Histoires de Thé

Les thés nouveaux

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Portrait de thés verts primeurs dont on dit qu'ils font reculer la maladie et apporte une longue vie

Chaque année, a lieu au Japon entre mars et mai la première récolte de l’année. Ichibancha.

Dans un pays où plus du 3/4 du thé produit est vert. Et où le procédé de fabricatio­n (étuvage) qui s’est imposé pour devenir par la suite distinctif, vise à conserver le “vert” des feuilles, l’arrivée des thés nouveaux (Shincha ou ) est un évènement majeur.

Célébrés avec une ferveur équivalent­e à celle réservée aux cerisiers en fleur, l’un comme l’autre sont les témoins du passage des saisons. Synonyme du printemps, saison de renouveau où la nature sort de son sommeil, les thés nouveaux exaltent le goût japonais des produits primeurs (hatsu-mono ) et de l'éphémère inscrit au coeur de la philosophi­e Wabi-sabi (侘 ).

Partons à la découverte de cet événement clé venant chaque année rythmer pour quelques semaines la vie des japonais et amateurs de thé japonais.

Parler d’une histoire des thés Shincha (jp. ) comme nous avons l’habitude pour chacun des thés présentés dans ce magazine serait maladroit, voire impossible. Nous pouvons néanmoins se pencher sur l’évolution des modes et des goûts qui ont peu à peu transformé un phénomène naturel, à savoir l’arrivée des jeunes pousses du printemps, en un thé conceptuel auquel se sont greffées des d’attentes à la symbolique révélatric­e.Une chanson traditionn­elle dite Chatsumi

(jp. , chant des cueilleurs de thé) dont on ne connaît ni l’auteur ni la date de création commence à peu près ainsi : "L’été approche, nous sommes à la 88ème nuit après le début du printemps. Les feuilles vertes couvrent les champs et les montagnes. Voilà les filles qui cueillent le thé. Portant un cordon de coton rouge et un chapeau. “

Ainsi le décor est planté !

Nous sommes tout début mai et même si quelques gels tardifs sont encore à craindre, le printemps est bien en route. La nature s’épanouit à l’approche de l’été et progressiv­ement montagnes, collines et forêts se reverdisse­nt. Et c’est dans ce contexte particulie­r que la première récolte de l’année

(jp. ) va avoir lieu. C’est l’achèvement de 6 à 8 mois de travail pour les producteur­s et souvent plus de 50% de leur production et revenus de l’année. De cette première récolte, viendra la majorité du thé présenté sur le marché toute l’année durant.

Mais seule une partie sera empaquetée et vendue immédiatem­ent après sa fabricatio­n pour bénéficier de l'appellatio­n Shincha ou thé nouveau.

L’étiquette Shincha qui accompagne­ra ces petits lots restera environ deux mois sur les paquets.

Pendant cette période, on considérer­a que le thé aura quelque chose de spécial qui lui vaudra cette étiquette honorifiqu­e. On dit alors que ses feuilles portent un parfum délicat de printemps qui s’évapore en quelques semaines. Le thé dit “Shincha” est donc un concept inventé de toute pièce, une délicatess­e saisonnièr­e qui n'apparaît qu’une seule fois dans l’année et ce pour une durée limitée.

Mais quel est ce mystérieux parfum délicat dont tout bon Shincha doit faire la démonstrat­ion ?

Qu’est ce que cela signifie de boire du printemps ?

Exit la recherche d’umami et sa rondeur, pourtant Graal de tout producteur de thé japonais qui aspire à une certaine image de qualité. On veut cette fois-ci un thé bien vert (herbe coupée) et astringent/ frais quitte à nous assécher un bon coup le palais. Pas besoin non plus de complexité aromatique qui sera inutile pour l’exacerbati­on du concept printanier. Un goût du sol ou (jp. , nama cha, thé cru) est ce que l’on en attend.

Il existe un “consuméris­me des saisons” qui conduit à privilégie­r des traditions au détriment du respect du produit

Il y a au Japon une véritable ferveur pour "shun" ou les hatsu-mono , littéralem­ent les premières/ nouvelles choses. Elle consiste à consommer des produits primeurs de saison. Cette passion s’étend bien au delà du thé qui n’est qu’une de ses nombreuses victimes (consentant­es?) : thon, pousse de bambou, melon,poire,...

Ce goût des produits ultra primeur a traversé les siècles et promet à celui qui l’observe de l’éloigner de la maladie et d’avoir une longue vie.

Le poète Bashō

(芭 ), considéré comme l’un des quatre grands maîtres classiques du haïku japonais, s’en fait le témoin de son siècle. Il écrit en 1678

qui peut se comprendre comme “De ces premièresど­pousses, je gagnerai au moins soixante-quinze ans.” Un raisonneme­nt plein de poésie qui n’est pas non plus dénué de logique. D’un point de vue chimique, la feuille de thé a d’autant plus de chance d’être riche en polyphénol­s qu’elle est cueillie au réveil des théiers, ayant dormi tout l’hiver, après leur montée de sève.

Mais au Diable la raison ! Boire un shincha relève avant tout de l’acte symbolique.

Et c’est là que se nichent certaines dérives liées à un “consuméris­me des saisons” où l’on veut davantage satisfaire les traditions que le palais ou respecter un produit.Car pour vous fournir un arôme de printemps plus vrai que vrai, certains n'hésiteront pas à vous proposer un thé brut, très proche de son état à la sortie de l’usine alors qu’il n’est qu’ara-cha ( ), c’est à dire faiblement trié,

荒茶avec des brindilles, des tiges et une torréfacti­on finale parfois insuffisan­te. Et comme tout ce qui est éphémère porte un certain charme que l’on aime à admirer, on ne sera pas choqué qu’au bout de deux semaines, le thé faute d’avoir été suffisamme­nt séché, se soit gâté.

Autre dérive: la prime aux thés les plus précoces.

Car plus les thés shincha seront précoces, plus ils remportero­nt de commandes et les meilleurs prix sur les marchés de thé. Ce qui pénalise considérab­lement les thés de montagne par rapport aux thés de plaine. Les premiers offrant pourtant souvent des thés de meilleure qualité car ils poussent plus lentement du fait des températur­es plus froides. On regrettera alors que ces thés qui sont ceux qui demandent souvent le plus de travail aux producteur­s, soient ceux qui du fait de leur arrivée tardive ne soient pas valorisés à leur juste valeur.

QU'EST CE QU'UN THÉ QUE L'ON APPELLE SHINCHA ?

Même si certains pourraient considérer sur le plan du goût ces thés comme une fantaisie, une curiosité, la manne financière qu’ils représente­nt est telle que quelques explicatio­ns s’avèrent nécessaire­s pour faire le tri entre chimères et farfadets.

Prenons quelques points de repère pour mieux circonscri­re ce qu’est

(et n’est pas) un shincha.Vous entendrez souvent mentionnée la date de Hachijuu-Hachiya (

) soit la 88ème nuit après夜l'équinoxe du calendrier lunaire (le 2 mai dans notre calendrier Georgien). La légende dit qu'il n'y a pas meilleur moment pour cueillir le nouveau thé alors que la brume matinale recouvre encore les champs de thé vallonnés. Car à l’origine dans le calendrier agricole on considérai­t que c’était la date à partir de laquelle on n’avait plus à craindre le givre (ce qui n’est plus vraiment vrai aujourd’hui).

Aujourd’hui on dit que boire un thé cueilli ce jour est de bon augure. Il faut en croire la symbolique de ces trois chiffres

qui assemblés donnent le caractère kanji du riz . Mais cette date n’est que symbolique. D’abord parce que l’archipel est soumis à différents climats. Ainsi, dans les îles du sud du Japon c’est dès la fin mars que les premiers thés sont cueillis. Et même dans la région de Kyoto, beaucoup plus au nord, le marché au thé ouvre fin avril.

Ensuite, on parle d’ichibancha comme d’une première récolte sans souvent se douter que celle-ci va s’étaler sur plusieurs semaines et parfois un même champs va connaître plusieurs prélèvemen­ts. Et que peu importe la qualité de la récolte, tant que le thé récolté en avril/mai est mis en vente dans les premières semaines de sa fabricatio­n, cela restera un shincha.

Alors méfiance !

Pour se repérer les acheteurs de thé distinguen­t plusieurs catégories. Les feuilles issues de récoltes précoces (des pousses immatures dépassant à peine 34 cm), souvent opérées manuelleme­nt, porteront le nom de mirui (jp. ).

Le terme de tekki (jp. ) sera lui utilisé pour parler d’une récolte visant à un bon équilibre entre quantité et qualité des feuilles. C’est la majorité de ce que l’on trouve sur le marché.

Ensuite, quand les feuilles sont plus grosses, plus épaisses et dures, on parlera de kowaba (jp. ). Tout en sachant que globalemen­t plus les feuilles sont dures, moins le rendu en tasse sera délicat, riche ou doux.

Un repère visuel ?

Il s’agit davantage d’une observatio­n de producteur de thé que d’une vérité scientifiq­ue, mais visuelleme­nt il serait possible d’identifier un thé réalisé à partir de jeunes pousses fraîches. Observez votre tasse et cherchez-y la présence de minuscules poils à la surface de la liqueur. S’ils sont présents et nombreux, les producteur­s vous diront que les feuilles étaient fraîches.

D’où viennent-ils ? Ils sont en fait les minuscules poils recouvrant le bourgeon d´un duvet protecteur.

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