GQ (France)

Oklou et Bonnie Banane, les anti-divas du R&B français.

- PAR ÉTIENNE MENU BONNIE BANANE – SEXY PLANET (BELIEVE), SORTIE LE 23 OCTOBRE OKLOU – GALORE (BECAUSE) DÉJÀ DISPONIBLE

OON SAIT QUE DU CHAOS DE LA MUSIQUE à l’ère Internet sortent pas mal de choses confuses et beaucoup de production­s ni faites ni à faire : des artistes qui prennent trop de directions différente­s à la fois, des univers trop multiples à force d’accumuler les références, et des morceaux qui sonnent, pour le coup, comme des « morceaux » au sens propre, c’est-à-dire des bribes, des bouts de chansons. Et c’est pourquoi on éprouve un mélange de soulagemen­t et de béatitude lorsqu’on a la chance de découvrir des personnali­tés miraculeus­ement capables d’extraire du magma digital des oeuvres qui frappent par leur clarté, leur évidence, leur assurance.

C’est le cas ce mois-ci de deux chanteuses françaises qui livrent chacune leur premier long format : Bonnie Banane d’un côté, charismati­que antidiva qui pourrait bien être la première artiste à donner à la soul et au R&B une couleur spécifique­ment hexagonale, et de l’autre Oklou, jeune femme issue d’une scène endogène à Internet (et notamment à la plateforme SoundCloud) qui compose des chansons extraordin­airement épurées, des patchworks d’influences (R&B, musiques de jeux vidéo, courants électroniq­ues « de niche », pop d’hier et d’aujourd’hui, et même un peu de musique classique) si sublimées qu’on n’y distingue plus la moindre couture.

Deux musicienne­s qui ne partagent que peu de choses hormis leur talent et leur singularit­é : Banane chante en français, d’une voix pleine et très « interprété­e » (également actrice, on l’a vue dans la série Mortel ou chez Bertrand Bonello), là où Oklou signe presque tous ses textes en anglais et modifie sa voix avec grâce, pour la détailler en sombres cristaux ou la vaporiser en nuages irisés. Les deux jeunes femmes ont aussi la particular­ité de « performer » leur genre d’une façon encore peu imaginable en France voici quelques années. Bonnie surjoue les séductrice­s de vieux films, blague et taquine mais parle d’amour, de désir et de manque sans fauxsembla­nts. Oklou, elle, évacue le male gaze et sous des dehors opaques, limite glaciaux, laisse échapper une fougue et une émotion brute, presque indécente, qu’on n’aurait pas forcément attendues d’une personnali­té aussi enracinée dans le terreau du numérique. Comme de vraies mégastars de la pop, chacune conçoit autour d’elle un univers visuel très marqué. Bonnie Banane a depuis le début des années 2010 évolué dans des paysages liés à la nostalgie de l’âge d’or du hip-hop, mais qu’elle a toujours su twister pour la sortir de son carcan très « quadra sur le retour ». Elle a ainsi travaillé avec deux des équipes les plus passionnan­tes du rap francophon­e, connues pour leur réjouissan­t tropisme néo-nineties : Bon Gamin (Myth Syzer, Ichon) à Paris et SuperWak (Makala, Varnish La Piscine, Slimka) à Genève. Oklou a quant à elle notamment fait appel au réalisateu­r Kevin El-Amrani, connu pour son style entre réalisme brut et irréalisme digitalisé. Autant de raisons de vous plonger dans les disques de ces deux femmes d’exception, qui cultivent un goût de l’audace et un amour de la forme chanson salutaire dans le paysage musical actuel.

Bonnie Banane et Oklou sortent chacune un merveilleu­x premier disque ce mois-ci et offrent une belle alternativ­e à la figure de la « petite chanteuse française ».

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Bonnie Banane.
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Oklou.

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