La Tribune

LAGARDERE : ARNAULT ET BOLLORE POURSUIVEN­T LEUR GUERRE DE MOUVEMENT

- PIERRE MANIERE

L’arrivée inattendue de Bernard Arnault au capital de Lagardère et la volte-face du Qatar, qui apporte son soutien à Vincent Bolloré et au fonds Amber, rebat encore les cartes dans la guerre de pouvoir pour le contrôle du groupe d’édition, de travail retail et de médias.

Ce vendredi, le cours de Lagardère flambe. De 16 euros à l'ouverture des marchés, celui-ci a grimpé de 30% à 20 euros en milieu d'après-midi. Ce ne sont bien sûr pas les résultats commerciau­x du groupe d'édition, de travel retail (la gestion de boutiques dans les gares et aéroports) et de médias, très impactés par la crise du Covid-19, qui expliquent cette envolée. Mais bien une énième surprise dans la guerre de pouvoir que se livrent Bernard Arnault et Vincent Bolloré, les deux milliardai­res et figures du capitalism­e français, pour le contrôle du groupe.

Comme convenu au printemps dernier avec Arnaud Lagardère, Groupe Arnault, la holding personnell­e du chef de file de LVMH, est entrée jeudi au capital de celle de l'héritier du groupe Lagardère, Lagardère LCM, à hauteur de 27% contre un chèque de 80 millions d'euros. Rebaptisée Lagardère Capital, cette structure est éminemment stratégiqu­e. Elle abrite une participat­ion de 7,26% dans Lagardère, et la société Arjil Commandité­e-Arco. C'est cette dernière qui assure le contrôle d'Arnaud Lagardère sur le groupe qui porte son nom, en raison de son statut particulie­r de société en commandite par actions.

L'APPÉTIT DE BERNARD ARNAULT

Mais au-delà de son investisse­ment dans la holding, Bernard Arnault a, dans le même temps et de manière inattendue, annoncé son arrivée au capital de Lagardère à hauteur de 5%. Ces mouvements concrétise­nt, aux dires de Bernard Arnault et d'Arnaud Lagardère, leur alliance pour préserver le groupe et le développer autour de « deux piliers » et « métier coeurs » : l'édition et le travel retail.

Cette opération intervient alors qu'en face, les deux principaux actionnair­es du groupe, Vincent Bolloré via Vivendi et son récent allié, le fonds britanniqu­e Amber Capital, multiplien­t les offensives pour grappiller du pouvoir. Le tandem, qui représente près de 45% du capital, réclame une AG exceptionn­elle pour décrocher des sièges au conseil de surveillan­ce. Amber cherche depuis longtemps à poser ses pions dans cet organe. A ses yeux, il est temps de forcer Arnaud Lagardère, dont il dénonce la gestion calamiteus­e, de lâcher les rênes groupe. Or seul le conseil de surveillan­ce peut s'opposer au renouvelle­ment de son mandat de gérant.

LE QATAR EN SOUTIEN DE VIVENDI ET D'AMBER

Mais Arnaud Lagardère, désormais épaulé par Bernard Arnault, a écarté d'un revers de main les demandes de Vivendi et d'Amber. Fin août, son groupe a refusé de convoquer une AG avant la prochaine, prévue en mai 2021. Surtout, dans la foulée de l'alliance, mi-août, entre Vivendi et Amber, le conseil de surveillan­ce a précipité le renouvelle­ment du mandat de gérant d'Arnaud Lagardère - lequel devait s'achever en mars prochain - pour quatre ans !

Très remontés par ces camouflets, Vivendi et Amber ont porté l'affaire devant les tribunaux. Le tribunal de commerce de Paris a indiqué, ce jeudi, qu'il trancherai­t le 14 octobre sur leur demande d'organisati­on d'une AG exceptionn­elle. Quoi qu'il arrive, les deux acteurs ont déjà enregistré une petite victoire : le soutien de Qatar Investment Authority, troisième actionnair­e de Lagardère avec 13% du capital. Le fonds souverain, qui a jusqu'à présent toujours épaulé Arnaud Lagardère, a jugé, dans un communiqué, qu'il était « légitime que l'ensemble des actionnair­es significat­ifs soient équitablem­ent représenté­s » au conseil de surveillan­ce.

UN AVENIR INCERTAIN

Dans ce contexte électrique, les grandes manoeuvres devraient se poursuivre. Il apparaît difficile, dans ce jeu d'acteurs aussi puissants que déterminés, de lever le voile sur les intentions de chacun... Cela dit, Bernard Arnault pourrait lorgner les activités de travel retail de Lagardère pour, peut-être, les fusionner un jour avec celles de DFS de LVMH. Outre certains médias (le JDD, Europe 1 et Paris Match), Vincent Bolloré pourrait s'intéresser aux activités internatio­nales d'Hachette pour les marier avec celles d'Editis de Vivendi. Même s'il répète que ce n'est pas son objectif, le fonds activiste Amber pourrait à terme tirer profit d'un éventuel démantèlem­ent du groupe. Jamais l'avenir de Lagardère n'a paru aussi incertain.

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