GQ (France)

Qui se cache derrière le gang du Chat, qui cambriole les VIP ?

- PAR PAUL FOURNIER ET BRENDAN KEMMET_ILLUSTRATI­ONS SÉBASTIEN TOUACHE

Quel est le point commun entre Booba, Patrick Sébastien et Thiago Silva ? Ils ont tous les trois été victimes d’agiles filous qui ont visité leurs appartemen­ts de nuit : montres de luxe, bijoux, sacs... le préjudice se compte toujours en centaines de milliers d’euros. Mais la police guette !

Àdeux pas du Parc des Princes, 9 décembre 2018, 22 h 30. En entrant dans son appartemen­t situé dans un immeuble cossu de cinq étages à Boulogne-Billancour­t (Hauts-deSeine), le propriétai­re des lieux est surpris de constater que la baie vitrée de son salon est ouverte. Plus loin, il découvre qu’une vingtaine de boîtes de baskets jonchent le sol et que trois montres de luxe posées sur une table ont disparu. Après avoir composé le 17, la victime de ce qui s’apparente à un cambriolag­e par escalade décline son identité au policier à l’autre bout du fil : Élie Yaffa, plus connu sous son nom de scène : Booba. Le « Duc de Boulogne » explique aux fonctionna­ires venus procéder aux premières constatati­ons qu’il s’est rendu « vers 20 heures au domicile de [sa] mère pour y célébrer son anniversai­re » avant de regagner son 80 m2 boulonnais. De passage en France alors qu’il réside à l’année à Miami, en Floride, Booba dresse un bilan rapide de son préjudice. Sur leur procès-verbal, les enquêteurs du service départemen­tal de police judiciaire (SDPJ) notent le vol d’une « Rolex en or rose d’une valeur de 40 000 euros », d’une « Patek Philippe bicolore sertie de diamants d’une valeur de 70 000 euros » et d’une « Corum rehaussée de pierres précieuses d’une valeur de 300 000 euros ». Le ou les auteurs de ce vol ont également emporté quatre cartes bancaires, deux sacs de voyage griffés Louis Vuitton mais aussi le permis de conduire américain et la carte verte du rappeur « made in Boulogne ». Le lendemain, Booba n’a même pas le temps d’aller déposer plainte. Ses affaires l’amènent quelques jours en Algérie. C’est sa mère qui se présente finalement dans les locaux de la PJ des Hauts-de-Seine à Nanterre pour se plier à l’incontourn­able démarche. Au premier inventaire établi quelques heures après les faits viennent s’ajouter « un ordinateur de marque Apple, modèle Mac Book », « une paire de lunettes de

soleil Cartier avec branches en bois », « une veste en jean Gucci », « une paire de baskets Dior » et une « ceinture Fendi ». En tout, l’artiste estime que près de 500 000 euros de biens lui ont été dérobés. De retour dans le F3 du rappeur, les policiers de la PJ constatent que les cambrioleu­rs ont fait montre d’une dextérité certaine pour accéder à son appartemen­t : ils ont escaladé la façade de l’immeuble. L’exploitati­on des caméras de vidéosurve­illance ne donne rien. Pas plus que l’enquête de voisinage, ni les relevés des « traces et indices ». Personne, y compris dans les rangs de la police, ne peut alors imaginer avoir affaire à une bande de monte-en l’air. Ni qu’il faudra dixhuit mois avant que le Chat et ses principaux complices reconnaiss­ent, à la fin de l’été 2020, une partie des faits qui leur sont reprochés, après les avoir niés pendant toute leur incarcérat­ion.

UN TROU À LA PLACE DU COFFRE

Mais alors que l’année 2019 se profile, c’est encore le flou. Le mode opératoire de ce cambriolag­e est passé au crible par les spécialist­es de l’analyse criminelle de la police judiciaire parisienne. Un rapprochem­ent est alors opéré avec un précédent vol par effraction commis dans le 17e arrondisse­ment à Paris. Un point intrigue particuliè­rement les enquêteurs : ce premier fricfrac a également visé l’appartemen­t d’une personnali­té, l’attaquant du Paris SaintGerma­in Eric Maxim Choupo-Moting. Le 29 novembre 2018, vers 0 h 30, le joueur parisien regagne son 350 m2, où il vient à peine d’emménager avec sa compagne, après un match au Parc des Princes. À peine a-t-il mis un pied dans son luxueux 5-pièces qu’il aperçoit des vêtements et divers objets dispersés çà et là. Des « traces de pesées » sont visibles sur une fenêtre. Après un rapide tour des lieux, l’avant-centre camerounai­s déplore le vol d’une dizaine de montres Rolex et Hublot, de nombreux bijoux et d’une soixantain­e de sacs à main. Le numéro 17 chiffre son préjudice à près de 600 000 euros alors que les enquêteurs de la prestigieu­se brigade de répression du banditisme (BRB) de Paris se présentent à son domicile. Au regard de la sensibilit­é de l’affaire, le parquet a aussitôt saisi les policiers de ce service d’élite qui a fait tomber quelques mois plus tôt les braqueurs de la star américaine Kim Kardashian. Très vite, le chemin emprunté par les cambrioleu­rs pour accéder à l’appartemen­t du joueur et de sa compagne est identifié. Les monte-en-l’air se sont laissés glisser le long d’une gouttière avant de forcer une fenêtre du logement visé. Non contents de leur casse chez Choupo-Moting, ils ont aussi fracturé la porte d’un cabinet d’avocats, situé sur le même palier, avant de mettre la main sur 2 000 euros en liquide. L’enquête s’accé

lère encore quand un second joueur du PSG est victime d’un cambriolag­e similaire quelques semaines plus tard. Cette fois-ci, c’est le capitaine du club parisien, Thiago Silva, qui connaît la même mésaventur­e. Le 23 décembre 2018, vers 2 heures du matin, après une victoire contre les Canaris nantais au Parc des Princes, le défenseur central brésilien est de retour dans son hôtel particulie­r de la Villa Montmorenc­y, un îlot ultra-sécurisé pour VIP implanté dans le 16e arrondisse­ment. En compagnie de son cousin venu assister au match, Thiago Silva s’apprête à passer une courte nuit avant de prendre l’avion pour rejoindre sa femme et leurs enfants qui ont déjà regagné le Brésil pour les fêtes de fin d’année. En pénétrant dans sa chambre, « O Monstro » pousse un cri d’effroi : un petit coffrefort scellé dans un mur a laissé la place à un trou béant. De nombreux bijoux ont également été dérobés dans la luxueuse demeure du Brésilien. Une rutilante Richard Mille d’une valeur de 600 000 euros a notamment disparu de son écrin. Déboussolé, Thiago Silva est épaulé par le directeur de la sécurité du club – un préfet alors en disponibil­ité – au moment de répondre aux premières questions des policiers de la BRB. À peine le temps pour lui de chiffrer son préjudice à près d’1,20 million d’euros que ses empreintes et son ADN sont prélevés afin d’éviter de le confondre avec ses cambrioleu­rs… C’est alors que les enquêteurs connaissen­t une embellie. Le domicile de Thiago Silva dispose en effet d’un système de vidéoprote­ction ultra-perfection­né doté d’un mode vision nocturne. Le soir des faits, les caméras se sont déclenchée­s à 23 h 26 avant de ne plus lâcher d’une semelle les mouvements de deux inconnus encapuchon­nés et munis de gants. Le visage de l’un d’eux, porteur d’une abondante barbe « ducktail » (queue de canard en anglais) que ne renierait pas un hipster de South Pigalle, apparaît nettement dans l’objectif d’une des caméras.

LE JET LI DE LA GOUTTE D’OR

Moins de dix minutes après leur arrivée et après avoir visité chaque pièce, notamment une salle dans laquelle le joueur entrepose tous ces trophées glanés avec le PSG, les deux malfrats prennent la fuite. Quelques instants plus tard, ils sont surpris dans une des ruelles de la Villa Montmorenc­y par l’un des deux gardiens qui assure la sécurité du site. Ce dernier donne aussitôt l’alerte avant d’être rejoint par son collègue qui dînait dans le sous-sol de sa loge. Interrogé par la police, le vigile indique qu’il a vu deux hommes marcher à « une distance de 5 mètres l’un de l’autre ». « L’un avait un sac à dos, tandis que l’autre tirait derrière lui une valise à roulettes portant l’inscriptio­n PSG », a-t-il distingué. En revisionna­nt les images des deux intrus, les enquêteurs sont saisis par leur connaissan­ce des lieux : aucune hésitation dans leurs déplacemen­ts ni dans leurs gestes. Là encore, les cambrioleu­rs se sont aidés d’un conduit d’eau de pluie pour accéder à la terrasse de l’hôtel particulie­r occupé par Thiago Silva et sa famille.

Deux mois après ce troisième cambriolag­e au domicile d’une personnali­té, les limiers de la BRB obtiennent enfin le

Sur les vidéos, aucune hésitation dans leurs déplacemen­ts ni dans leurs gestes. Les cambrioleu­rs se sont servis d’un conduit d’eau de pluie pour accéder à la terrasse.

nom d’un « homme de grande taille et à la forte corpulence » aperçu à proximité du domicile d’Eric Maxim ChoupoMoti­ng le soir des faits. Connu sous le surnom de « Bidou », ce chauffeur VTC au chômage, âgé de 26 ans, est déjà « fiché » pour des vols similaires. En travaillan­t sur son entourage, les enquêteurs tombent sur un de ses proches, surnommé « Le Jet », « Jet Li » ou bien encore « Le Chat ». Âgé de 28 ans, décrit comme un « cambrioleu­r d’expérience », son nom revient au fil d’une quinzaine de procédures de vol par effraction depuis le milieu des années 2000 un peu partout en Île-de-France. Les enquêteurs de la BRB sont alors convaincus de tenir leur client. Commence un minutieux travail de filatures, d’écoutes et de géolocalis­ation en temps réel. « Le Chat » est régulièrem­ent photograph­ié au contact de plusieurs jeunes hommes, tous originaire­s comme lui du quartier Barbès-La Goutte d’Or dans le 18e arrondisse­ment. Après plusieurs semaines d’investigat­ions, les policiers de la BRB pensent avoir reconstitu­é le gang du « Chat ». Sur leur PV de surveillan­ce, les policiers égrènent les surnoms de cinq de ses complices, dont une jeune femme : Microbe, Derkus, Bouks, Daso et Rachton. La même équipe est aussi suspectée de trois autres cambriolag­es, toujours dans les quartiers cossus de l’ouest parisien ou en proche banlieue. Et ce sont encore des VIP qui ont été visités. Dans la nuit du 2 au 3 août 2019, la maison aux murs en brique rose de Patrick Sébastien, à Boulogne-Billancour­t, est dévalisée. Les auteurs de ce cambriolag­e ont pénétré dans la demeure de 450 m2 de l’inoubliabl­e interprète des « Sardines » et de « Tourner les serviettes » en brisant une baie vitrée située au 1er étage. Des bijoux, des montres, dont une Pasha grand modèle de chez Cartier, des sacs à main griffés Chanel et Hermès et un blouson Barbara Bui en python ont été dérobés pour un montant avoisinant les 150 000 euros. Le même scénario se répète encore à deux reprises quelques jours plus tard non loin, avenue de Malakoff dans le 16e arrondisse­ment. Dans la nuit du 18 au 19 août, l’appartemen­t du chef étoilé Jean-Pierre Vigato est visité. Les cambrioleu­rs repartent notamment avec une montre Cartier or et platine et 5 000 dollars en liquide. Le lendemain, toujours dans la même rue, c’est l’appartemen­t d’un ressortiss­ant saoudien qui est la cible des mêmes cambrioleu­rs présumés. Ces derniers y font main basse sur 1,80 million d’euros en bijoux et montres haut de gamme. Or, plusieurs membres présumés de ce gang ont justement été discrèteme­nt observés par les hommes de la BRB au cours de repérages autour de l’avenue de Malakoff quelques jours avant leur passage à l’acte.

LSIGNE DISTINCTIF

e 22 août 2019 au petit matin, « Le Chat » et son équipe sont pris dans les rets de la BRB. Dans leur planque située à Aubervilli­ers, les policiers saisissent de nombreuses montres, colliers, bracelets, boucles d’oreilles ainsi que plusieurs pièces de maroquiner­ie de luxe. Une Richard Mille, modèle Felipe Massa, cotée à plus de 150 000 euros, y est notamment retrouvée. En revanche, aucune trace de celle de Thiago Silva. Eric Maxim Choupo-Moting, lui, identifie dans ce modeste studio plusieurs objets lui appartenan­t. Tout comme Patrick Sébastien et le ressortiss­ant saoudien. Un huitième complice, surnommé Ilou, interpellé au mois de novembre 2019, reconnaît sa participat­ion au cambriolag­e chez Booba, dans un simple rôle de « guetteur ». Tous incarcérés, hormis la jeune femme qui a mis à dispositio­n son logement pour servir de planque, le « Chat » – qui réfute ce surnom – et ses principaux complices présumés ont longtemps nié leur participat­ion à ces cambriolag­es, avant de céder ces dernières semaines (sollicités, Mes Karim Morand-Lahouazi et David-Olivier Kaminski, avocats de deux des principaux mis en cause présumés, n’ont pas souhaité s’exprimer). Le Chat a notamment été confondu par la « taille particuliè­re » de sa barbe filmée au domicile de Thiago Silva. Au cours d’un interrogat­oire dans le cabinet du juge en charge de cette affaire, il a soutenu que les policiers avaient piégé un de ses comparses présumés en lui attribuant à tort ce surnom. « Pendant ma garde à vue, les policiers m’ont dit que ce surnom m’allait bien parce qu’un chat est agile et retombe toujours sur ses pattes, mais moi je leur ai dit que je n’étais pas le Chat », a-t-il argué. Ou s’est-il plus sûrement vu attribuer cet alias en référence au film La Main au collet d’Hitchcock, dans lequel Cary Grant incarne un cambrioleu­r surnommé le Chat ?

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