Expertise du terroir : la Rioja
LE JOYAU IBÉRIQUE À L’ÉCLAT MONDIAL Des petites parcelles d’altitude aux grandes plaines alluvionnaires, le terroir de la Rioja présente plusieurs visages.
La Rioja, un nom unique pour de multiples vins. Multiples car ils viennent de régions distinctes aux climats, aux altitudes et aux sols variés. Ainsi, les plaines alluvionnaires sont souvent à l’origine de vins simples à boire jeunes, quand les parcelles d’altitude aux sols pauvres donnent des vins plus complexes et voués à la garde. Pour autant, l’aire d’appellation est classée dans son ensemble sans hiérarchisation des zones… Les styles des vins sont également multiples car les cuvées sont nombreuses et associées à des élevages diférents 1).
( Souvent Rioja varie La Rioja est divisée en trois régions. La Rioja alta et la Rioja alavesa couvrent la moitié ouest de l’appellation et sont dominées par une infuence climatique atlantique (fraîcheur, humidité). « Dans la Rioja alavesa, au printemps et en été, l’air froid venu du nord maintient des températures fraîches qui se révèlent importantes pour le cépage tempranillo car il mûrit ainsi plus lentement et exprime des arômes plus frais. », explique Jean-François Gadeau, oenologue de la Bodega Artadi (Laguardia).
La Rioja baja correspond à l’est de l’aire et son climat est méditerranéen (ensoleillement important, chaleur, sécheresse, amplitudes thermiques marquées). Les températures montent de Haro à Alfaro avec des vents dominants
(2) d’ouest-nord-ouest ( cierzo) et d’est-sudest ( bochorno). Les précipitations baissent d’ouest en est et des reliefs vers les vallées (350 à 500 mm par an). L’altitude diminuee de la Rioja alta à la Rioja baja avec des vignes souvent installées entre 300 et 600 m d’altitude. Elle varie aussi du nord au sud selon la proximité de l’Èbre et des sierras. Entre les régions, et au sein de chacune d’elles, on trouve donc une variabilité importante de terroirs liée à l’altitude, aux sols, à la pluviométrie, à l’exposition au soleil et aux vents.
L’appellation est installée entre les sierras Montes Obarenes-Toloño et de Cantabria au nord et les sierras de la Demanda y Cameros au sud. Elle est marquée par le feuve Èbre et ses afuents qui dessinent des zones distinctes.
« La vallée de la Najerilla me plaît beaucoup même si l’on n’y fait pas de vin rouge spectaculaire. L’altitude et les sols d’argiles rouges donnent de beaux grenaches et de beaux vins blancs, souligne Isaac Muga (Bodega Muga, Haro). Les vins de San Vicente (450 m) sont très marqués par leurs notes confiturées de fruits rouges. Ceux de Villalva sont plus stricts, plus tanniques, plus acides. Mais moins que ceux de Sajazarra (650 m)… » Terroirs aux précieuses facettes La diversité des terroirs est toujours un atout pour s’adapter au millésime. « Notre vignoble est situé à 90 % sur les communes d’Elciego, Navaridas, Laguardia et Leza, mais chaque zone a sa spécificité, explique Francisco Hurtado de Amézaga, directeur technique des vignobles Marqués de Riscal (Elciego). En 2014, ce sont les vieilles vignes de Leza qui ont donné les meilleurs résultats. Notamment parce que les raisins de Leza ont une peau plus épaisse de ceux d’Elciego, ils restent donc sains longtemps et on peut les vendanger très mûrs sans être gêné par le botrytis. Leza est une zone intéressante. Elle était jugée trop froide pour produire du raisin de qualité. Or depuis huit ans, je constate que les meilleurs raisins de Leza vont dans les vins les plus haut de gamme. Leza est devenue une zone précieuse avec le réchauffement climatique ! »
C’est en 1991 que Juan Carlos López de Lacalle décide de distinguer la première parcelle de la Bodega Artadi : Pison. Aujourd’hui, le tempranillo exprime clairement la personnalité de plusieurs sites du vignoble. « Chaque parcelle distinguée a un caractère fort, explique Jean-François Gadeau. Les parcelles de Valdegines (est) et
La Poza (ouest), situées de part et d’autre de la rivière Gines, sont très marquées par leur exposition. Les vins de La Poza ont plus d’amplitude, de volume, de longueur, d’arômes confturés et de fruits secs, quand les vins de Valdegines sont moins puissants mais plus frais et mentholés. » Mazuelo et graciano Le tempranillo est le cépage roi de l’appellation (78 % de l’encépagement). Mais l’infuence des autres cépages marque souvent les vins. « Le tempranillo est un cépage fantastique responsable du muscle de nos vins. Il s’exprime diféremment selon son terroir d’origine, avec plus ou moins de longueur et de complexité. Mais je le trouve prévisible. Ce sont les assemblages qui nous permettent d’apporter de la complexité à nos vins et de les rendre surprenants », estime Maria Vargas, directrice technique de la Bodega Marqués de Murrieta (Logroño).
Parmi les autres cépages historiques de l’appellation, le mazuelo (carignan noir), présent dans le vignoble depuis des siècles (3 % de l’encépagement). Son acidité marquée le rend intéressant à assembler avec le tempranillo pour faire des vins de garde.
Le graciano (morrastel) est un autre cépage autochtone de la Rioja qui a failli disparaître au XXe siècle. Il apporte de l’acidité et des tanins aux assemblages. « Ces graciano de 10 ans sont plantés sur des terres pauvres qui modèrent le caractère productif du cépage. J’adore le graciano mais c’est un cépage difcile à cultiver. Il est très sensible à l’oïdium et au soleil qui brûle les baies. Arrivant difcilement à maturité, il faut maîtriser son rendement pour atteindre un équilibre satisfaisant », explique Isaac Muga (Bodega Muga, Haro). Dans le vignoble de Marqués de Murrieta (300 ha), le graciano a vu sa surface passer de 0,7 à 15 ha. « C’est un cépage parfait pour compenser les efets du changement climatique, lance Maria Vargas. Grâce à sa fraîcheur et son caractère végétal, il équilibre nos vins. Il apporte de la complexité aux assemblages, fait monter leur acidité et baisser leur niveau d’alcool ! »
La liste des cépages autochtones s’est enrichie en 2008 grâce aux travaux de Fernando Martinez de Toda, chercheur à l’Institut des sciences de la vigne et du vin de l’université de la Rioja. Son but : sauvegarder la variété des cépages historiques de la région et les remettre à l’honneur. Des années de travail pour retrouver et étudier 76 cépages oubliés issus des vieux vignobles de la Rioja, dont la maturana tinta, distinguée pour son acidité et ses arômes végétaux, balsamiques et épicés. « Autrefois, la maturana tinta n’intéressait personne avec ses notes herbacées. Mais aujourd’hui, dans un contexte de réchaufement climatique, elle apporte un équilibre très apprécié », explique l’agronome.
Isaac Muga croit beaucoup en ce cépage historique, il en a planté 9 ha récemment. « Il donne d’excellents résultats assemblé avec le tempranillo, mais il faut maîtriser son rendement pour qu’il atteigne une maturité aboutie. »
Côté blanc, trois cépages ont rejoint la viura, largement dominante, la malvoisie et le grenache blanc. Mais compte tenu de la faible demande espagnole pour les vins blancs “de gastronomie”, la production reste confdentielle, malgré leur potentiel qualitatif évident.
(1) Les vins Garantía de Origen sont les plus jeunes. Les vins Crianza sont dans leur 3e année, avec au moins un an d’élevage en fûts (blancs : 6 mois). Les vins Reserva sont élevés 3 ans minimum dont un an au moins en fûts (blancs : 2 ans, dont 6 mois en fûts). Les vins Gran Reserva sont élevés au moins 2 ans en fûts et 3 ans en bouteilles (blancs : au moins 4 ans dont 6 mois en fûts).
(2) Températures moyennes annuelles : 12° C à Haro, 13° C à Logroño, 14° C à Alfaro.