Roisin Pierce
L’irlandaise, remarquée en avril dernier au 34e Festival de Hyères, se tourne vers l’artisanat pour chambouler la mode. Bienvenue dans l’ère des craftivists.
Roisin Pierce fait tout par deux. Deux chapeaux. Deux prix. Deux travaux réalisés, à une année d’intervalle, dans l’intimité des maisons d’art. Palme du public au dernier festival d’hyères, mais aussi lauréate du premier prix des Métiers d’art Chanel de l’histoire, elle avait alors présenté le fruit de sa collaboration avec Priscilla Royer, directrice artistique de Maison Michel : une coiffe blanche toute en fronces et un bibi à noeud géant en tulle et smocks. La palette ? Ciel blanc de 6 h en été, quelque part sur les côtes irlandaises. Vous avez dit monacal ? Elle répond contemplatif. À son Irlande natale, la créatrice formée au National College of Art and Design de Dublin emprunte beaucoup. Les savoirfaire tout d’abord, comme la dentelle, au crochet ou à l’aiguille, la broderie, la fronce… L’histoire aussi. En premier lieu ? Ces femmes irlandaises reléguées dans les “couvents de la Madeleine” parce qu’elles avaient eu des relations sexuelles hors mariage.
Entre deux prières et dans le silence, les travaux de blanchisserie suivaient alors un rythme a priori pénitent, de facto usinier et harassant. Avec Women Bloom, sa collection de prêt-à-porter fleuve, Roisin Pierce s’oppose à l’aliénation du travail à la chaîne et met en lumière des créativités en sourdine. La jeune femme offre de nouvelles perspectives à des techniques clefs de l’artisanat textile du XIXE siècle, les zoomant, dé-zoomant, déstructurant puis restructurant… S’il soulève bien des symboles, le blanc monochrome, lui, sert surtout de révélateur: “J’ai choisi de moderniser des savoir-faire en développant mes propres méthodes de fabrication, racontait ainsi Roisin Pierce à M, le magazine du Monde, en marge du festival en avril dernier. Et la collection féminine est entièrement blanche pour que l’oeil ne se concentre que sur la technique.” Défi plus ou moins relevé, l’oeil fasciné dévie sur l’allure, de la minirobe à smocks devenue armure de fronces, cotte de mailles presque, à porter sur un pantalon sans-culotte. La facture est celle d’un trousseau expérimental, brodé hier pour demain à base de chutes de tissus, à la manière d’une Simone Rocha. Flattée de la comparaison, Roisin Pierce se réjouit chez ses contemporains seniors-millennials aka “sellennials” d’un même élan vers l’artisanat, histoire d’abstraire la mode de sa cadence infernale. Créer de la nouveauté pour la nouveauté ? Tous crient au has-been. Parmi ses projets, l’exposition de pièces de tissus en plein air, à marée basse ou dans les landes, replace d’ailleurs la main de l’homme au coeur du propos. Elle s’y appliquera une nouvelle fois aux côtés de Maison Michel, mais aussi des Ateliers de Verneuil et de Paloma pour un projet à huit bras récompensant son prix des Métiers d’art. Roisin Pierce ne fait pas tout par deux. M. B.