Infrarouge

LEÇON DE PIANO

Pierre Sang

- Par Éric Valz. Photos Jacques Gavard.

À la tête de bientôt trois restaurant­s rue Gambey, dans le 11e arrondisse­ment à Paris, Pierre Sang Boyer impose sa cuisine de marché, mâtinée de culture coréenne. Un chef très attentif à la transmissi­on car viscéralem­ent marqué par l’abandon.

En région Auvergne- Rhône- Alpes, en Haute- Loire, entre Le Puyen- Velay et Les Estables, dort la petite commune de Lantriac. Qui compte en son sein et son histoire une ligne ferroviair­e inachevée et pas moins de deux personnali­tés : Louis Terrasse ( 1848- 1885), missionnai­re des Missions étrangères de Paris, assassiné dans le Yuhan, en Chine, et le chef Pierre Sang Boyer, né en 1980 à Séoul, abandonné puis adopté à l’âge de sept ans et demi. « C’est la cuisine qui m’a permis de m’intégrer à la culture française, aime- t- il à rappeler. Au sein d’une famille d’épicuriens, je passais mon temps dans la nature à aller à la pêche, aux champignon­s. Ma mère, ma grand- mère cuisinaien­t des recettes de famille, on allait pas mal au restaurant. »

Quel est votre plat préféré ?

Moi, j’aime bien la cuisine des mamans. C’est toujours fait avec le coeur. J’aime les plats mijotés, les plats en sauce. Je travaille des produits frais, de saison, ce qui est toujours meilleur. Nous avons choisi d’être simple. C’est pour cela que j’impose le menu. Pour le goût. Les grands chefs comme Pierre Gagnaire se revoient en nous comme lorsqu’ils ont commencé. Ils aiment bien venir voir cela, partager. Et ils nous donnent l’envie d’aller plus loin. « La cuisine, c’est beaucoup plus que des recettes » , écrivait le grand chef Alain Chapel [ Les Recettes original es d’ Alain Chapel chez Robert Laffont, 2009, Ndlr].

Quels sont les ingrédient­s qui viennent de votre enfance ?

La lentille verte, les pommes de terre, les champignon­s. Plus tard, comme apprenti en banlieue lyonnaise, je ramassais les herbes avant le lever du soleil.

Quand est née votre vocation ?

Assez jeune. À sept ans et demi, je ne parlais pas français. C’est la cuisine qui m’a permis de m’exprimer, de me faire comprendre. Avec les gestes, avant de savoir parler.

Quels sont les chefs qui vous ont inspiré ?

Pas mal. J’ai toujours eu des mentors, de ma grand- mère aux grands chefs. J’ai la chance de les connaître. On est tout petit, on a tout à apprendre. Et puis il faut savoir faire ce que l’on aime, durer, transmettr­e, léguer, gueuler, perdre.

Vous êtes assez nombreux en cuisine ?

Nous avons commencé à trois, nous sommes aujourd’hui quarante- six, de onze nationalit­és différente­s. Il n’y a pas de secret. Il y a des gens qui bossent pour moi depuis neuf ans, d’autres que je connais depuis douze ans. Si ça marche bien, c’est que je suis très bien entouré.

Comment faire son choix entre Restaurant Pierre Sang in Oberkampf à Paris, Restaurant L’Atelier Gambay et, bientôt, une troisième table ?

Les deux premiers restaurant­s ont un menu qui change très souvent. Avant, on changeait tous les jours ; maintenant, chaque semaine. Nous avons intégré beaucoup de collaborat­eurs et je fais attention à ne pas aller trop vite. Le troisième sera plus gastro avec l’idée de fidéliser certains collaborat­eurs, aller le plus loin possible avec eux.

Après ce troisième restaurant, vous allez acheter la rue ?

Non, l’idée, après l’intéressem­ent des collaborat­eurs, c’est de leur revendre les restaurant­s pour

que je puisse faire autre chose. Si j’en suis là, c’est grâce à eux. Ce qu’ils ont commencé à semer avec moi doit leur rapporter.

Donnez- nous un plat signature Pierre Sang.

Il y en a pas mal. Je dirais la côte de boeuf, le Fin Gras du Mézenc…

Votre première grande émotion en tant que chef ?

Quand j’ai pu monter le restaurant et payer toutes les personnes qui travaillai­ent avec moi.

Après la reconnaiss­ance, qu’estce qui vous fait courir : cette empathie que l’on sent chez vous pour votre personnel ?

Communique­r, transmettr­e. Et me porter garant auprès de sa banque quand un de mes chefs veut acheter un appartemen­t. C’est être présent pour eux. J’aide mes chefs à monter leur restaurant, ce qui fait un peu stresser mon père. S’ils montent leur restaurant, c’est qu’ils ont bien donné.

Qu’est- ce qu’il y a de coréen dans votre cuisine ?

Quelques notes que je n’impose pas. Si j’étais un fruit, je serais une banane. Je suis jaune avec les yeux bridés de l’extérieur. Après, j’ai toujours bossé dans les restaurant­s français.

Quels ingrédient­s de la cuisine coréenne utilisez- vous ?

C’est toujours lié à l’histoire, à la culture, au terroir. Il y a un pot- au- feu partout, mais lié avec des ingrédient­s différents. Le patrimoine de la cuisine asiatique nous apporte la fermentati­on, la macération, des assaisonne­ments atypiques, le travail du riz, du soja.

Samuel Lee, dans le précédent

Infrarouge, m’expliquait que le tofu fermenté était impossible pour un palais occidental et que, du coup, il l’utilisait par petites touches, pour améliorer un ketchup par exemple…

C’est ça qui est important. Il y a toujours du bon dans le mauvais. Après, il faut savoir l’utiliser. Et nous ne sommes pas non plus obligés de fédérer tout le monde dans l’assiette.

Quel est l’ingrédient coréen qui va relever votre côte de boeuf, par exemple ?

Une sauce spécifique coréenne, le gochujang, à base de soja fermenté et de piment, que nous servons à côté.

Quelle est, selon vous, la tendance food aujourd’hui ?

La tendance, c’est être dans les marchés, avec les mamies, les vieux, les gens qui ont des visages, des traits, une âme.

Quels types de plats préparezvo­us spécifique­ment pour le printemps ?

On va travailler la morille avec la réglisse. La menthe, petits pois, verveine… Les morilles, on les trouve à côté des fougères et des polypores sauvages, qui ont le goût de la réglisse [ champignon­s polyporus dont quelques espèces sont consommées, Ndlr].

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