Jalouse

Collage party

La mode peut-elle être drôle ? A priori, la réponse est non, mais le compte instagram @siduations pourrait bien nous faire changer d'avis grâce à des collages très dada qui projettent les créatures excentriqu­es des podiums tout droit dans la réalité. Inte

- Par Vinnies Meghan

Chloë Sevigny, J.W. Anderson, Marc Jacobs, Michel Gaubert ou encore Loïc Prigent aiment régulièrem­ent ses publicatio­ns. Et pour cause, elles déclenchen­t presque à coup sûr un grand sourire et parfois même un sentiment de libération. Un look oversized jaune et rouge Comme des Garçons au milieu d'un Mcdo, Bernie Sanders parachuté chez Colette en Balenciaga sous-titré “Paris si Bernin'” ou encore des filles du défilé Proenza Schouler se fondant dans un épisode de Star Trek : quand on voit une image de @siduations, impossible ensuite d'en faire abstractio­n. De collage en collage, il dynamite les codes d'une industrie qui a fini par se prendre très au sérieux, une industrie où les enjeux chiffrés en milliards de dollars angoissent absolument tout le monde et où l'image a pris valeur d'évangile. Pour Sidney Prawatyoti­n, tout a commencé par un déménageme­nt d'un monde à un autre : “J'ai suivi mon mari en Californie il y a deux ans. Tout, là-bas, est très différent pour moi qui suis new-yorkais dans l'âme. Cela faisait quinze ans que j'étais PR dans la mode et là j'avais envie de tout recommence­r de zéro, mais comment ? Je me suis toujours intéressé aux arts visuels, la mode bien sûr, la photograph­ie. Je me suis

dit que je pouvais commencer par me

faire un portfolio.” Cet instinct créatif lui vient de ses années lycée passées à traîner sur Washington Square avec les skateurs, les goths, les stoners ou les aficionado­s du hip hop. C'est là qu'il rencontre des artistes, ses amis Chloë Sevigny et Harmony Korine, qu'il suit pendant l'aventure du film Kids de Larry Clarke. Après plein de petits boulots, il aide à créer la marque United Bamboo au début des années 2000 puis devient PR : “C'était… un accident. Tout est hasard dans ma vie et je suis très reconnaiss­ant au destin pour ces aléas. Je ne sais pas vraiment ce que je fais, en fait, mais je m'amuse beaucoup. Si ça ne marche pas, tant pis, je suis le courant.” Son atout principal : une grande mémoire visuelle qui lui permet de se souvenir de tout, des scènes de films aux pages des magazines de mode. Une mémoire qui a son revers : “J'ai du mal à m'enthousias­mer pour les nouveaux looks : tout me rappelle quelque chose, un look Saint Laurent ou Margiela dans les 90s ou une silhouette de Balenciaga. Et puis la mode va tellement vite, on ne raconte plus vraiment une histoire dans une collection ; il n'y a pas le temps, cela manque d'esprit, je trouve.” Son créateur préféré est aussi celui qui

l'inspire le plus : Demna Gvasalia, au travers des collection­s Vetements ou Balenciaga, questionne le politiquem­ent mode, et Sidney les détourne avec maestria : “Quand on y réfléchit bien, pourquoi on ne porterait pas du Balenciaga dans le métro ou dans une salle de classe ? Pourquoi ne porteraito­n pas du Chanel couture pendant un marathon ? Il n'y a rien d'insultant làdedans. Pourquoi la vraie vie est-elle

si séparée de la mode ?” Dans son collage, le look perd de sa vanité et de sa superbe pour se retrouver parachuté dans un endroit incongru mais souvent parfaiteme­nt adapté. Très “métamode”, Sidney redonne une profondeur à un vêtement en le mettant hors contexte, et ce faisant il se rapproche de ces situationn­istes auxquels il a emprunté son pseudo, héritiers des surréalist­es et autres dadas, qui avaient fait du détourneme­nt par collage d'images ou de textes une de leurs armes favorites, tournant en dérision nos peurs, nos mécanismes et tout ce qui fait cette “société du spectacle” si bien théorisée par Guy Debord. Évidemment, parfois dans ses images se glisse l'obsession du moment, la dérive ultime de la téléréalit­é made in US, le monstre orange Donald Trump : “Je ne peux pas m'empêcher d'être politique, mais souvent je le retire immédiatem­ent. Je ne veux rien produire de négatif ni insulter personne. Mais c'est vrai, ça fait du bien de rire en ce moment, ça fait du bien de ne pas prendre les choses au sérieux, de ne pas se prendre au sérieux, car l'obscurité a tout envahi ces derniers temps.” Sidney Prawatyoti­n aime par-dessus tout raconter une histoire avec une touche de satire et travaille à l'instinct en n'osant croire à sa bonne étoile. L'étape suivante ? “Je rêve des faire des vidéos, des courtsmétr­ages – du storytelli­ng – ou même de faire de vrais shootings photo. Sur mon compte j'ai glissé une image de mon amie Chloë Sevigny, que j'ai photograph­iée dans un lavomatic, et tout le monde a cru que c' était un collage !” Entre art et réalité, le fil digital est parfois ténu…

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