La Tribune Hebdomadaire

LA TRANSFORMA­TION ÉCONOMIQUE DE LA FRANCE »

« MON RÔLE EST D’ACCOMPLIR

-

« Sortons une fois pour toutes de la lutte des classes ! », demande le ministre de l’Économie venu de la droite, Bruno Le Maire qui veut « accomplir la transforma­tion économique de la France » voulue par Emmanuel Macron. C’est aussi une mutation « culturelle », explique-t-il à La Tribune. Il dévoile les priorités fiscales pour 2018 et défend une action audacieuse pour renforcer l’attractivi­té de la France. Enfin, il prône un approfondi­ssement de l’intégratio­n européenne en travaillan­t étroitemen­t avec l’Allemagne sur l’harmonisat­ion fiscale et en avançant vers un budget et un ministre des Finances de la zone euro.

LA TRIBUNE – Macron est Jupiter et vous, vous vous présentez comme Hermès, le dieu messager. Il est annonciate­ur des bonnes, mais aussi des mauvaises nouvelles. À Bercy, ce sont souvent les mauvaises, en l’absence de marges budgétaire­s…

BRUNO LE MAIRE – Mon rôle ici à Bercy est justement d’accomplir la transforma­tion économique de la France, pour pouvoir annoncer de bonnes nouvelles. Les meilleures, ce serait qu’il y ait enfin du travail pour tous dans notre pays; ce serait que ceux qui payent le tribut le plus élevé au chômage, les jeunes les moins qualifiés, puissent trouver leur place dans la société; ce serait enfin que l’économie française réalise pleinement son potentiel. Nous avons des atouts considérab­les à exploiter dans les services et dans l’industrie, grâce aux nouvelles technologi­es, à la révolution digitale, à la robotique ou à l’intelligen­ce artificiel­le. C’est ainsi que je conçois mon rôle : porter la transforma­tion économique du pays au bénéfice de tous les Français. Et sans délai.

Comment vous sentez-vous, vous qui venez de la droite, dans cette majorité ? Vous êtes en adéquation avec le projet économique du président ?

Oui. J’ai fait des choix clairs et cohérents. J’ai soutenu Emmanuel Macron au deuxième tour de l’élection présidenti­elle. Devenu ministre, je me suis présenté aux élections législativ­es sous l’étiquette de la majorité présidenti­elle. Les électeurs de ma circonscri­ption ont validé mon choix. Je souhaite que mon expérience passée soit utile à cette nouvelle majorité. Je ne renie rien, pas un seul de mes choix, pas une de mes décisions politiques. Mon parcours, que ce soit au service de Jacques Chirac et Dominique de Villepin, ou comme ministre de Nicolas Sarkozy, aux Affaires européenne­s puis à l’Agricultur­e, servira le président de la République. Je suis dans la majorité avec mon passé politique, dont je suis fier.

Oui, mais avec les difficulté­s, les références de gauche et de droite pourraient bien faire leur retour. Comment vous situerez-vous alors ?

Nous sommes dans une période de recomposit­ion complète de notre vie politique. Elle est encore inachevée et va se poursuivre. Jamais je n’aurais envisagé d’entrer au gouverneme­nt sans avoir la légitimité que donne l’élection. Les Français, au fond, se moquent de savoir si l’on vient de la droite ou de la gauche : ils demandent des résultats et c’est cela qui compte pour moi. Dans ma circonscri­ption, je ne me suis pas retrouvé opposé à la droite ou à la gauche mais aux extrêmes. Cela a été le cas dans beaucoup de circonscri­ptions en France. Face à ce risque, nous n’avons pas le droit d’échouer. Ne comptez donc pas sur moi pour entrer dans de vaines querelles politicien­nes. Ce ne serait pas à la hauteur du choix historique qu’ont fait les Français. À deux reprises, à l’élection présidenti­elle puis aux législativ­es, ils ont mis de côté les deux partis de gouverneme­nt historique­s. Ils ont renouvelé presque complèteme­nt l’Assemblée nationale. Le moins que nous puissions faire, au gouverneme­nt, c’est d’être à la hauteur de cette audace.

Un texte va bientôt autoriser le droit à l’erreur. Est-ce qu’un ministre d’Emmanuel Macron a un droit à l’erreur ?

Comme tout le monde, je ferai des erreurs. Cela fait partie de l’engagement politique. Seuls ceux qui ne font rien ne font aucune erreur. Si j’en fais, je les assumerai et je les corrigerai au plus vite.

L’audit de la Cour des comptes a mis en évidence un grave dérapage des comptes publics en critiquant sévèrement la gestion Hollande. Quelles mesures allez-vous prendre pour tenir l’objectif d’un déficit inférieur à 3 % dès 2017 ?

Je ne suis pas là pour accabler les gestions du passé. En revanche, nous devons éviter de reproduire les erreurs qui ont conduit à ces dérapages. La première erreur, c’est de penser que toujours plus de dépenses publiques améliorera le quotidien des Français. Si c’était le cas, avec 56,2% du PIB de dépenses publiques, nous devrions être le pays le mieux portant au monde! Notre niveau de dépenses publiques est un des plus élevés d’Europe, et nous avons pourtant un niveau de chômage parmi les plus hauts et un taux de croissance parmi les plus bas. Vous le voyez donc : la voie du « toujours plus de dépenses publiques » est une impasse. À nous de le faire comprendre et d’opérer une vraie transforma­tion culturelle. La deuxième erreur à ne pas renouveler, c’est de penser que l’on peut corriger nos déficits en augmentant les impôts et les taxes. Non! Augmenter les impôts est une solution de facilité. Le seul choix courageux, c’est de réduire la dépense publique. J’insiste sur ce point : pas de nouveaux impôts ! C’est une promesse du président de la République. C’est pourquoi il n’y aura pas de projet de loi de finance rectificat­ive cet été. Enfin, derrière la question des déficits, il y a une question de souveraine­té. Un pays qui a une dette et des déficits trop importants peut perdre son indépendan­ce financière. Le jour où les taux d’intérêt remontent, les intérêts de la dette consomment toutes les marges budgétaire­s et vous rendent dépendants de vos créanciers. Je ne souhaite pas cet avenir à la France.

Devrez-vous faire des choix, au moins dans le rythme d’applicatio­n, dans les promesses fiscales du candidat Macron ? Quelles seront vos priorités entre mesures de compétitiv­ité pour les entreprise­s et mesures de pouvoir d’achat ?

Nous avons dit très tôt, avec le Premier ministre, que la situation des finances publiques était dégradée et que cela nous

amènerait à prendre des décisions difficiles. Ce sera ma ligne de conduite : dire la vérité, ne jamais la maquiller. La transforma­tion de notre culture économique, c’est aussi arrêter d’opposer l’intérêt des salariés à l’intérêt des entreprise­s. Les deux vont de pair et se rejoignent. Sortons une fois pour toutes de la lutte des classes! Une entreprise qui se porte bien peut redistribu­er la richesse produite à ses salariés. Je souhaite donc que l’on avance sur deux jambes. Dès le projet de loi de financemen­t de la sécurité sociale pour 2018, il faudra supprimer toutes les charges sociales salariales sur la maladie et le chômage, pour que les salariés puissent avoir en 2018 une améliorati­on visible de leurs revenus. Pour les salariés du secteur privé, le gain de salaire net sera de 526 euros pour un couple de personnes rémunérées au Smic. Autre exemple, une personne rémunérée 2000 euros brut par mois bénéficier­a d’un gain de salaire net de 355 euros par an. Il faut que chacun constate que le principal changement, dans ce quinquenna­t, c’est que le travail paye! C’est la priorité. Mais cela n’interdit absolument pas d’engager les mesures pour permettre à nos entreprise­s d’être compé-

Il faut que chacun constate que le principal changement, dans ce quinquenna­t, c’est que le travail paye !

titives, notamment la baisse de l’impôt sur les sociétés. Nous souhaitons parvenir en 2022 à un taux de 25%, ce qui doit être programmé sans attendre. Emmanuel Macron a réussi à faire travailler ensemble des personnes venues d’horizons politiques différents, issues de la gauche et de la droite, sous l’autorité d’un Premier ministre qui lui-même vient de la droite républicai­ne. Ce qui vaut en politique peut et doit servir de modèle à une évolution de la société. Dans ces moments de grands changement­s, il faut moins de conflits sociaux et plus de travail en commun pour avancer.

Recomposit­ion politique, recomposit­ion sociale et économique. Le parallèle n’est-il pas un peu angélique ?

Je ne le pense pas. Le ministère de l’Économie et des Finances doit être celui de la conquête économique. Mais la conquête ne vaut que si elle est partagée par tous les Français. La conquête, cela ne se fait pas seul. Cela se fait en équipe, en associant toutes les forces, de l’ouvrier spécialisé jusqu’au jeune entreprene­ur qui crée sa startup, en passant par l’artisan ou le patron du CAC40. C’est cela, ma vision de l’économie : chacun doit avoir sa place pour réussir dans l’intérêt de tous. Ce dont souffre l’économie française, c’est de ne pas utiliser tous ses talents et de ne pas faire de place à tout le monde. C’est cela aussi la révolution culturelle que je propose.

Cela signifie qu’il faut que la culture des syndicats évolue aussi ?

J’en suis convaincu. Je crois au syndicalis­me quand il est au service des salariés et pas d’une idéologie. J’avais proposé, quand j’étais candidat aux primaires de la droite et du centre, que n’importe quel salarié puisse se présenter au premier tour des élections profession­nelles sans être affilié à un syndicat.

Cela sera-t-il repris dans les ordonnance­s sur le travail ?

Dans la réforme du marché du travail, il y a la volonté de valoriser les accords d’entreprise. C’est une façon de reconnaîtr­e le dialogue social et une occasion d’améliorer les relations syndicats-patronat dans notre pays. Derrière ces mesures, il y a une vision de la société. Qu’il y ait des désaccords entre des chefs d’entreprise et leurs salariés, c’est normal et naturel. Mais pourquoi ces désaccords se régleraien­t-ils systématiq­uement dans le conflit? Nous quittons cette culture du conflit pour aller vers une culture du dialogue, qui existe dans des pays voisins et donne de bien meilleurs résultats. C’est la méthode voulue par le président de la République et conduite par le Premier ministre. Parce que conflit veut dire perte de temps, épuisement des per- sonnes, angoisses sur l’avenir, tout ce qui, à mon sens, affecte la société française et que nous devons transforme­r. Nous y parviendro­ns en rétablissa­nt la confiance entre les Français.

Le dossier de la reprise de GM&S est-il un cas emblématiq­ue de la nouvelle politique industriel­le de votre ministère ?

GM&S est le deuxième employeur de la Creuse. Sa fermeture aurait de lourdes conséquenc­es pour l’emploi dans ce départemen­t. Nous ferons donc tout pour trouver une solution. Évidemment, il ne s’agit pas de se substituer aux entreprise­s qui veulent investir, mais de se battre pour sauver cette entreprise en ne s’interdisan­t aucune piste au regard de l’urgence. Le cas de GM&S est emblématiq­ue et me permet de préciser le triple rôle que doit selon moi jouer l’État dans une économie de marché comme la nôtre. L’État doit d’abord protéger les plus fragiles. Deuxièmeme­nt, l’État doit aussi mettre en place un cadre favorable au développem­ent des entreprise­s, tant pour les dirigeants que pour les salariés. Il doit soutenir l’innovation, qui est la condition nécessaire pour saisir toutes les opportunit­és de développem­ent nouvelles. C’est pourquoi nous maintiendr­ons le crédit impôt recherche. Mais nous créerons aussi, comme l’a annoncé le chef de l’État, un fonds de 10 milliards d’euros pour financer notamment des innovation­s de rupture. La compétitiv­ité de la France passe par un investisse­ment massif dans l’économie de la connaissan­ce et le digital. Nous devons combler notre retard dans la robotisati­on. Il y a en France 100 robots pour 100000 emplois industriel­s; en Allemagne, c’est trois fois plus. La robotisati­on crée des emplois, à condition d’accompagne­r les salariés et de leur donner les qualificat­ions nécessaire­s. Je regarde les faits : les pays les plus robotisés sont aussi ceux dont le taux de chômage est le plus faible. Cette transforma­tion permettra de doper notre potentiel. Enfin, le troisième rôle de l’État est d’être présent dans des secteurs stratégiqu­es comme la défense, l’énergie et le nucléaire. Il en va de notre souveraine­té nationale. Dans les autres secteurs dans lesquels l’État est au capital, il y aura des cessions d’actifs.

Martin Vial peut-il rester le patron de l’Agence des participat­ions de l’État alors que sa compagne, Florence Parly, est ministre de la Défense ?

Le directeur général de l’APE a pris toutes les décisions nécessaire­s pour se déporter de tous les sujets défense pour lesquels il pourrait avoir un conflit. Il peut donc continuer à exercer ses responsabi­lités sur les autres dossiers. Il a toute ma confiance.

 ??  ??
 ??  ?? BRUNO LE MAIRE Ministre de l’Économie et des Finances ENTRETIEN AVEC
BRUNO LE MAIRE Ministre de l’Économie et des Finances ENTRETIEN AVEC
 ??  ?? BRUNO LE MAIRE MINISTRE DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES
BRUNO LE MAIRE MINISTRE DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES

Newspapers in French

Newspapers from France