ENTREPRISES INNOVANTES : "IL NE FAUT PAS QUE LA CHAINE DE FINANCEMENT SE CASSE"
Financement, pivot, opportunité, quel rebond pour demain ? Le fonds d’amorçage régional Créalia Occitanie a fait sa rentrée sur les solutions qui s’offrent aux entreprises innovantes régionales pour traverser les turbulences économiques actuelles. Entretien croisé avec son président, Stéphane Marcel, et sa nouvelle responsable, Stéphanie Berrahma.
Créalia Occitanie, fonds régional d'amorçage des entreprises innovantes, faisait sa rentrée le 22 septembre à Montpellier, avec une conférence à laquelle il avait convié entreprises, start-ups, banques ou investisseurs, sur la thématique « Start-ups innovantes en temps de crise : financement, pivot, opportunité, quel rebond pour demain ? ».
Abondé en fonds publics (la Région Occitanie, la BPI et l'Europe) et en fonds privés (chef d'entreprise, avocats, banquiers, experts-comptables...), Créalia octroie, en amorçage, des prêts d'honneur à 0 % allant jusqu'à 100 000 € par projet. Né dans l'ex-Languedoc-Roussillon, le fonds s'est étendu à l'ex-Midi-Pyrénées. Depuis 2018, l'équipe opérationnelle a intégré Ad'Occ, l'agence de développement économique de la Région Occitanie.
Créalia annonce 17 M€ injectés dans l'économie régionale depuis sa création il y a 15 ans, 710 porteurs de projets soutenus, et un taux de pérennité à 5 ans dépassant les 82 %.
Qu'a fait Créalia pendant le confinement ?
Stéphanie Berrahma, responsable de Créalia Occitanie (depuis le 1er juillet 2020) : « Créalia est quasiment une certification pour une entreprises afin, ensuite, d'aller chercher des fonds, nous avons un rôle important. Créalia, ce sont des comités d'engagement avec des banques, des experts en financement, etc. La plateforme donne donc un crédit important à un projet. Durant le confinement, nous avons donc continué les comités d'engagement en visio, et entre avril et mai, ce sont 475 000 € qui ont été prêtés par Créalia. Nous avons observé beaucoup de projets autour de la santé et du vieillissement des populations notamment. Nous n'avons pas encore de "baby-Covid", elles sont en gestation. Les tendances de fonds sont la RSE, la transition écologique, le digital... Le Covid va peut-être inciter à de nouvelles créations d'entreprises car certaines personnes qui n'osaient pas se lancer vont oser aujourd'hui car on leur en donnera la possibilité. Il faut rappeler que Créalia n'est pas réservé à une élite et que toutes les innovations, pas uniquement les innovations digitales et technologiques, sont éligibles. »
Stéphane Marcel, président de Créalia Occitanie : « Pendant le confinement, nous avons décidé de geler les remboursements de prêts durant trois mois pour les bénéficiaires de Créalia. C'était notre rôle. Ça a été une décision-clé, rendue possible car tout notre écosystème - la Région Occitanie, Bpifrance et les fonds européens - étaient tous d'accord... Les startups sont toutes en attente d'un soutien car le mur viendra quand elles recommenceront à rembourser les charges sociales et le PGE (prêt garanti par l'État, NDLR), en fin d'année et début 2021. »
Qu'avez-vous observé du côté des investisseurs ?
Stéphane Marcel : « Ils sont dans une période de repli, même si les chiffres de l'Occitanie disent le contraire. Mais les besoins en financements restent, les investisseurs font moins de projets mais plus gros. Mais attention, il ne faut pas que la chaîne de financement se casse car si un chainon est défaillant, ça peut être rapidement problématique. Les investisseurs ont besoin de retrouver de la confiance. Le risque, c'est que dans un premier temps, ils gardent leur capacité d'investissement pour refinancer les entreprises de leur portefeuille. »
Quels conseils donneriez-vous aujourd'hui aux entrepreneurs ?
Stéphane Marcel : « Nous faisons une rentrée positive mais réaliste, nous ne voulons pas édulcorer. Cette crise appelle à se poser de bonnes questions. L'entrepreneur va être jugé sur sa capacité à se mobiliser rapidement pour renforcer ses fonds propres et rembourser ses prêts. Il va devoir faire du business rapidement pour engranger des recettes. Je leur dis "allez vendre, faites du business, retravaillez la feuille de route et le business plan car les marchés fluctuent, et sur le moyen et long terme, travaillez sur des scenarii de sortie de crise et retravaillez l'equity". »
Qu'est-ce que cette crise va changer ?
Stéphane Marcel : « Elle sera peut-être un mal pour un bien. Les choses évoluent, et cette criselà est suffisamment piquante pour faire évoluer les paradigmes. Le risque est de voir nos licornes aller voir ailleurs si elles ne trouvent pas ici un vivier d'accueil en France. En région, on a de belles histoires comme Smag et InVivo, MedTech et Zimmer Biomet, BIME Analytics et Zendesk, Teads et Altice, Matooma et Wireless Logic,... Si on veut continuer à raconter de belles histoires, il faut continuer à financer les entreprises. »
Stéphanie Berrahma : « Les mentalités évoluent en effet, y compris dans la notion de "risque" chez les banques, tout en faisant attention aux fonds propres : aujourd'hui, pas une entreprise ne pourra faire quoi que ce soit sans penser fonds propres et du coup, les banques auront un regard différent. »
Justement, vous invitez à imaginer des nouveautés sur la chaîne de financement. A quoi pensez-vous ?
Stéphane Marcel : « Nous intervenons les premiers sur la chaîne de financement. On voit donc passer tous les projets innovants d'Occitanie. Or la chaîne de financement va changer dans les prochains mois, d'où l'importance de renforcer les entreprises dans leurs fonds propres. On sait que les banques, elles, sont contraintes par des règles européennes. Parmi les pistes, il y a l'idée de renforcer le financement public-privé - ce que fait Créalia - pour redonner confiance aux investisseurs. On peut aussi mobiliser plus l'épargne citoyen - rappelons qu'il y a 100 Mds € qui ont été épargnés - en sécurisant les mécanismes de garantie. On sait que le nerf de la guerre, ce sont les fonds propres, alors pourquoi ne pas transformer le PGE en equity ? Toute la chaîne doit réfléchir ensemble sur ces sujets, et on doit travailler sur ces plans à court, moyen et long terme. »
Que propose Créalia aujourd'hui pour accompagner les entreprises innovantes dans cette crise ?
Stéphanie Berrahma : « Nous disposons d'un autre outil, le prêt Croissance, qui permet un prêt de 50 000 à 100 000 € et qui est réservé aux entreprises qu'on a accompagné en amorçage. »
Stéphane Marcel : « Nous avons mis en place un plan d'accélération pour être plus sur l'ensemble du territoire et même accentuer l'effort côté ex-Midi-Pyrénées, où Créalia est présent depuis moins longtemps, avec une vraie présence. Sur Toulouse, on commence à ressentir l'effet de la crise avec les difficultés rencontrées par l'aéronautique... La demande va être plus importante que l'offre, d'autant plus si certains investisseurs se montrent plus frileux. Avant le Covid, les investisseurs se bataillaient les pépites ! Le système s'est inversé en trois mois car le contexte économique plus tendu. Désormais, ils vont regarder la capacité de l'entreprise à générer du cash, avec un focus sur l'ebitda, donc les start-ups doivent travailler un plan de sortie de crise. »