Infrarouge

Guillaume Sanchez Électron libre

- Par Laurence Gounel, photo Marie- Amelie Tondu

Ne vous y fiez pas, ses tatouages ne présagent en rien l’ascendant besogneux de ce fils de militaire, biberonné chez les compagnons. Option : pâtisserie. Travailleu­r, ambitieux et visionnair­e, c’est en cuisine qu’on le retrouve, désormais taulier d’une des jeunes tables les plus désirables du nord parisien. Nomos, comme l’art et la loi, la rigueur et la liberté. Comment en arrive- t- on à rejoindre les Compagnons du Devoir à 14 ans ?

Peut- être en réaction à une éducation « militaire » , à une enfance passée en caserne même si, au final, la rigueur m’a vite rattrapé. Je m’aperçois aujourd’hui que l’influence de mon père est omniprésen­te dans le choix que j’ai fait : un métier où la rigueur demeure.

Pourquoi la cuisine plutôt que la pâtisserie ?

Parce que l’opportunit­é s’est présentée, et pourquoi pas ? Ce qui m’a plu, c’est de faire vivre une idée. Finalement, ce que j’ai le plus appris dans cette aventure, c’est la restaurati­on plus que la cuisine. Comment gérer un établissem­ent, faire fonctionne­r une entreprise. J’ai acquis un bel outil pour appréhende­r les projets à venir. Aujourd’hui, Nomos, c’est un peu mon « labo » du futur. On n’a pas de carte et on travaille déjà des accords qui restent notés pour la suite... J’aimerais déménager cette table et la faire évoluer. Rejoindre peut- être le concept de départ qui était d’offrir un « gastro » d’expérience­s ( mais qui demande davantage de ressources). Ce que je veux, c’est raconter des histoires. De Aà Z, sur un sujet. Insuffler la vie profane dans ma cuisine… et me libérer des derniers carcans, si j’en ai envie. Nous sommes encore très dépendants de l’aspect visuel, de certaines traditions, de ce que véhiculent les réseaux sociaux.

Comment voyez- vous la cuisine de demain ? Justement, je suis en pleine réflexion. J’aimerais me dégager des phénomènes de mode, de ce que nous dicte l’histoire, mais je ne sais pas encore si le restaurant du futur consacrera la liberté totale du client – à lui de choisir ce qu’il a envie de manger et à nous d’improviser – ou celle du chef. Aujourd’hui, nous sommes tiraillés entre satisfaire le client et se faire plaisir. À partir d’un certain prix, les hôtes ont encore certaines attentes. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut arrêter de passer sa journée dans sa cuisine, au risque de s’essouffler. Le format de notre métier doit changer : on ne peut pas ruiner nos gars au travail. C’est essentiel de bouger, voir des expos, aller au ciné, ne pas négliger la vie extérieure... Le chef scandinave Esben Holmboe Bang a tout compris quand, après trois ans d’un rythme soutenu de six jours sur sept, il a offert à son équipe la semaine de trois jours pour le même salaire. Il a compris qu’un homme seul derrière sa cuisine ne vaut rien. L’équipe est beaucoup plus créative quand elle est bien dans ses baskets : et ce n’est pas en faisant travailler des gamins 18 heures par jour, qui n’ont plus de potes et dans une situation financière instable, qu’on élèvera le niveau.

Quel regard portez- vous sur votre profession ?

On exerce un métier passionnan­t, mais que personne ne creuse à mon sens. On a tendance à rester en surface, et ça me désole. En revanche, moi qui n’ai pas choisi ce métier par passion ni parce que je n’avais pas le choix, je reste fasciné par les cuisiniers. Ils sont une race à part dans la société d’aujourd’hui, de par leur degré d’abnégation. Les jeunes ont un grand respect pour les anciens et sont capables de « donner » leurs meilleures années à un chef... il n’y a que dans cette profession que j’observe cela.

De quelle « école » vous sentez- vous proche ?

Je trouve que notre génération n’a rien inventé. Je me sens plus proche de celle d’avant. Peut- être parce que, malgré mes 27 ans, cela fait déjà 15 ans que je fais ce métier, mais aussi parce qu’ils ont su s’affranchir faroucheme­nt des codes, se libérer de la cuisine de palace. Il fallait être sacrément courageux pour sortir de ce monde- là et créer le sien. La bistronomi­e d’Yves Camdeborde se retrouve partout dans nos salles. Nous, on a juste fignolé l’enveloppe en travaillan­t la déco ou les logos, mais, en réalité, on n’a pas trouvé de nouveaux produits ni de nouvelles cuissons. En revanche, nous attendons la reconnaiss­ance de nos pairs, voire les étoiles... même si la plupart font mine de n’en avoir rien à faire. Humains aux éditions Tana, 252 pages, 29,95 € Soucieux de partager ses recettes, mais pas seulement, le chef se distingue là encore en livrant une réflexion personnell­e de 200 pages sur ses rencontres, la transmissi­on et le parcours semé d’embûches qui attend le jeune cuisinier. À paraître le 2 octobre. « Avec le Nomos, c’est l’humain que j’avais envie de remettre au centre de mon travail. »

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