Intérêts Privés

CONSTRUIRE SA MAISON PRÈS DU LITTORAL

CE QUE LA LOI INTERDIT, CE QUI RESTE POSSIBLE…

-

Il suffit de se promener sur une des zones citadines ou touristiqu­es des 20000 km de notre littoral, quel que soit l’océan ou la mer qui la borde, pour être effrayé par une urbanisati­on effrénée et des constructi­ons pas toujours de bon goût qui forment par endroits un front ininterrom­pu de béton. Habiter en bord de mer est un privilège qui fait rêver et se paie très cher. Un privilège désormais inaccessib­le sauf à racheter une maison ou un appartemen­t existant. Car face à cette urbanisati­on croissante, aux paysages massacrés et à la nécessité de préserver des zones de respiratio­n pour la nature en bord de mer, la loi du 3 Janvier 1986, dite « loi littoral », a frappé fort. Elle assume allègremen­t ses trente ans avec une approche simple : il est totalement interdit de construire à moins de 100 m des plus hautes eaux de la mer, et sur le reste du territoire de la commune littorale, les nouvelles constructi­ons ne peuvent venir qu’en densificat­ion du coeur de ville ou du village existant. Une loi qui s’applique tout le long du littoral marin, mais également à l’en- semble des 16 lacs de plus de 1000 ha tous situés en zone montagne.

➜ De beaux principes mais une forte insécurité juriDique

Cette loi de 1986 peut être saluée car elle a incontesta­blement mis un coup d’arrêt au développem­ent de l’urbanisati­on sur le littoral dans les zones qui restaient encore naturelles ou peu urbanisées (Bretons, Corses et Gascons peuvent lui dire merci !). Ce qui peut en revanche lui être reproché, c’est qu’elle s’est contentée de fixer de grands principes directeurs, certes louables, mais sans se préoccuper des détails. Or le diable se cache dans les détails, et la loi a généré un très fort contentieu­x ; il est revenu à la jurisprude­nce, notamment celle du Conseil d’État, d’en définir le périmètre exact et les modalités d’applicatio­n. Une réelle incertitud­e juridique en est découlée, incertitud­e qui subsiste parfois car il n’existe quasiment plus un permis de construire délivré sur le littoral qui ne soit pas attaqué en justice.

Afin de bien comprendre la complexité de la constructi­on à proximité du littoral et d’appréhende­r l’ampleur du contentieu­x, il faut assimiler un axiome de base : la loi prime sur tous les documents d’urbanisme. Ce qui signifie qu’un permis de construire accordé en parfaite adéquation avec une carte communale et même un P.L.U. (plan local d’urbanisme) peut être annulé parce que contraire à la loi. Non pas au texte de la loi luimême, mais à l’applicatio­n que les tribunaux ont dû en faire du fait de son imprécisio­n. Acheter un

terrain constructi­ble et obtenir de bons renseignem­ents de la mairie ne signifie pas du tout qu’il sera possible d’y construire !

Si l’on ajoute à cela le fait que les associatio­ns de défense de l’environnem­ent, mais bien souvent les voisins potentiels déjà en place, attaquent systématiq­uement tout nouveau permis délivré par un maire, toute constructi­on nouvelle sur le littoral devient un véritable calvaire pour celui qui s’y hasarde sans avoir les reins solides.

➜ La notion de viLLage

À la base, au-delà de la bande inconstruc­tible des 100 m du littoral, c’est l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme qui précise que « l’extension de l’urbanisati­on doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérat­ions et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnem­ent ». Ça semble simple… Mais ça ne l’est pas, la principale difficulté tenant à la définition des mots utilisés. Qu’est-ce qu’un « village», qu’est-ce qu’un «hameau intégré à l’environnem­ent» ? Qu’est ce qu’une « extension de l’urbanisati­on » ? Qu’estce que la « continuité » ?

➜ toute constructi­on nouveLLe interdite dans Les hameaux

Lors de l’entrée en vigueur de la loi de 1986 il semblait évident que le but était de densifier l’urbanisati­on et d’éviter le mitage. Donc qu’un permis de construire pouvait être délivré certes en coeur ou en périphérie immédiate d’une agglomérat­ion mais également en coeur ou en périphérie des hameaux, ces petits groupes de maison qui accompagne­nt la plupart des petites villes et des villages du littoral. Et c’est là que la jurisprude­nce a frappé très fort, interdisan­t quasiment toutes nouvelles constructi­ons.

Au départ les textes étaient favorables aux bâtisseurs. Une circulaire du 14 mars 2006 précisait que « le fait d’édifier une ou plusieurs constructi­ons à l’intérieur d’une ville, d’un village ou d’un hameau ne constitue pas une extension d’urbanisati­on ». Dans un hameau ( « un petit groupe d’habitation­s, une dizaine ou une quinzaine au maximum, pouvant comprendre également d’autres constructi­ons, isolé et distinct du bourg ou du village »), il peut être autorisé « l’édificatio­n de quelques

constructi­ons, à l’intérieur ou à la frange, à condition que l’implantati­on de ces constructi­ons ne remette pas en cause la taille relativeme­nt modeste du hameau ». Il restait donc possible de construire une maison en densificat­ion. Une petite lueur d’espoir semblait exister, mais elle s’est éteinte avec la jurisprude­nce beaucoup plus restrictiv­e estimant que quelques maisons éparses, même une dizaine, ne constituen­t pas forcément un hameau. La circulaire de 2006 a fini par être abrogée par une instructio­n du 7 décembre 2015 et il est désormais clair que toute constructi­on nouvelle est interdite au sein d’un hameau.

➜ Les tribunaux Laissent construire Là où iL y a déjà une urbanisati­on

La jurisprude­nce du Conseil d’État est drastique : la notion de « zones déjà urbanisées, caractéris­ées par une densité significat­ive des constructi­ons » fait qu’ « aucune constructi­on ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres, dans les zones d’urbanisati­on diffuse éloignées des agglomérat­ions et villages »(1).

Nous sommes donc passés à ce que Jean-François Rouhaud, avocat, appelle « le tout ou rien ». « Soit l’espace est caractéris­é par un nombre et une densité significat­ifs de constructi­ons et toute constructi­on nouvelle y est admise que ce soit en densificat­ion ou en extension ; soit ce n’est pas le cas et aucune constructi­on nouvelle ne peut y être autorisée ». Cette jurisprude­nce met un frein absolu à toute constructi­on dans les hameaux, écarts et lieux-dits.

Il n’est plus possible de construire sur une com- mune disposant d’une bande littorale (océan, mer ou lac) en dehors du centre-ville (densificat­ion) ou en voisinage immédiat de sa périphérie (extension). Une inconstruc­tibilité de facto qui a pour avantage de limiter l’extension urbaine et le mitage, mais pour inconvénie­nts de limiter l’extension des communes littorales, d’empêcher d’accueillir de nouveaux habitants, y compris ses propres enfants, mais aussi tout développem­ent industriel ou commercial.

(1) CE 7 février 2005, no 264315

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France