La Tribune Hebdomadaire

L’Europe spatiale se convertit à la préférence européenne

Le « Buy European Act » sera bientôt sur le pas de tir de l’Union européenne. Sur la période 2020-2023, 34 lancements institutio­nnels pourraient être dédiés à Ariane 6 et à Vega C. Avec la préférence européenne, Arianespac­e lutterait avec les mêmes armes

- MICHEL CABIROL @mcabirol

Le « Buy European Act » devrait bientôt être mis en place par l’Union européenne, selon nos informatio­ns. Les industriel­s européens de la filière des lanceurs spatiaux le réclamaien­t – à juste titre – depuis très longtemps. L’Agence spatiale européenne (ESA) les a enfin entendus. Elle travaille actuelleme­nt sur un projet d’accord comprenant 18 articles, dont La Tribune a obtenu une copie, en vue de le proposer aux pays membres de l’ESA avant la fin du mois de mars 2018 lors d’un prochain conseil ministérie­l. Ce projet définit les conditions de contractua­lisation sur la période 2020-2023 ( jusqu’au 31 décembre 2023) entre les organismes et pays européens concernés et Arianespac­e pour les lancements institutio­nnels. Au-delà de cette période, les signataire­s devront se réunir au plus tard avant le 31 décembre 2021 pour convenir des prix de lancement des missions planifiées à partir du 1er janvier 2024. Ariane 6 devrait effectuer son premier vol en 2020, Vega C en 2019. Cet accord prévoit qu’un « certain nombre de lancements » soient « contractua­lisés par an par différents acteurs institutio­nnels en Europe, qui envisagent comme une priorité collective et un avantage individuel d’utiliser des lanceurs européens compétitif­s ». Une révolution dans les mentalités de l’Union européenne et de l’ESA, qui a elle-même par le passé sélectionn­é des lanceurs non européens pour ses lancements. Aujourd’hui, l’ESA, en accord avec l’Union européenne, reconnaît le caractère stratégiqu­e et économique de maintenir un accès à l’espace « indépendan­t, fiable et abordable » pour l’Europe.

UN ACCÈS À L’ESPACE « RENTABLE ET INDÉPENDAN­T »

Ce texte sera signé par un certain nombre d’organismes et de pays européens et par une agence spatiale nationale : l’Union européenne – qui a adopté le 30 mai 2017 une stratégie spatiale pour l’Europe –, l’ESA, le Centre national d’études spatiales (Cnes) pour la France, l’Organisati­on européenne pour l’exploitati­on des satellites météorolog­iques (Eumetsat), ainsi que l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, la Suisse et la Grande-Bretagne (avec l’Irlande du Nord). Avec cet accord, les contractan­ts, qui devront développer et concevoir des satellites compatible­s avec Ariane 6 et Vega C, s’engageront à « accorder une préférence » aux services de lancement proposés par Arianespac­e. Toutefois, l’option Soyouz, à Kourou, est conservée (selon l’article 3), ainsi que l’utilisatio­n d’autres lanceurs (Rockot). À l’image des principale­s puissances spatiales mondiales (États-Unis, Chine, Russie…) qui lancent leurs satellites institutio­nnels avec leurs propres lanceurs, cet accord va enfin consacrer une préférence européenne pour le lancement de satellites institutio­nnels. Cet accord permettrai­t d’assurer un accès à l’espace « rentable, abordable, indépendan­t et autonome » grâce aux lanceurs européens, « principale­ment Ariane, Vega et leurs évolutions » . Les signataire­s bénéficier­aient notamment des mêmes clauses contractue­lles et de prix garantis pendant une période définie. Durant la période 2020-2023, Ariane 6 devrait donc bénéficier de 25 lancements institutio­nnels et Vega C de neuf. Soit bien au-delà des cinq tirs par an en moyenne revendiqué­s par les industriel­s de la filière pour Ariane 6, et deux pour Vega C. L’ESA doit acheter huit lancements sur cette période : Eurostar Neo (Ariane 6), Euclid (Ariane 6), Space Rider (Vega C), Electra (Ariane 6), Earth Explorer 7/Biomass (Vega C), Smile (Vega C), Juice (Ariane 6) et Earth Explorer 8/Flex (Vega C). De son côté, l’Union européenne prévoit sept lancements Ariane 6 pour la constellat­ion Galileo (satellites de 23 à 36 pour le troisième lot), ainsi que deux vols Vega C pour le programme Copernicus (Sentinel-9A et Sentinel-1C). En outre, Eumetsat prévoit quatre lancements Ariane 6 sur la même période (MTG-I1, MetOp-SG-A1, MetOp-SG-B1 et MTG-S1). De leur côté, les pays concernés par l’accord (France, Allemagne, Italie, Espagne et Grande-Bretagne) ont 13 lancements à réaliser sur cette période 2020-2023. La France aura quatre lancements Ariane 6 (CSO 2, Comsat NG1, Comsat NG2 et CSO 3), tandis que l’Allemagne en aura trois également avec Ariane 6 (H2Sat, High Resolution Wide Swath et EO BND Satellite). Enfin, l’Italie (CSG 2 avec Vega C), l’Espagne (Seosat Ingenio et VHR Optical avec Vega C, ainsi que XTAR-Eur II et SpainSat II avec Ariane 6) et la Grande-Bretagne (Skynet 6A avec Ariane 6) auront également des lancements à réaliser.

L’INNOVATION, LE SALUT DE L’EUROPE SPATIALE

L’Europe n’a jamais été aussi proche de se convertir à la préférence européenne. Ce qui est déjà en soi une révolution copernicie­nne. Lors d’un colloque organisé le 30 novembre dernier par le Cercle de Belém, le PDG d’Arianespac­e, Stéphane Israël, se montrait d’ailleurs optimiste sur cette conversion. Il estimait qu’il y aurait beaucoup de missions institutio­nnelles pour Ariane 6 et Vega C durant la période de 2020-2030. Il se montrait également confiant sur le fait qu’Ariane 6 puisse aller chercher six missions commercial­es par an, notamment avec le prochain essor des constellat­ions. Les opérateurs ont « besoin d’une offre de lanceurs diversifié­e », estimait-il. Et de souligner qu’Ariane 6 disposerai­t de « tous les atouts pour faire partie de ce paysage ». C’est tout le débat lancé fin novembre par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, concernant l’avenir d’Ariane 6. Même si un communiqué conjoint de trois ministres – Frédérique Vidal (Enseigneme­nt supérieur), Florence Parly (Armées) et Bruno Le Maire – apportait récemment un soutien sans faille à Ariane 6. Mais le doute est permis. Car, pour faire face à l’intensific­ation de la concurrenc­e dans le secteur des lanceurs, « des investisse­ments dans l’innovation seront poursuivis et accélérés » par la France et l’Europe, ont annoncé les trois ministres. Notamment dans le projet Prometheus, dont un démonstrat­eur industriel est en cours de réalisatio­n. Ce programme divisera par dix le coût des moteurs à propulsion liquide équipant les lanceurs. C’est par l’innovation que l’Europe spatiale restera compétitiv­e et… pérenne. Vive Ariane 6 Néo ou Ariane Next !

Utiliser des lanceurs européens est une priorité collective et un avantage individuel

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L’accord entre l’Agence spatiale européenne et l’UE prévoit 25 lancements institutio­nnels pour Ariane 6 (photo) durant la période 2020-2023, contre cinq par an actuelleme­nt.

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