Philippe Bas : “Nous aurons des déserts démocratiques”
Président de la commission des lois, le sénateur de la Manche Philippe Bas craint un affaiblissement de la démocratie.
Le gouvernement prévoit une baisse d’un tiers du nombre de parlementaires pour passer à 404 députés et 244 sénateurs : pourquoi n’y êtes-vous pas favorable ?
“Avec un parlementaire pour 74 000 habitants, la France possède un peu moins de parlementaires que la moyenne des dix plus grandes démocraties. Il n’y a donc pas un problème français du nombre de parlementaires. Mais ce nombre n’est pas figé. S’il doit évoluer, il faut des garanties et il faut se demander quel sens cela a, à quoi ça sert, quel est le risque pour la démocratie ? Est-ce que la France ira mieux après ? Quand on pose ces questions, on se rend compte que cette proposition ne renforce pas en profondeur notre démocratie”. Certains députés LREM se plaignaient du rythme de l’Assemblée nationale. Mais s’ils sont moins nombreux, ils auront encore plus de sollicitations… “Il est très important que le Parlement ait les moyens de travailler. Si l’on veut poser les vraies questions politiques pour consolider notre démocratie, il faut le renforcer et non pas l’affaiblir. Si l’on veut que les parlementaires ne soient pas simplement des experts ou des militants de partis politiques, il faut que leurs liens avec les citoyens ne soient pas distendus mais au contraire intensifiés”.
De là à vouloir davantage de parlementaires ?
“La question n’est pas tant celle du nombre de parlementaires que celle des pouvoirs du Parlement. Nous sommes la démocratie où le Parlement a le moins de pouvoirs. Je suis partisan de lui en donner davantage. Aujourd’hui, il y a un président tout-puissant, un gouvernement subordonné, une Assemblée nationale déférente... Le Sénat est la seule assemblée qui joue un rôle de contre-pouvoir et qui est pleinement indépendante et enracinée dans les territoires. Le gouvernement doit avoir les moyens de gouverner, mais le débat parlementaire doit jouer pleinement son rôle pour exprimer toutes les attentes du pays”.
Introduire la proportionnelle dès les législatives de 2022 : est-ce un réel avantage pour la démocratie ?
“Aujourd’hui, au Parlement, toutes les sensibilités politiques sont représentées, il ne faut pas raconter d’histoires. En revanche, avec la dose de proportionnelle, on aura des députés élus sur une liste nationale sans aucun ancrage dans les départements, totalement hors sol. Et pour leur faire une place, il faudrait supprimer 60 députés de plus dans les territoires. Dans la Manche, sur un territoire très vaste, on passerait de 4 à 2 députés : comment voulez-vous qu’ils puissent garder la même proximité qu’aujourd’hui avec les Manchois ?”
La proportionnelle, c’est favoriser les petits partis, donc le FN. En cela, Emmanuel Macron reprend les codes du PS de Mitterrand pour juguler la droite au profit de l’extrême droite. Est-ce une crainte ?
“Plus la dose de proportionnelle est faible, moins ce risque sera important, mais ce n’est pas une raison pour le courir. Sous la Ve République, il y a eu parfois des majorités très étroites, cela peut se produire de nouveau, et le fait qu’il y ait quelques dizaines de députés élus à la proportionnelle risque de mettre en péril le fait majoritaire”.
“Il y a une part de démagogie”
La limitation à trois mandats d’affilée pour les députés, les sénateurs ou les maires des communes de plus de 9 000 habitants est prévue, une réforme voulue par la majorité des Français. Et vous ?
“Il s’agit en réalité d’une réduction de la liberté de choix des Français et ça ne va pas dans le sens de plus de démocratie. Toutefois, il est bon que la classe politique se renouvelle. Quand on regarde le coup de balai de 2017 ou celui de 2012, on voit bien que les Français savent renouveler en profondeur leurs élus et ils le font à chaque élection législative. 62 % des sénateurs sont nouveaux depuis 2014, et seulement 7 ont entamé un 4e mandat. La règle qui serait posée, qui ne s’appliquerait que 18 ans après les prochaines élections municipales (soit en 2038, ndlr) et 15 ans après les prochaines élections législatives (soit en 2035, ndlr), n’a pas beaucoup d’utilité. La montagne est en train d’accoucher d’une souris”.
Est-ce purement électoraliste ? “Oui, il y a sans doute une part de démagogie. On passe à côté des vrais problèmes de notre démocratie. Aucune de ces mesures n’aura le moindre effet pour rendre notre démocratie plus vivante. Je préfère une démocratie qui délibère plutôt qu’une démocratie en noir et blanc, qui répond par oui ou par non, comme dans les sondages”.
“La Manche passerait de quatre à deux députés”
Comment installer davantage de débats et de contre-pouvoirs face à l’exécutif ?
“Il faut que l’ordre du jour du parlement ne fasse pas systématiquement la part belle au parlement. 85 % des textes viennent aujourd’hui du gouvernement. Il faut que lorsqu’un texte est amendé en profondeur à l’Assemblée nationale, le Sénat puisse délibérer des mesures nouvelles apportées.
Il faut qu’en matière financière, le parlement puisse modifier davantage les propositions budgétaires du pouvoir. Il faut que le contrôle des administrations et des ser- vices publics par les députés et les sénateurs soit plus approfondi. Cela suppose qu’on fasse moins de lois et plus de contrôle”.
Que craignez-vous le plus? “C’est que le lien démocratique qui unit les Français à leurs élus soit distendu et que dans de très vastes territoires peu peuplés, les Français n’aient plus accès à leurs députés et sénateurs. Cela creuserait un fossé entre les citoyens et le parlement. Ce serait toxique pour la démocratie”.
Réduction du nombre de parlementaires, limitation des mandats d’élus successifs, introduction de la proportionnelle : le sénateur de la Manche Philippe Bas redoute un affaiblissement de la démocratie.