Joe Biden et le défi chinois
parmi les nombreux défis qui attendent une éventuelle administration Biden, à l’issue de la présidentielle du 3 novembre, l’un des plus complexes est de savoir que faire de la confrontation larvée entre les Etats-Unis et la Chine, que Trump lui laissera en héritage. Ce dilemme est paradoxal : il existe désormais un consensus bipartisan, à Washington, sur la nécessité de traiter la Chine comme un rival stratégique. Les démocrates ont reconnu implicitement que Donald Trump avait eu raison de durcir le ton vis-à-vis de Pékin. Chacun s’accorde à considérer comme un échec la stratégie d’« engagement » suivie précédemment tant par les républicains que par les démocrates, qui misait sur l’ouverture progressive de la Chine avec le développement économique. Pour autant, les démocrates critiquent vivement la « méthode Trump » : décisions erratiques, postures humiliantes pour l’adversaire, approche transactionnelle qui fait peu de cas des principes, absence de concertation avec les principaux alliés…
S’il est élu, Joe Biden devra donc choisir entre la continuité (avec quelques ajustements de forme) ou une approche radicalement différente pour faire face à la « menace chinoise ». La communauté des experts discute depuis des mois d’un possible reset. Le mot, tiré du langage informatique, désigne le redémarrage à zéro d’un programme lorsqu’il est bloqué. Il est devenu célèbre en diplomatie depuis que Hillary Clinton l’a prononcé à propos des relations avec la Russie, avec les résultats que l’on connaît… Reset avec la Chine ? Pour une bonne partie de l’establishment outre-Atlantique, ce serait une grave faute.
Il semble pourtant difficile que Joe Biden entame son mandat en se coulant simplement dans les pas de Donald Trump sur un sujet aussi crucial. D’autant que, comme les Européens, le candidat démocrate défend un certain multilatéralisme, mis à mal par l’actuel président. Il juge ainsi nécessaire la coopération de tous les pays sur des sujets globaux comme le réchauffement climatique ou la lutte contre les pandémies, actuelle ou futures. Comment, dès lors, s’opposer à la Chine sur les pratiques commerciales, les menaces stratégiques en mer de Chine du Sud ou à Taïwan, les violations des droits de l’homme au Xinjiang ou à Hongkong tout en préservant un espace de coopération sur ces enjeux capitaux ? L’un des « héritages » majeurs que laissera Donald Trump dans la relation à la Chine est la guerre technologique qu’il a enclenchée à propos de l’équipementier télécom Huawei, mais qui s’est étendue à l’ensemble de la chaîne d’innovation. Cela n’a pas fait les gros titres, mais Trump a porté un coup sévère à l’essor de la Chine en la privant des microprocesseurs les plus sophistiqués, cet « or noir » du xxie siècle sur lequel Pékin a encore quelques années de retard. Or la puissance mondiale des microprocesseurs, c’est justement… Taïwan, et son entreprise phare, TSMC, que Trump a solidement arrimée aux Etats-Unis. A elle seule, TSMC vaudrait bien une guerre.
On le voit, les enjeux de la relation sino-américaine sont multiples et vitaux. Il appartiendra au vainqueur du 3 novembre de définir la prochaine phase de cette relation clé du siècle, et au pouvoir chinois de décider s’il est prêt à un reset, que le mot soit prononcé ou pas. Un enjeu vertigineux, pourtant bien absent des débats électoraux américains, centrés autour de la personnalité erratique du président sortant.