LA CRÊTE AVANT LES CRÊTES
Retour au sol ? Lure est aussi une montagne « à l’envers ». Abritant des Provence admirables, lorsque l’on se laisse replonger modestement vers de singulières échelles locales. Hier encore, nos univers de marche cheminaient très modestement loin des vastes profondeurs d’horizons offerts par les crêtes. À une tout autre portée d’une Provence où l’oeuvre de Giono a presque dessiné chaque repère du paysage. Une Provence à la fois imaginaire et réelle, allégorique mais ancrée dans la lumière et le calcaire des lieux. Une Provence qui tient, sur le terrain, presque tout entière dans le bleu singulier du ciel sous le mistral, ponctuée de la sécheresse des bories magnifiques, des drailles et des chemins à flancs de forêts, vers un col tout de pâturages, sous le moutonnement doux des collines. Des terres calmes, ourlées d’espace et de simplicité ronde, d’odeur des thyms sauvages et des sarriettes. Des terres où ne sont jamais loin au regard les champs de lavande, sous des versants de calcaire éclatant, à l’ombre des petites forêts de chênes et de hêtres, au-dessus de hameaux pas tout à fait abandonnés, adossés parfois aux voûtes romanes de petits prieurés en ruine. Nous marchions avec Giono ? À deux pas du Cantadour, là même où Giono, avant la Seconde Guerre mondiale, réunissait en ces déserts, deux fois l’an, amis, auteurs, musiciens, cinéastes et poètes parisiens pour confronter ensemble utopie(s) de pensées et silences terrestres, notre rando du jour remontait depuis Saumane vers le col de la Roche, l’un des points de bascule ancestraux entre les versants sud et nord de Lure, reliant les contreforts sud à la vallée du Jabron et Villevielle. Des mondes « en dessous » des crêtes et des envolées majeures de Lure ? L’itinéraire, dans les descriptions du topo de Jean-Louis Carribou (voir encadré), emprunte pourtant son nom à l’un des textes clefs pour qui veut saisir les valeurs spirituelles et humaines de Jean Giono : le chemin des Vraies richesses. Laissons de côté l’exégèse de ce texte complexe malgré le caractère si explicite de son titre : pour Giono, comme pour nous ce jour-là, les vraies richesses avaient effectivement à voir avec la simplicité brute de la lumière sur un jas de pierres sèches. Sur ces collines moutonnantes, ourlant des vallées toutes de champs clairs. Sur de simples bories aux voûtes d’ombre fraîche, adossées aux « présences » des hêtres surnaturels et des landes dorées. Sur la force du vent sculptant l’aplat bleu du ciel déjà, et d’amitiés partagées, aussi. Pour Giono, grand voyageur somme toute très immobile, la rencontre avec le dépouillement de Lure (mais encore celui du Dévoluy tout proche et aussi férocement minéral, où il séjourna et