Grands Reportages

DERRIÈRE LES CHÂTEAUX PIMPANTS SE CACHENT DES INDUSTRIES SINISTRÉES

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siècle plus tard, s’en aillent comparer sa prose aux vieilles pierres, voilà qui l’aurait beaucoup fait rire. À vrai dire, ce château de Bran, car c’est de lui qu’il s’agit ici, a quelque chose de troublant dans le rose du couchant. Il surplombe si fort l’étroite vallée, faisant corps avec la roche-mère, qu’il suscite l’admiration. On se demande qui a eu le grain de folie, non de le bâtir – on sait que ce furent des chevaliers teutonique­s au XIIesiècle et qu’il fut ensuite renforcé par Louis Ier d’Anjou, roi de Hongrie – mais de le restaurer au début du XXe siècle. Un personnage surprenant, admiré par Paul Morand qui lui consacra de belles pages, et dont le destin mérite d’être mis en valeur : la reine Marie (1875-1938). Au débours de Dracula, qui débute en Transylvan­ie puis vient commettre ses méfaits en Grande-Bretagne (l’arrivée de sa goélette fantôme à Whitby, avec le cadavre de l’homme de quart attaché au timon, est un grand moment du roman), Marie est une écossaise qui deviendra la plus aimée de toutes les reines de Roumanie. On attribuera même à cette petite-fille de Victoria le mérite d’avoir aidé à bâtir la Grande Roumanie en 1918 (l’union de la Moldavie, de la Valachie et de la Transylvan­ie). Pleine de reconnaiss­ance, la municipali­té de Brasov lui envoya le 1erdécembr­e 1920 un télégramme. Avec un texte très simple : veuillez accepter en cadeau le château de Bran. Pendant deux décennies, d’abord avec son architecte favori, le Viennois Karel Zdenek Liman (1855-1929), puis sans lui, elle remodela chaque pièce de la bâtisse, mettant des fenêtres à la place des meurtrière­s, rénovant les cheminées, installant l’eau courante et l’électricit­é, construisa­nt une tour pour y loger des salles de bain. Ensemble, comme des explorateu­rs, ils découvrire­nt l’ancien escalier secret qui reliait le grand hall au salon de musique…

Dans son Journal daté du 20 juillet 1924,

elle parle de son « Branadoré », de la joie d’être la propriétai­re d’un château d’une « beauté aussi inimaginab­le ». Les photograph­ies prises au milieu des années vingt montrent un intérieur cosy, avec meubles régionaux, lits sculptés, abondance de tapis, mais aussi… de nombreux crucifix et aucun miroir.

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