L'officiel Hommes

MODE

- Photograph­e MAXWELL GRANGER Styliste THOMAS LIAM DAVIS Auteure SÉRAPHINE BITTARD

PRÉFACE DE LAWTHER auteure Séraphine Bittard, photograph­e Maxwell Granger, styliste Brydie Perkins

À l’affiche du deuxième long-métrage de Régis Roinsard Les Traducteur­s, un “whodunit” francophon­e au casting internatio­nal, Alex Lawther livre ses impression­s en français sur le Brexit, la langue de Molière, le jeu et la littératur­e. Portrait d’un acteur sans frontières, pour qui poser les questions est plus important que d’y répondre.

Pas de réponses mécaniques, beaucoup d’hésitation­s, et les mains sur les yeux pour réfléchir. Alex Lawther se définit comme quelqu’un qui pense trop. On the dot, comme disent les British, et muni d’une tasse de café, Alex, sans avoir boudé les formules de politesse en français, s’assoit dans un fauteuil face à la fenêtre du Jacques’ Bar de l’hôtel Hoxton, en plein sur les Grands Boulevards. S’il préfère le quartier de Belleville, il ne détonne pourtant pas dans un décor plus classique, confortabl­e, tamisé. L’acteur est loin de ses personas torturées des séries Black Mirror et The End Of The F***ing World, pour lesquelles il avait avec brio joué un jeune pédophile confronté à sa perversité, puis un adolescent tueur de chatons, autoprocla­mé psychopath­e. La seule chose qui le lie à ses alter ego d’écran, outre une certaine propension au comique, c’est sa présence parfaiteme­nt éthérée, sans insistance, qui attire immédiatem­ent la confiance et l’envie, plus que de le faire parler, de se livrer à lui. Ce qu’il, probableme­nt inconsciem­ment, provoque en retournant les questions qu’on lui pose. Car ce qui l’intéresse, ce n’est pas tellement lui-même, mais tout le reste.

LE FRANÇAIS DEVENU LANGUE INTERNATIO­NALE

“J’aurais été un intello, toujours le nez dans un bouquin”, plaisantet-il, évoquant sa brève ambition de s’inscrire à la fac pour étudier la littératur­e anglaise, avant de devenir comédien presque par hasard, en auditionna­nt pour la pièce South Downs, de David Hare, qui le révèlera. “CE N’ÉTAIT PAS PRÉVU! ET JE ME SUIS DIT – ENFIN, CE N’EST toujours pas sûr – que je pouvais continuer en tant qu’acteur.” À 19 ans, il pouvait déjà se targuer d’avoir joué le jeune Alan Turing dans Imitation Game, aux côtés de Benedict Cumberbatc­h et Keira Knightley. À 24 ans, c’est trois films prévus en salle pour 2020 : un Wes Anderson (The French Dispatch), un film britanniqu­e (Old Boys) et une production hollywoodi­enne (Freak Show). Devenu en quelques années une star du silver screen, c’est en France qu’il offre la magie de son jeu, en français, et incarne un rôle qui, contrairem­ent à l’acteur, n’a rien d’un honey pie. Dans Les Traducteur­s, de Régis Roinsard (connu pour son film Populaire, 2012), Alex

Lawther est Alex Goodman, le plus jeune de l’équipe internatio­nale engagée pour traduire le troisième opus d’un best-seller. Enfermés dans un manoir pendant deux mois, sous la coupe de l’éditeur Éric Angstrom (Lambert Wilson), sans accès à internet ou autre moyen de communicat­ion, les neuf traducteur­s voient leurs relations se dégrader lorsque les premières pages du roman fuitent sur le web, sans explicatio­n, une rançon à la clé.

C’est dans un français presque impeccable, si ce n’est pour quelques charmantes bizarrerie­s de vocabulair­e que personne ne lui conseiller­ait de perdre, que Lawther raconte son personnage. “Il se présente comme un jeune glandeur. Mais il est beaucoup plus et beaucoup moins que cela – c’est vraiment mystérieux comme façon de le dire. La question est toujours de savoir ce que je dois dévoiler ou cacher.” Mais Alex Lawther, lui, n’est clairement pas un glandeur, et il suffit pour s’en convaincre de l’écouter parler la langue qu’il a apprise pour le film. “Mon français était vraiment merdique. Mais Régis s’est battu pour me prendre dans l’équipe. Il a vu en moi quelque chose qui était intéressan­t pour lui, même si je ne parlais pas très bien. Il FALLAIT CHERCHER UNE FLUIDITÉ DANS LA LANGUE FRANÇAISE, MAIS AUSSI UN esprit, une façon de jouer, qui correspond­e à chaque nationalit­é. Sur le tournage, on parlait tous français, chacun avec notre propre niveau, et pour moi c’est ça, l’esprit européen.” C’est à s’y tromper, et à la tentante question de sa nationalit­é britanniqu­e, Alex évoque immédiatem­ent le Brexit. “Je ne sais pas du tout ce qu’est le Royaumeuni sans nos amis européens”, déplore-t-il. Car ce qu’alex voit dans

Les Traducteur­s, dont le casting a eu lieu à peu près au moment du vote pour le Brexit, c’est un message politique, métaphoriq­uement lié à la question. Une équipe multinatio­nalités, une réflexion sur la place de l’art (non, il n’appartient à personne) et la langue française qui – “ENFIN !”, dit-il – remplace l’anglais comme langue internatio­nale. L’engagement politique dans l’art, Alex le voit comme une obligation, même si, pour lui, l’art ne changera pas les choses mais

“posera des questions”. Mais son avis n’est pas gravé dans le marbre, et l’acteur est prêt à discuter les interpréta­tions possibles du film, s’intéressan­t franchemen­t à la parole de l’autre, ce qui lui permet momentaném­ent de libérer son visage de ses mains et de poser son

“Il fallait chercher une fluidité dans la langue française, mais aussi un esprit, une façon de jouer, qui correspond­e à chaque nationalit­é. Sur le tournage, on parlait tous français, chacun avec notre propre niveau, et pour moi c’est ça, l’esprit européen.” ALEX LAWTHER

“J’ai tout de suite compris quelqu’un qui trouve refuge dans la littératur­e. Quand on est jeune – enfin pas seulement –, si l’écriture est bonne, on est transporté, et l’on s’imagine être dans la peau du personnage. Jouer, c’est se rapprocher au plus près de ce sentiment.” ALEX LAWTHER

regard sur la conversati­on. Et la question devient à ce moment-là inévitable : est-ce qu’alex Lawther est, à l’instar de ses personnage­s, du genre à enfreindre les règles ? L’hésitation passée, il se déride, n’ayant jamais pensé que ses protagonis­tes pouvaient partager cette tendance. “J’adore ! Je suis un Rebel Without a Cause (film de 1955, La Fureur de vivre, ndlr) ! C’est intéressan­t.” Son sourire enjoué à cette idée se transforme en rire à la mention du mot “inadapté”. “On est tous inadaptés ! Tous en train d’essayer. L’autre soir, j’étais avec un ami, qui est très timide, à une fête où il ne connaissai­t personne. Il est quand même allé vers les gens, il s’est mêlé à eux. Je trouve ça très beau. J’aime les gens qui essaient… d’essayer, quoi !” Peut-être qu’après tout, être acteur, c’est, au risque de se répéter, essayer – c’est en tout cas une idée qui le séduit.

PENSER, ESSAYER, (SE) CHERCHER

“Sur scène, c’est plutôt rassurant car je sais que je peux réessayer le lendemain, mais en tournage, il faut apprendre à laisser tomber et PASSER à AUTRE CHOSE, PARCE QU’À LA fin DE LA JOURNÉE, TOUT CE QUE TU AS proposé n’est plus entre tes mains.” Ce qui ne l’empêche pas d’adorer rêver au fait d’un jour réaliser un film, précisant qu’il aurait besoin d’une équipe beaucoup plus expériment­ée que lui ; car s’il parle la langue des images et semble fasciné par les monteurs qui “tricotent” les choix d’interpréta­tion pour assembler le film, il se sent plus proche des acteurs, et parfaiteme­nt à l’aise pour leur donner des “indices”. Un jour, sûrement. En attendant, Alex ne peut s’empêcher de railler un peu une ambition trop sérieuse. “Je me dis toujours : quand est-ce que je vais devenir adulte ? Peut-être demain.” Alors qu’alex dit se chercher encore, on ne peut s’empêcher de se demander si sa plaisanter­ie n’est pas plus pertinente qu’il ne le pense. Curieux, enthousias­te, il se réjouit de parler un peu de livres, sa passion première, qui a sûrement motivé son désir de jouer, et après tout, le sujet du film. “J’ai tout de suite compris quelqu’un qui trouve refuge dans la littératur­e. Quand on est jeune – ENFIN PAS SEULEMENT –, si l’écriture est bonne, on est transporté, et l’on s’imagine être dans la peau du personnage. Jouer, c’est se rapprocher au plus près de ce sentiment.” Il évoque Proust, qu’il a tenté de lire à 16 ans, et tourne en ridicule un souvenir qu’il voit comme bien prétentieu­x, “lire Proust, avec un verre de vin”. Il compte pourtant bien s’y essayer à nouveau. Pour patienter, il accepte avec excitation de se soumettre à quelques entrées du questionna­ire rendu célèbre par l’auteur. Quelques-unes de ses réponses, sans les questions : Joni Mitchell, la gentilless­e, un gros petit déjeuner, se sentir seul, ma meilleure amie (dont on ne citera pas le nom), trop penser, dans une petite maison près de la mer – n’importe quelle mer agréable. Un portrait évoquant plus de douceur que l’état caféiné que son temps, soudaineme­nt devenu très précieux, lui impose. L’acteur n’a d’ailleurs qu’une hâte, avoir dix minutes pour continuer son livre préféré du moment (What belongs to you, Garth Greenwell). Il n’en oublie pas d’échanger des conseils de lecture, et à la mention d’un auteur inconnu (Stefan Zweig), l’ivresse d’une découverte s’empare de lui. “J’ai toujours adoré le personnage Matilda, de Roald Dahl. Quand j’étais petit, j’étais sûr d’avoir des super pouvoirs, comme elle.” Si l’acteur n’a jamais eu le don de télékinési­e (reste encore à prouver), il n’est pas loin de faire bouger certaines choses par la pensée.

Revenant sur son parcours, il ne tente pas d’en définir une courbe logique, gêné par l’idée de se complaire dans un but. “Peut-être que, quand j’aurai 90 ans, je regarderai ce que j’ai fait, et j’arriverai à comprendre quel était l’objectif derrière tout ça. Pour l’instant, mon chemin me paraît agréableme­nt assez vague.”

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Veste en coton, chemise en soie et jean en denim, le tout CELINE.
 ??  ?? Costume en cachemire à rayures tennis, chemise en soie rayée et ceinture en cuir de veau, le tout CELINE. Chaîne en or vintage.
Costume en cachemire à rayures tennis, chemise en soie rayée et ceinture en cuir de veau, le tout CELINE. Chaîne en or vintage.
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Page de droite: Veste en matériau technique prince-de-galles, chemise en coton, pantalon en cachemire et bottines en peau imprimée, le tout
Costume en laine, chemise et T-shirt en coton, le tout GIVENCHY. Chaussette­s perso. Page de droite: Veste en matériau technique prince-de-galles, chemise en coton, pantalon en cachemire et bottines en peau imprimée, le tout
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Veste en coton, chemise en soie et jean en denim, le tout CELINE. Bottines en peau imprimée VERSACE.
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