Loin du paradis
Après Mud et Midnight Special, Jeff Nichols retrouve le road movie et l’éternelle Amérique qui irrigue tous ses films, tout en s’essayant à un nouveau genre : le biopic, ou l’histoire vraie de Richard et Mildred Loving, couple mixte longtemps interdit dans l’Amérique raciste d’après- guerre, jusqu’à ce qu’un arrêt de la Cour suprême en 1967 – portant leur nom – autorise enfin le mariage en noir et blanc. Comment filmer un amour au quotidien dans une société hostile ? De ce point de vue là, Loving sonne comme le pendant hétérosexuel du sublime Carol de Todd Haynes, filmant au même moment l’amour entre deux femmes.
Blind Loving Ici, Jeff Nichols fait contraster le quotidien de l’amour le plus banal avec la violence raciste institutionnalisée. Face à l’amour paisible de Mildred et Richard, les mots de la loi les condamnant résonnent comme autant de scandales. C’est tout l’enjeu du film : épousant la passivité et l’obstination de Mildred et Richard, son point de vue politique est contenu dans sa mise en scène, évitant tout discours moralisateur. Le racisme naît sans cesse du regard des autres qu’il filme on ne peut plus délicatement : cette complicité de la majorité silencieuse, noire ou blanche, qui ne veut « pas d’histoires » et qui plonge comme toujours chez Nichols ses héros dans une course clandestine guettée peu à peu par la paranoïa. Humble narrateur, Nichols désacralise totalement le film de droit et de justice pour rester avec ses amants taiseux dans des couleurs d’automne sublimes.