Les chroniques de la rédaction
Le lancement de l’application lyonnaise My Safe Map ( voir p. 18), dont les dirigeants résument la mission à être un « Instagram de la sécurité » , peut laisser pantois, ou plus volontiers, inquiet. Noter en nombre d’étoiles « le sentiment de sécurité » ressenti par l’utilisateur vis- à- vis d’un quartier, le tout agrémenté d’un commentaire et d’une photo : pas besoin de GPS pour deviner que l’appli – dont l’un des trois investisseurs est le colosse Sébastien Chabal – s’aventure sur le terrain glissant de la stigmatisation. À l’équilibre exact entre sécurisant et sécuritaire. Les créateurs de My Safe Map ont bien sûr choisi d’aborder le sujet par la face douce : communication et charte graphique rassurantes, volonté de voir le versant positif et utile du service. Sébastien Chabal, ses compréhensibles inquiétudes de jeune père de famille en bandoulière, corrige d’avance le bad buzz qu’on voudrait promettre à l’application : « On ne veut pas que l’appli stigmatise les lieux potentiellement non safe » . Juste permettre de les éviter. On le comprend sincèrement. Savoir où sont ses enfants en direct, programmer ses sorties en contournant les coins chauds, qui ne se sentirait pas rassuré ? Mais les dérives possibles sautent aux yeux : dénonciations calomnieuses d’un commerce ( Trip Advisor est aussi le lieu de ce type de vengeance entre concurrents), délits de faciès… Pas dur d’imaginer un résident irascible ou frileux « dénoncer » en photo un groupe de jeunes gens en bas d’un immeuble en train de… ne rien faire. Alors oui, un robot triera les termes racistes, sexistes, insultants, à caractère religieux. Oui, il sera possible de signaler tout abus. Face à ces risques, un autre argument s’avance : la pondération par la masse. En clair : la communauté, suffisamment nombreuse, n’aura jamais tort. Et sinon ? « Charge à vous de rameuter les voisins pour contrebalancer » , proposent, peu ou prou, les créateurs de l’appli. En voilà une belle fête des voisins en perspective ! Nous voici sur le terrain du dataisme théorisé par l’historien Yuval Noah Harari : le big data et les algorithmes érigés en Dieu, à la place du libre arbitre. Pas rassurant. Question sécurité, on préférait que tout le monde dispose de son petit Chabal de protection personnel…