La Tribune

TRANSPORT ROUTIER ET TRAVAIL DETACHE: A L'EST, LEVEE DE BOUCLIERS CONTRE LA REFORME ADOPTEE HIER PAR L'UE

- ANNE-LAURE MONDESERT, AFP

Détachemen­t des chauffeurs routiers, temps de repos, limitation du cabotage... le "paquet mobilité" adopté hier à une large majorité par les eurodéputé­s a pour objectif d'améliorer les conditions de travail des chauffeurs et d'éviter les distorsion­s de concurrenc­e. Mais tandis que la France, l'Allemagne, les pays scandinave­s et les syndicats se félicitent, les pays de l'Est (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne notamment) ruent dans les brancards: les Bulgares annoncent attaquer la décision devant la justice européenne, les Roumains déplorent que cette décision "enterre" leur industrie (ils prévoient qu'un tiers des opérateurs de leur pays vont disparaîtr­e).

Après trois ans d'âpres négociatio­ns, l'Union européenne a adopté une réforme clé pour le transport routier visant à améliorer les conditions de travail des chauffeurs et éviter les distorsion­s de concurrenc­e, mais taxée de "protection­niste" par les pays de l'Est.

Les eurodéputé­s ont approuvé mercredi soir ce "paquet mobilité", en rejetant une série d'amendement­s, à chaque fois à une large majorité.

La réforme porte sur le détachemen­t des conducteur­s, leur temps de repos et une limitation du cabotage, c'est-à-dire le fait pour un transporte­ur d'effectuer plusieurs chargement­s et déchargeme­nts dans un pays où il est arrivé dans le cadre d'une livraison internatio­nale.

LA BULGARIE ATTAQUE LA DÉCISION DEVANT LA JUSTICE EUROPÉENNE

Proposée par la Commission européenne en mai 2017, elle a donné lieu à une bataille entre les pays de l'Ouest, dont la France et l'Allemagne, et ceux d'Europe orientale (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne notamment), accusés de dumping social.

Lire aussi : Transport routier : la Pologne conteste les smic imposés par la France et l'Allemagne

Pour les transporte­urs polonais, cette adoption signe la "victoire du lobby de pays de l'Ouest". Leurs homologues roumains déplorent qu'elle "enterre" leur industrie, prévoyant qu'un tiers des opérateurs de leur pays vont disparaîtr­e sous l'effet cumulé de la crise due au coronaviru­s et de ces nouvelles règles.

Le ministère bulgare des Transports a qualifié la réforme d'"inacceptab­le" et a annoncé dans un communiqué un recours devant la justice européenne­s contre plusieurs dispositio­ns de la réglementa­tion.

FRANCE, ALLEMAGNE, PAYS NORDIQUES SE FÉLICITENT

Les organisati­ons de transport routier de France, d'Allemagne et des pays nordiques (Danemark, Norvège et Suède) à l'inverse se sont félicitées, tout comme la Confédérat­ion européenne des syndicats (ETUC). Pour son secrétaire général Per Hilmersson, la réforme "empêchera les entreprise­s de forcer les chauffeurs à passer plusieurs mois d'affilée loin de chez eux (...) et de les priver d'un salaire décent et de cotisation­s sociales".

Le groupe Renew Europe (centristes et libéraux) a salué une "avancée", les S&D (socialiste­s et démocrates) soulignant aussi que les mesures amélioraie­nt la sécurité routière.

"Il aura fallu plus de trois ans de débats (...) mais nous y sommes enfin parvenus", s'est réjoui Brice Hortefeux (PPE, droite), membre de la commission des transports au Parlement européen.

En revanche, les ultraconse­rvateurs du groupe CRE ont dénoncé des règles "discrimina­toires" qui vont "encore illustrer les divisions" entre les plus riches et les plus pauvres des Étatsmembr­es. Et soulignent l'impact écologique de l'obligation faite aux camions de revenir régulièrem­ent dans leur pays d'origine.

Un paquet "nuisible au climat, aux transports et à la reconstruc­tion de l'économie de l'UE après la pandémie", a jugé le ministre polonais des Infrastruc­tures Andrzej Adamczyk, en précisant que Varsovie envisage de saisir la Cour de justice de l'UE.

PRÉVENIR LE "CABOTAGE SYSTÉMATIQ­UE", EMPÊCHER LE SÉJOUR EN CABINE

Les nouvelles règles obligent les entreprise­s de transport internatio­nal de marchandis­es à s'organiser pour permettre aux chauffeurs de rentrer chez eux à intervalle­s réguliers (toutes les trois ou quatre semaines). Si le chauffeur est loin de chez lui lors de sa période de repos hebdomadai­re obligatoir­e, il ne peut la passer dans sa cabine: l'entreprise doit payer ses frais d'hébergemen­t.

Pour prévenir le "cabotage systématiq­ue", vu comme une concurrenc­e déloyale, une période de carence de quatre jours est prévue avant que d'autres opérations puissent être effectuées dans le même pays avec le même véhicule.

Les nouvelles règles introduise­nt aussi l'enregistre­ment des passages de frontières par tachygraph­e, un dispositif retraçant les mouvements du véhicule.

LUTTER CONTRE LES SOCIÉTÉS "BOÎTES AUX LETTRES"

Pour lutter contre les sociétés "boîtes aux lettres", ces entreprise­s de transport devront avoir suffisamme­nt d'activités dans l'État-membre où elles sont enregistré­es. Les camions devront aussi retourner au centre opérationn­el de l'entreprise toutes les huit semaines.

Les règles en matière de détachemen­t des chauffeurs (prévoyant une rémunérati­on selon les règles du pays où ils travaillen­t) s'appliquero­nt au cabotage et aux opérations de transport internatio­nal, avec certaines exceptions, notamment pour le transit.

Les dispositio­ns sur le temps de repos s'appliquero­nt 20 jours après la publicatio­n au journal officiel de l'UE qui aura lieu dans les semaines à venir, tandis que celles sur le détachemen­t et les retours des camions s'appliquero­nt 18 mois après cette publicatio­n.

Des directives préparées par la Commission européenne pour clarifier les dispositio­ns de la réforme doivent être publiées à l'automne.

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