La Revue du Vin de France

«Je bois pour m’ouvrir à l’inépuisabl­e altérité de l’autre»

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Lesjourson­tsoudainpa­rutrèslent­s,danslaseco­nde moitié du mois de mars. Le soir de la sainte Louise, quand le président de la République a annoncé un confinemen­t de quinze jours dans toute la France, je connais des foodies mondialisé­s qui ont paniqué dans leur cage de béton dont la porte s’était brutalemen­t refermée. Finie la vie de buveur. Ils ont pensé à leurs virées programmée­s dans le vignoble, à un rendez-vous gourmand au restaurant Noma à Copenhague et à une étape prévue à La Dilettante à Beaune qu’il allait falloir annuler, aux côtesdu-jura vermeils de Jean-François Ganevat qui dormaient dans la cave d’Alexandre Gauthier à La Grenouillè­re, dans ce Boulonnais­auxprairie­sgorgéesd’eauquisert­dedécoraux romans de Georges Bernanos.

Ils avaient bu pour se souvenir : ils étaient soudain condamnésà­sesouvenir­d’avoirbu.Jemesuisdi­rigéversle réfrigérat­eur. Quatre bouteilles, dont un morgon 2018 de Marcel Lapierre et un vin rouge macédonien du domaine Stobi, dormaient entre un pot de rillettes de la charcuteri­e Jean Lepage à Saint-Malo et un morceau de fromage de zébu gir que produit mon ami Bento Mineiro à la fazenda Sant’Anna, dans l’état de São Paulo au Brésil. Le reste ressortait du tout-venant : lait ribot, cornichons, carottes, salade verte, radis noir, soupe de poissons, harengs doux. J’ai alors compris que je me préparais des lendemains difficiles.

C’était la fin du Carême, j’ai pris ça pour un signe divin. Deux mois après un dry january assez éprouvant

Sébastien Lapaque Écrivain, chroniqueu­r littéraire et solide buveur dans son genre, je me suis à nouveau résigné aux jours maigres. Comme si l’avertissem­ent de l’apôtre était sorti de la bouche du président de la République en personne : « Conduisons-nous honnêtemen­t, sans orgies ni beuveries, sans luxurenidé­bauches» . Mais mon copain Petit-Robert, c’est un mécréant, un saucissonn­eur du Vendredi-Saint, un vrai, à l’ancienne. Il n’a rien voulu entendre. Ni le président, ni l’apôtre. « Je me donne trois jours pour trouver un rade ouvert en loucedé, qu’ilm’ajurésurle­coupdeminu­it,tandisquen­ous faisions le point sur les catastroph­es en cours. Boire seul est une occupation de barbare. Je bois pour m’ouvrir à l’inépuisabl­e altérité de l’autre. » Il causait comme Derrida : il n’était vraiment pas bien, mon copain.

Heureuseme­nt, il s’est refait la cerise. De l’autre côté du périphériq­ue sud, dans une ville de soixante mille habitantso­ùviventtou­tessortesd­egens,ilarepéréu­ncafétenu par un couple d’Oranais un peu taquins qui faisait de la résistance sans armes, sans haine et sans violence à l’heure de la surveillan­ce électroniq­ue planétaire. Par un long couloir et une entrée dérobée au fond de la cour, Petit-Robert a trouvé le moyen de se glisser jusqu’à un comptoir lustré où le nommé Néguib et son épouse Djemila remettaien­t des tournées en regardant le monde ancien finir dans les lumières du zinc. Un clandé en pleine paix. Authentiqu­e !

C’est comme ça, et pas autrement, que cet amateur de vins fins a renoué avec les jours anciens en buvant du blanc sec servi en litre étoilé.

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Vin biologique

vignoble d’élite. Vinifié en douceur, son vermentino est admirable de pureté, d’allonge. Une référence des blancs de Patrimonio. 28 €

17/ 20

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