MODE
PRÉFACE DE LAWTHER auteure Séraphine Bittard, photographe Maxwell Granger, styliste Brydie Perkins
À l’affiche du deuxième long-métrage de Régis Roinsard Les Traducteurs, un “whodunit” francophone au casting international, Alex Lawther livre ses impressions en français sur le Brexit, la langue de Molière, le jeu et la littérature. Portrait d’un acteur sans frontières, pour qui poser les questions est plus important que d’y répondre.
Pas de réponses mécaniques, beaucoup d’hésitations, et les mains sur les yeux pour réfléchir. Alex Lawther se définit comme quelqu’un qui pense trop. On the dot, comme disent les British, et muni d’une tasse de café, Alex, sans avoir boudé les formules de politesse en français, s’assoit dans un fauteuil face à la fenêtre du Jacques’ Bar de l’hôtel Hoxton, en plein sur les Grands Boulevards. S’il préfère le quartier de Belleville, il ne détonne pourtant pas dans un décor plus classique, confortable, tamisé. L’acteur est loin de ses personas torturées des séries Black Mirror et The End Of The F***ing World, pour lesquelles il avait avec brio joué un jeune pédophile confronté à sa perversité, puis un adolescent tueur de chatons, autoproclamé psychopathe. La seule chose qui le lie à ses alter ego d’écran, outre une certaine propension au comique, c’est sa présence parfaitement éthérée, sans insistance, qui attire immédiatement la confiance et l’envie, plus que de le faire parler, de se livrer à lui. Ce qu’il, probablement inconsciemment, provoque en retournant les questions qu’on lui pose. Car ce qui l’intéresse, ce n’est pas tellement lui-même, mais tout le reste.
LE FRANÇAIS DEVENU LANGUE INTERNATIONALE
“J’aurais été un intello, toujours le nez dans un bouquin”, plaisantet-il, évoquant sa brève ambition de s’inscrire à la fac pour étudier la littérature anglaise, avant de devenir comédien presque par hasard, en auditionnant pour la pièce South Downs, de David Hare, qui le révèlera. “CE N’ÉTAIT PAS PRÉVU! ET JE ME SUIS DIT – ENFIN, CE N’EST toujours pas sûr – que je pouvais continuer en tant qu’acteur.” À 19 ans, il pouvait déjà se targuer d’avoir joué le jeune Alan Turing dans Imitation Game, aux côtés de Benedict Cumberbatch et Keira Knightley. À 24 ans, c’est trois films prévus en salle pour 2020 : un Wes Anderson (The French Dispatch), un film britannique (Old Boys) et une production hollywoodienne (Freak Show). Devenu en quelques années une star du silver screen, c’est en France qu’il offre la magie de son jeu, en français, et incarne un rôle qui, contrairement à l’acteur, n’a rien d’un honey pie. Dans Les Traducteurs, de Régis Roinsard (connu pour son film Populaire, 2012), Alex
Lawther est Alex Goodman, le plus jeune de l’équipe internationale engagée pour traduire le troisième opus d’un best-seller. Enfermés dans un manoir pendant deux mois, sous la coupe de l’éditeur Éric Angstrom (Lambert Wilson), sans accès à internet ou autre moyen de communication, les neuf traducteurs voient leurs relations se dégrader lorsque les premières pages du roman fuitent sur le web, sans explication, une rançon à la clé.
C’est dans un français presque impeccable, si ce n’est pour quelques charmantes bizarreries de vocabulaire que personne ne lui conseillerait de perdre, que Lawther raconte son personnage. “Il se présente comme un jeune glandeur. Mais il est beaucoup plus et beaucoup moins que cela – c’est vraiment mystérieux comme façon de le dire. La question est toujours de savoir ce que je dois dévoiler ou cacher.” Mais Alex Lawther, lui, n’est clairement pas un glandeur, et il suffit pour s’en convaincre de l’écouter parler la langue qu’il a apprise pour le film. “Mon français était vraiment merdique. Mais Régis s’est battu pour me prendre dans l’équipe. Il a vu en moi quelque chose qui était intéressant pour lui, même si je ne parlais pas très bien. Il FALLAIT CHERCHER UNE FLUIDITÉ DANS LA LANGUE FRANÇAISE, MAIS AUSSI UN esprit, une façon de jouer, qui corresponde à chaque nationalité. Sur le tournage, on parlait tous français, chacun avec notre propre niveau, et pour moi c’est ça, l’esprit européen.” C’est à s’y tromper, et à la tentante question de sa nationalité britannique, Alex évoque immédiatement le Brexit. “Je ne sais pas du tout ce qu’est le Royaumeuni sans nos amis européens”, déplore-t-il. Car ce qu’alex voit dans
Les Traducteurs, dont le casting a eu lieu à peu près au moment du vote pour le Brexit, c’est un message politique, métaphoriquement lié à la question. Une équipe multinationalités, une réflexion sur la place de l’art (non, il n’appartient à personne) et la langue française qui – “ENFIN !”, dit-il – remplace l’anglais comme langue internationale. L’engagement politique dans l’art, Alex le voit comme une obligation, même si, pour lui, l’art ne changera pas les choses mais
“posera des questions”. Mais son avis n’est pas gravé dans le marbre, et l’acteur est prêt à discuter les interprétations possibles du film, s’intéressant franchement à la parole de l’autre, ce qui lui permet momentanément de libérer son visage de ses mains et de poser son
“Il fallait chercher une fluidité dans la langue française, mais aussi un esprit, une façon de jouer, qui corresponde à chaque nationalité. Sur le tournage, on parlait tous français, chacun avec notre propre niveau, et pour moi c’est ça, l’esprit européen.” ALEX LAWTHER
“J’ai tout de suite compris quelqu’un qui trouve refuge dans la littérature. Quand on est jeune – enfin pas seulement –, si l’écriture est bonne, on est transporté, et l’on s’imagine être dans la peau du personnage. Jouer, c’est se rapprocher au plus près de ce sentiment.” ALEX LAWTHER
regard sur la conversation. Et la question devient à ce moment-là inévitable : est-ce qu’alex Lawther est, à l’instar de ses personnages, du genre à enfreindre les règles ? L’hésitation passée, il se déride, n’ayant jamais pensé que ses protagonistes pouvaient partager cette tendance. “J’adore ! Je suis un Rebel Without a Cause (film de 1955, La Fureur de vivre, ndlr) ! C’est intéressant.” Son sourire enjoué à cette idée se transforme en rire à la mention du mot “inadapté”. “On est tous inadaptés ! Tous en train d’essayer. L’autre soir, j’étais avec un ami, qui est très timide, à une fête où il ne connaissait personne. Il est quand même allé vers les gens, il s’est mêlé à eux. Je trouve ça très beau. J’aime les gens qui essaient… d’essayer, quoi !” Peut-être qu’après tout, être acteur, c’est, au risque de se répéter, essayer – c’est en tout cas une idée qui le séduit.
PENSER, ESSAYER, (SE) CHERCHER
“Sur scène, c’est plutôt rassurant car je sais que je peux réessayer le lendemain, mais en tournage, il faut apprendre à laisser tomber et PASSER à AUTRE CHOSE, PARCE QU’À LA fin DE LA JOURNÉE, TOUT CE QUE TU AS proposé n’est plus entre tes mains.” Ce qui ne l’empêche pas d’adorer rêver au fait d’un jour réaliser un film, précisant qu’il aurait besoin d’une équipe beaucoup plus expérimentée que lui ; car s’il parle la langue des images et semble fasciné par les monteurs qui “tricotent” les choix d’interprétation pour assembler le film, il se sent plus proche des acteurs, et parfaitement à l’aise pour leur donner des “indices”. Un jour, sûrement. En attendant, Alex ne peut s’empêcher de railler un peu une ambition trop sérieuse. “Je me dis toujours : quand est-ce que je vais devenir adulte ? Peut-être demain.” Alors qu’alex dit se chercher encore, on ne peut s’empêcher de se demander si sa plaisanterie n’est pas plus pertinente qu’il ne le pense. Curieux, enthousiaste, il se réjouit de parler un peu de livres, sa passion première, qui a sûrement motivé son désir de jouer, et après tout, le sujet du film. “J’ai tout de suite compris quelqu’un qui trouve refuge dans la littérature. Quand on est jeune – ENFIN PAS SEULEMENT –, si l’écriture est bonne, on est transporté, et l’on s’imagine être dans la peau du personnage. Jouer, c’est se rapprocher au plus près de ce sentiment.” Il évoque Proust, qu’il a tenté de lire à 16 ans, et tourne en ridicule un souvenir qu’il voit comme bien prétentieux, “lire Proust, avec un verre de vin”. Il compte pourtant bien s’y essayer à nouveau. Pour patienter, il accepte avec excitation de se soumettre à quelques entrées du questionnaire rendu célèbre par l’auteur. Quelques-unes de ses réponses, sans les questions : Joni Mitchell, la gentillesse, un gros petit déjeuner, se sentir seul, ma meilleure amie (dont on ne citera pas le nom), trop penser, dans une petite maison près de la mer – n’importe quelle mer agréable. Un portrait évoquant plus de douceur que l’état caféiné que son temps, soudainement devenu très précieux, lui impose. L’acteur n’a d’ailleurs qu’une hâte, avoir dix minutes pour continuer son livre préféré du moment (What belongs to you, Garth Greenwell). Il n’en oublie pas d’échanger des conseils de lecture, et à la mention d’un auteur inconnu (Stefan Zweig), l’ivresse d’une découverte s’empare de lui. “J’ai toujours adoré le personnage Matilda, de Roald Dahl. Quand j’étais petit, j’étais sûr d’avoir des super pouvoirs, comme elle.” Si l’acteur n’a jamais eu le don de télékinésie (reste encore à prouver), il n’est pas loin de faire bouger certaines choses par la pensée.
Revenant sur son parcours, il ne tente pas d’en définir une courbe logique, gêné par l’idée de se complaire dans un but. “Peut-être que, quand j’aurai 90 ans, je regarderai ce que j’ai fait, et j’arriverai à comprendre quel était l’objectif derrière tout ça. Pour l’instant, mon chemin me paraît agréablement assez vague.”