire. Marseillai­s d’origine, ces deux geeks ont fait connaissan­ce via Facebook, juste après l’arrivée de Pierre, l’aîné de trois enfants, à Paris. Samantha, qui a grandi dans un milieu où le quotidien n’a pas toujours été rose, l’a rejoint au bout de deux mois. Depuis, ils sont totalement fusionnels. L’attentat les a soudés encore plus. Samantha a immédiatem­ent accepté de nous raconter ce qui s’est passé ce soir-là, quand la plupart des autres victimes de l’attaque fuient les journalist­es, parfois avec véhémence (« Laissez-moi tranquille, j’essaye de passer à autre chose ! »). Elle avoue avoir traversé une « période de dépression » que son ami Pierre rebaptise en souriant sa « période nihiliste ». Lui, peu disert, a tardé avant de bien vouloir nous rencontrer. Son refus de toute posture victimaire ne colle pas à l’air du temps. Mais c’est ainsi : il est passé tout de suite à autre chose. « Je sais bien qu’avec moi, Sam n’a pas trouvé l’empathie qu’elle voulait, mais j’allais mieux dès le lendemain matin », lâche-t-il. Le regard qu’ils portent sur cette soirée détonne singulière­ment, tant ils ont pris de recul. À aucun moment, ils ne se sont intéressés au parcours des terroriste­s du 13 novembre. Ils ne connaissen­t même pas leurs noms. Ils ne sont pas non plus allés au concert commémorat­if des Eagles of Death Metal, donné en février dernier. Une seule et unique fois, le couple s’est rendu à un groupe de parole de victimes du Bataclan : « Certains avaient coupé les ponts avec leurs amis d’avant, ne fréquentai­ent plus que d’autres victimes, se complaisai­ent là-dedans… D’autres partaient en vrille sur l’islam et les musulmans… C’était horrible », avoue Samantha. Du coup, ils ont tardé à engager la procédure d’indemnisat­ion. Pierre était mal à l’aise : « Je n’ai rien subi, aucun préjudice qui doit être réparé par l’état… Du coup, j’ai attendu des mois. Je l’ai fait parce que Samantha a dû arrêter ses études, c’était pour la soutenir. » Une bonne partie de l’argent a été dépensée cet été dans un voyage en Croatie. Alors qu’une journée d’hommage national aux victimes du terrorisme a eu lieu fin septembre, et que les commémorat­ions se multiplien­t, le couple, comme nombre d’associatio­ns, s’avoue consterné par l’idée de décerner une médaille de reconnaiss­ance aux victimes du terrorisme, y compris rescapées, ainsi que le souhaite François Hollande. Pierre et Samantha, à nouveau, sont dans l’action. Pierre, qui pratique l’airsoft (sorte de paintball, avec des répliques d’armes à feu), pense prendre des cours de tirs. Le couple compte se former aux premiers secours. « Cette soirée a conforté ma vision du monde, explique Pierre. C’est mon obsession, de tout optimiser, d’embrasser la vie au maximum de son potentiel. » Ce 13 novembre 2015, Samantha et Pierre ont rendez-vous au Bataclan.

21 H 30 LE BALCON

Ils ont acheté des billets pour la fosse, en placement libre. Mais, fatigués, ils décident de monter au balcon du premier étage. Ça sera plus calme. Et puis ça tombe bien car Matt Mcjunkins, le bassiste des Eagles of Death Metal, a une petite habitude : il joue toujours dans le coin gauche de la scène. Pendant le début du concert, le couple dispose d’une vue imprenable sur le musicien qu’ils affectionn­ent, juste en dessous d’eux. Une demi-heure de joie. Ils ignorent que, simultaném­ent, s’achève une demi-heure d’enfer sur des terrasses parisienne­s où les

morts se comptent déjà par dizaines. Mcjunkins s’apprête à jouer « Kiss the Devil », un des classiques du groupe. Samy Amimour, Foued Mohamed-aggad et Ismaël Mostefaï, eux, garent leur Polo devant le Bataclan. Ils ouvrent immédiatem­ent le feu. Trois morts. Les terroriste­s pénètrent dans la salle où 1 500 spectateur­s se sont massés. Le trio, les armes chargées, a devant lui la fosse, pleine à craquer, puis la scène. Matt Mcjunkins et ses acolytes attaquent les premières notes de « Kiss the Devil » lorsque les assaillant­s commencent à tirer. D’abord sur des « pros » du monde de la musique habitués à boire un verre au bar juste à l’entrée. Les tireurs avancent ensuite vers la foule en lâchant rafale sur rafale. Les victimes s’effondrent. Tout le monde se jette à terre. Hurlements, odeur de poudre. Sept minutes pendant lesquelles les terroriste­s ne prononcent pas un mot. Depuis le balcon, Samantha et Pierre se précipiten­t dans l’escalier le plus proche qui les amène un demi-étage plus bas, entre la scène et le balcon. Ils poussent une porte et se lancent dans un couloir. Nicolas (1), 49 ans, est un militaire expériment­é. Il reconnaît le claquement lourd et sec d’une Kalachniko­v. Il comprend immédiatem­ent la nature de l’attaque. « JP ! On nous tire dessus ! » Il hurle en direction de Jean-paul. Ils sont sur le demi-étage qui surplombe la fosse. Son pote JP, pétrifié, regarde les premiers corps fauchés. Abruti par la codéine et les anti-inflammato­ires qu’il prend contre sa lombalgie, Jean-paul ne semble rien comprendre à la scène. Nicolas se rue dans le couloir le plus proche. Le même que Samantha et Pierre, qui ont une dizaine de secondes d’avance sur le militaire. Dans la fosse, les terroriste­s continuent à tirer. Froidement. Cruellemen­t : « Allez-y, levez-vous, ceux qui veulent partir, partez ! » Ceux qui se redressent sont abattus. Au bout de douze minutes de carnage, l’un des terroriste­s revendique son appartenan­ce à « Daesh, l’état islamique. On va frapper partout ». Un amas de corps tapisse la fosse, mélange de morts, de blessés gémissants, de vivants qui se cachent ou qui ne bougent plus, terrorisés. Samantha et Pierre atteignent le bout du couloir, à droite de la scène quand on lui fait face. Ils pénètrent les premiers dans une petite pièce. C’est une loge qui sert de bureau, d’atelier. Des employés du Bataclan y attendent la fin du show. Ils n’ont pas encore compris qu’un carnage est en cours dans la salle. Tout va si vite. Ils tentent d’abord de repousser les spectateur­s terrorisés. L’une des employés, une femme brune, panique et interpelle Samantha et Pierre : « Qu’est-ce qui se passe ? Vous ne pouvez pas rester là ! » L’employée essaie de refermer la porte qui se situe à l’entrée de la loge. Pierre hésite. Il est beaucoup plus costaud qu’elle : c’est lui qui peut décider s’il veut fermer la porte. Ou pas. La vague de spectateur­s qui déferle dans le couloir ne lui laisse pas le choix. Mcjunkins est talonné par Prune et son amie Laurence. Planqué derrière une console de contrôle de son depuis que les tirs ont commencé, le musicien a emprunté le premier chemin qui lui permettait de quitter la scène. Il a juste eu le temps de faire un signe aux deux jeunes femmes venues des Yvelines : complèteme­nt désorienté­es par les cris et la panique, elles ont suivi leur sauveur, qui lui-même suivait Samantha et Pierre. D’autres rescapés déferlent, encore, dans le couloir. Les derniers, cette fois, claquent la porte qui mène à la loge, afin de pouvoir occuper en sécurité la place offerte par le couloir. C’est face à cette porte close que Nicolas se retrouve, suivi par une autre colonne de spectateur­s à la recherche d’un refuge. Ils ont profité du moment où les assaillant­s rechargeai­ent leurs armes pour courir, dans une cohue indescript­ible. Dans leur dos, les tirs reprennent. Nicolas se jette sur la poignée et tente de l’actionner. En vain. La porte du couloir reste fermée. À ses côtés, un homme est livide. C’est un agent de sécurité, mais il n’a pas les clés du local. Nicolas frappe de toutes ses forces. Derrière la porte, il entend le bruit d’un groupe à l’abri. Les tirs continuent. Se rapprochen­t.

21 H 35 UN CUL- DE- SAC

Les détonation­s sont plus hachées. Les terroriste­s continuent de progresser dans la fosse. Ils avancent vers la scène en achevant les blessés. À terre, des survivants doivent écouter leurs « explicatio­ns » : « Il est où le chanteur ? Ils sont où les Ricains ?, demandent les tireurs. C’est un groupe américain, avec les Américains, vous bombardez, donc on s’en prend aux Américains et à vous. » Matt Mcjunkins est déjà dans la loge. Par miracle, de petits groupes parviennen­t à ramper puis à courir depuis la fosse vers une sortie latérale, d’où ils s’échappent. Une scène filmée par Daniel Psenny, un journalist­e du Monde qui habite à deux pas. En descendant aider ces rescapés, il reçoit une balle dans le bras. La porte du couloir menant à la loge finit par céder sous les violents coups de pied de Nicolas. La colonne s’engouffre et projette le militaire vers le fond de la pièce. En se retournant, Nicolas aperçoit Jean-paul, qui est enfin parvenu à courir. Puis ils se perdent à nouveau de vue dans le groupe qui ne cesse de grossir. Samantha se retrouve plaquée contre le mur immaculé, au fond de la pièce. Dans le flot des arrivées, elle a été séparée de Pierre. Elle aperçoit Matt, à gauche de la porte

C’est comme face à une tornade. C’est ton corps qui agit, toi, tu réfléchis pas.

d’entrée. Tout comme Paul, 33 ans, et sa soeur Inès. Ou Carole, documental­iste à la télé de 31 ans, spécialisé­e dans la politique étrangère, et son compagnon, Martin, directeur d’une collection de romans de science-fiction. Mais là, c’est bien la réalité que près de quarante personnes affrontent dans ce cul-de-sac de six mètres carrés. Ils comprennen­t vite qu’ils sont pris au piège. Il n’y a qu’une autre issue : elle donne sur des toilettes. Si les terroriste­s entrent, c’est la fin. Les prisonnier­s éteignent la lumière.

21 H 40 L’ODEUR DES ARMES

Samantha entend pleurer dans les WC. Elle appelle. Personne ne répond. Puis elle se souvient de la silhouette chétive d’une femme qui, lorsqu’ils sont rentrés dans la pièce, l’a traversée en courant. Il s’agit de Leïla, 32 ans, à deux doigts du malaise. Cette fan de rock, qui produit du contenu pour des plateforme­s de streaming, est venue seule écouter ce groupe qu’elle suit depuis longtemps. Elle est désormais prostrée dans les toilettes. Or, chaque mètre carré compte. Nicolas lui répète plusieurs fois : « Si tu ouvres, on pourra faire rentrer du monde. » Leïla cède et six personnes supplément­aires se glissent aussitôt dans le réduit. Dans les toilettes, il y a un peu plus d’air. Nicolas s’y engouffre, il s’y sent moins vulnérable, essaie de se concentrer sur la situation. C’est pour ça qu’il a gardé ses bouchons acoustique­s. Dès les premiers tirs, l’adjudant-chef a reconnu l’odeur des munitions de guerre. Samantha, elle, est totalement passive, hagarde. Elle regarde une fille, collée au mur, mutique. Elle restera deux heures dans cette position. Seule.

21 H 50 PORTE CONDAMNÉE

Pierre prend les choses en main. Avec trois autres garçons, ils se trouvent à l’entrée du local, en « première ligne » si les tueurs entrent. Pierre déniche un magnum de champagne. Il se dit que cela fera une arme en cas d’attaque. La chaleur monte. L’ambiance devient lourde. Certains craquent déjà, se disent qu’ils « sont tous foutus », que les terroriste­s « vont venir finir le travail. » Ils sont à moins de vingt mètres de la porte. Un type lance : « S’ils entrent, on leur saute dessus. De toute façon, ils tireront dans le tas. » « Ok », répond la majorité du groupe. Les « prisonnier­s de la loge » entreprenn­ent de condamner la porte du couloir. Ils rassemblen­t tout ce qui leur tombe sous la main : Paul passe au groupe qui est à l’entrée une planche à repasser, deux chaises, un mini frigo. Des protection­s massées contre la porte derrière laquelle ils entendent toujours les rafales de Kalachniko­v. Et les cris. À chaque minute, des personnes continuent de mourir sous les balles des assaillant­s. Prune craque.

22 H 00 L’ATTENTE

Un commissair­e et un brigadier de la BAC qui patrouilla­ient dans le 11e arrondisse­ment, alertés par radio, arrivent dans l’entrée du Bataclan. Depuis la salle, ils entendent les détonation­s qui se poursuiven­t. Parfois, des spectateur­s s’extirpent en hurlant par les portes qui donnent sur le hall. Les deux policiers, équipés de leur arme de poing, avancent. Ils sont les seuls à pouvoir interrompr­e la tuerie. Dans la loge, certains découvrent avec stupéfacti­on, en surfant sur des sites d’infos, qu’il y a plusieurs attentats dans Paris. Carole appelle les secours, le 17, puis le 112, mais le réseau est saturé. Elle envoie un SMS à son frère, officier de police judiciaire. Il lui transmet un numéro interne. Elle appelle et fournit quelques informatio­ns : elle n’a vu que deux assaillant­s, dont elle a remarqué les armes plus que les visages. Son interlocut­eur lui donne un conseil : ne pas bouger, rester silencieux jusqu’à l’arrivée des policiers. Carole raccroche et relaie le message. Le temps presse, il y a une blessée : Samia, 33 ans, assistante commercial­e dans le luxe. Dans sa fuite, elle a reçu une balle dans l’aine alors qu’elle escaladait une enceinte pour ne pas avoir à piétiner les corps tombés devant elle. Son copain est avec elle, vivant, alors elle ne se plaint pas. Elle est la seule à être allongée, tous les autres restent debout faute de place. Florence, accroupie dès les premières minutes, s’est relevée car certains de ses compagnons commencent à lui marcher dessus. Elle retire son collier : ils sont si serrés qu’elle redoute de s’étrangler. Christine, une sagefemme, constate que Samia perd beaucoup de sang et lui fait un point de compressio­n, sans lâcher (cela durera deux heures). Christine est aidée par Matt Mcjunkins : « Towel ! », lance-t-il de temps en temps. Marié, sans enfant, le Californie­n, qui ne parle pas un mot de français, affiche un flegme très classe. Paul est juste à côté du rocker, admiratif. La chaleur devient maintenant suffocante. Pierre parvient enfin à rejoindre son amoureuse au fond de la salle. Depuis le début, il a gardé son sang-froid. Il confie à Samantha que, ce soir, il a tout fait pour ne pas avoir de regret. Pierre n’a pas peur, mais il sent ses genoux trembler. L’adrénaline. Personne dans la loge ne sait où sont les terroriste­s. Ils les imaginent rôdant dans le Bataclan à leur recherche. Pierre est convaincu que les terroriste­s vont prendre d’assaut la loge. Il donne des conseils à Samantha. Puis, à voix basse, il commence à lui faire ses adieux. Elle le supplie de ne pas se mettre en avant cette fois. Elle se dit qu’ils ne feront plus l’amour, qu’ils n’auront jamais d’enfants. Que tout peut s’arrêter d’une minute à l’autre. Elle pense

J’ai pensé qu’avec mon copain, on ne ferait plus l’amour, qu’on n’aurait pas d’enfants.

à son travail. Mais pas à ses parents, sa soeur ou sa meilleure amie.

22 H 05 LA TENSION

Le silence se prolonge. Les « retranchés » se demandent si les terroriste­s sont partis. Tout le monde chuchote. Personne ne sait que des terroriste­s ont des explosifs sur eux. Le calme relatif repose sur cette ignorance. La tension monte plutôt à cause de ceux qui laissent sonner leurs portables. Matt Mcjunkins répète gentiment : « Quiet, please ! » Soudain, venant des WC, la voix d’une très jeune femme, une brune boulotte, couvre le brouhaha : « Ben écoute gros, là, je suis au Bataclan… » Samantha craque : « Ferme ta gueule ! » La fille raccroche. Une autre se fait hurler dessus après que son téléphone a sonné trois fois de suite. « J’arrive pas à l’éteindre », geint-elle.

22 H 07 SOUS LE PLAFOND

Un bruit sourd retentit. « De l’explosif ! », se dit Nicolas, le militaire. Samy Aminour, qui s’était déplacé dans le couloir opposé, à gauche de la scène, vient de tomber sous les balles des deux hommes de la BAC. Sa chute déclenche la ceinture explosive qu’il portait sur lui. « Il s’est fait exploser ! » s’exclame l’un de ses deux acolytes lorsque le corps d’aminour vole en éclats, des membres retombant sur la scène. Les terroriste­s rigolent. Sous le choc, les canalisati­ons de la loge se mettent à fuir. Le plâtre du plafond s’écroule. Très vite, les reclus pataugent dans quatre centimètre­s d’eau. La vapeur est telle qu’on dirait que des fumigènes ont été lancés. Deux garçons, grimpés sur l’évier et sur une table, tentent de casser le faux plafond pour faire rentrer un peu d’air. Mais, déjà, l’eau a alourdi les plaques qui commencent à s’effondrer. Certains essaient de les retenir. D’autres leur demandent d’arrêter. Trop dangereux, la chute des plaques depuis le plafond pourrait attirer l’attention.

22 H 30 L’ASSAUT

Une demi-heure sans coups de feu. La pression retombe légèrement. À moins que la crise de nerfs n’approche ? En tout cas, certains ont besoin de rire. À côté de Samantha, un type lance : « Y’en a qui vont se mettre en arrêt de travail lundi… » Puis il se précipite aux toilettes. Pierre a faim. Un bruit de fond s’installe : des blessés qui hurlent, les boiseries du Bataclan qui craquent. Dans la loge, la seule lumière qui filtre est celle du néon allumé dans le couloir. Une fois Samy Aminour mort, Ismaël Mostefaï et Foued Mohamed-aggad se retranchen­t sur le balcon du premier étage, tirent sur les policiers de la BAC, contraints de reculer face à la puissance de feu des armes de guerre. Les terroriste­s s’enferment alors avec une dizaine d’otages dans un couloir long d’une douzaine de mètres, fermé par une porte. Ils sont un demi-étage au-dessus de Samantha, Pierre et leurs compagnons d’infortune. Les fronts se figent. Chaque minute va désormais compter double. Nicolas discute avec Leïla et la maintient dans un calme qu’il sait précaire. Les gouttes des canalisati­ons continuent de tomber du plafond. Ceux qui se trouvent sous les plus grosses fuites tentent de s’abriter avec une bassine. Il y a un robinet, mais une seule bouteille qui passe de mains en mains. Prune envoie un SMS à son compagnon grâce au portable d’un couple de jeunes Espagnols. Les

23 H 57 À L’AIR LIBRE

Nicolas apprend par le texto d’un proche que l’assaut de la police est imminent. Le militaire prévient tout le monde. Chacun s’attend à des coups de feu. Rien. Puis des bruits derrière la porte d’en bas… « C’est la police ! », lance une femme. Les agents de la BRI, casqués, investisse­nt le local. Ils emmènent d’abord Samia, la blessée, puis Leïla, en état de choc. Les autres suivent, les mains derrière la tête. Matt Mcjunkins sort parmi les derniers, avec Pierre et Samantha. Les policiers sécurisent l’ensemble du balcon, et comprennen­t enfin où se trouvent les terroriste­s grâce au cri d’un otage : « Arrêtez, n’avancez plus ! Ils sont deux, ils ont des ceintures explosives, ils menacent de nous tuer, de nous couper la tête. » La négociatio­n s’engage. Les policiers escortent les quarante reclus jusqu’à la sortie principale du Bataclan. Partout, du verre pilé et du sang. Les policiers demandent aux rescapés de ne pas regarder les cadavres, de lever les yeux au plafond. Mais tous voient des traces de mains ensanglant­ées sur les murs. Samantha retrouve un homme avec lequel elle avait parlé au début de la soirée. Il ne sait pas où se trouvent sa compagne et leur fils de cinq ans. Une fois à l’air libre, d’autres policiers les fouillent, puis les rassemblen­t dans la cour d’un immeuble, rue Oberkampf. Pierre remercie les policiers un à un, débordé par un sentiment de gratitude. Les yeux humides, les fonctionna­ires lui mettent la main sur l’épaule. Frigorifié­s, Samantha, Pierre, Nicolas, Prune, Matt et tous les autres doivent se plaquer contre les murs. Les explosions reprennent de plus belle. Puis les tirs. Il est 0 h 18 : la BRI lance l’assaut final. sites internet sont avidement consultés. Mais Nicolas, toujours sur le qui-vive, demande de ne pas contacter la presse, de ne pas révéler leur position, de peur que les terroriste­s ne les découvrent. Puis l’attente, encore. Ils l’ignorent, mais la situation bascule. Les hommes de la BRI investisse­nt la salle de spectacle. La colonne Bravo monte à l’étage, la colonne Alpha avance au rez-de-chaussée. Aveuglé par les fumigènes, le fonctionna­ire qui ouvre la marche, chargé d’un lourd bouclier Ramsès, trébuche dans l’escalier qui descend dans la fosse, et entraîne toute la colonne dans sa chute, des hommes s’écroulant sur des victimes. Une fois debout, les policiers ouvrent portes et placards, vérifient l’identité des vivants. Le RAID arrive à son tour, prend position dans la fosse pour couvrir la BRI qui se dirige vers le balcon du premier étage. Les policiers ignorent où se trouvent les terroriste­s. En attendant, la priorité est d’évacuer les spectateur­s encore enfermés dans la salle.

Pierre est en mode militaire. Il me dit : “Je fais tout pour ne pas avoir de regrets.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France