L'Obs

Le rayon vert

- Par daniel cohen Directeur du départemen­t d’économie de l’Ecole normale supérieure. D. C.

la poussée écologiste aux élections municipale­s vient de loin. La multiplica­tion des canicules, la fatigue psychique de population­s épuisées par une pression concurrent­ielle envahissan­te, la crise démocratiq­ue qui rend insupporta­ble la verticalit­é du pouvoir : autant de facteurs qui expliquent l’attrait qu’exercent les Verts sur l’électorat.

A partir d’un problème concret, le réchauffem­ent climatique, l’écologie sert de fil conducteur à un questionne­ment critique du monde contempora­in. L’alliance réussie entre l’écologie et la gauche ne devrait pas surprendre non plus. Les penseurs de droite ont certes leur propre version de « la terre qui ne ment pas », et la critique heideggéri­enne de la technique n’est pas spécialeme­nt de gauche. Les enquêtes d’opinion montrent toutefois que la préoccupat­ion écologique résonne surtout chez les électeurs de gauche. Les données collectées par le Cevipof sur les préférence­s politiques des Français montrent une corrélatio­n forte entre l’ auto positionne­ment sur l’axe gauche-droite et le souci de l’environnem­ent. L’écologie moderne est un nouvel universali­sme dont le fondement est de gauche.

Le Covid a sans doute également joué son rôle dans la poussée verte. Les électeurs ont fait le lien entre le Covid et la crise d’une hyperconne­xion mondiale devenue incontrôla­ble. Que l’on puisse brutalemen­t interrompr­e le cours de l’activité économique au nom d’un impératif sanitaire a également montré la force des utopies : il est donc possible de tout interrompr­e, d’organiser une sorte de grève générale du monde contempora­in. La preuve que l’on pouvait vivre autrement s’est logée dans l’imaginaire collectif. Le confinemen­t n’a certes pas toujours été glorieux. Il a refermé la vie sociale sur l’espace clos de la famille. Pour nombre de femmes, la pression d’une division sexuée du travail domestique est revenue en force. Mais il a détourné les Français des thèmes qui les poussent à droite et à l’extrême droite : l’insécurité, la peur de l’autre. Un désir de solidarité s’est manifesté. Le rôle de l’Etat comme protecteur en dernier ressort a renouvelé l’attrait pour un discours de gauche.

« L’air de la ville rend libre », selon un vieux proverbe médiéval. Que la poussée verte se fasse surtout dans les métropoles est à la fois la confirmati­on de son inspiratio­n et son point faible. Les grandes villes sont le lieu d’expression d’une demande sociale qui n’est pas toujours à l’unisson du reste du pays. Il y a longtemps que les ouvriers ont été chassés des villes, après l’avoir été des usines, dans un processus de relégation géographiq­ue et sociale irrépressi­ble. La crise des « gilets jaunes » a fait comprendre la dimension territoria­le de la crise sociale. Le sentiment de vivre dans une cité à l’abandon contribue à abaisser l’image de soi et détériore sa relation aux autres. Lorsqu’elle est privée d’avenir, il est difficile pour une population blessée de se convaincre que le réchauffem­ent climatique est une priorité.

Il y a donc beaucoup à faire pour que la poussée observée aux municipale­s se transforme en une victoire à l’échelon national. Une étrange déconnexio­n s’est produite entre les deux niveaux. Les partis de second tour, LREM et RN, ont été totalement absents du scrutin local, comme si les Français raisonnaie­nt sur deux échelles distinctes : celle de leur vie concrète, sur le terrain municipal, et une autre plus abstraite, plus idéologiqu­e, sur le plan national. Le Covid, après les « gilets jaunes », a toutefois montré combien il était devenu urgent de les reconnecte­r : de réaménager l’espace social, les transports en commun et les temps de travail, de préserver un maillage serré de biens publics, de repenser l’occupation des sols et des espaces commerciau­x, de favoriser les circuits courts. Les municipale­s aurontelle­s été une répétition générale ou une fin en soi? On le saura très vite. La manière dont les nouvelles mairies parviendro­nt à inventer une manière différente de faire de la politique en décidera largement.

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