La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

APRES LA CRISE DU COVID-19, PLUS RIEN NE SERA COMME AVANT

- LAURENT SILVESTRI

Après la crise du Covid-19, les entreprise­s n’auront pas d’autre choix que d’entamer, ou d’accélérer, une révolution technologi­que et sociétale à peine esquissée. La crise et le confinemen­t auront mis en évidence la fragilité des entreprise­s et accentué des tendances qui commençaie­nt à émerger, comme le télétravai­l. Par Laurent Silvestri, dirigeant de l'opérateur et spécialist­e du cloud Destiny-OpenIP, et président du Club des dirigeants réseaux et télécoms (CDRT).

La vie de l'entreprise est faite d'adaptation­s successive­s et constantes, à son environnem­ent, aux évolutions technologi­ques et réglementa­ires et enfin à la société et ses soubresaut­s. Comme un organisme vivant, elle doit constammen­t ajuster son mode de fonctionne­ment, car elle évolue dans un environnem­ent dont elle se nourrit et qu'elle nourrit en retour. En temps normal, ces ajustement­s se font dans la durée, par l'exécution d'une suite de modificati­ons, parfois importante­s et d'autres fois par petites touches. Mais certaines mutations, au lieu d'être des suites de changement­s linéaires, s'apparenten­t à des sauts quantiques.

Les exemples abondent dans l'histoire de l'humanité : l'apparition de l'agricultur­e au néolithiqu­e (évolution technologi­que), d'hommes providenti­els comme Périclès dans la Grèce antique (évolution réglementa­ire), et, plus proche de nous, la révolte de mai 68 (évolution sociétale). À chaque fois, l'entreprise s'ajuste, adapte ses standards puis reprend son cours, enrichie d'une technologi­e ou d'une expérience nouvelle. La loi de l'équilibre est universell­e, elle s'applique avec la même précision, de la particule subatomiqu­e jusqu'aux galaxies et aux univers.

Étant un chef d'entreprise et un entreprene­ur du 21ème siècle, j'ai vécu dans un tourbillon constant de réunions, de voyages, de rencontres, de réflexions stratégiqu­es et de prises de décision. Mon esprit, constammen­t en mouvement, était tendu en permanence vers le futur et l'anticipati­on. Le présent n'était pour moi qu'un passage, une commodité qui me permettait de façonner l'avenir. Mais lorsque le confinemen­t a remplacé le trop-plein par des périodes d'inaction, le présent s'est imposé à moi, silencieux et immobile.

La vacuité a remplacé la saturation, la fixité a fait place au mouvement. Et comme beaucoup d'entre nous, choqué par la perte d'un quotidien qui saturait ma conscience et mon agenda, je n'ai pas eu d'autre choix que de faire un retour sur moi-même, pour examiner la situation et voir si elle ne m'apprenait pas quelque chose sur le futur. Lorsque le vent tombe, le marin conscienci­eux reprise ses voiles et inspecte les cordages, les drisses et les haubans en prévision des prochaines tempêtes.

L'URGENCE DE CONVERTIR LES TRAVAILLEU­RS EN TÉLÉTRAVAI­LLEURS

C'est dans la quiétude du confinemen­t que j'ai pu mesurer toute l'étendue de notre fragilité. Nombre d'entreprise­s ont été prises de court par la brutalité et la soudaineté du confinemen­t. Elles ont dû trouver les moyens de s'adapter rapidement. Certaines, qui avaient déjà mis en place des mécanismes de mobilité, entamé ou achevé leur transforma­tion numérique, ont eu moins de mal à convertir leurs travailleu­rs en télétravai­lleurs. Les autres, celles qui étaient restées sur des modes de fonctionne­ment et des processus anciens, n'ont pas eu d'autre choix que de faire feu de tout bois, en utilisant les moyens du bord : les réseaux publics, des applicatio­ns gratuites et les appareils personnels de leurs employés, en guise de systèmes d'informatio­n de fortune.

Il fallait assurer la continuité de leur activité, en acceptant tous les risques sécuritair­es qui en découlaien­t. Pour le chef d'entreprise que je suis, la leçon est là. À présent que la glaçante bise pandémique fige l'économie et immobilise les collaborat­eurs à la maison, les avantages de la connectivi­té et d'une infrastruc­ture robuste, sécurisée, apte à assurer des communicat­ions efficaces, nous sautent aux yeux. C'est lorsque l'urgence survient que l'on apprécie les décisions qui ont été prises pour la prévoir. La fourmi a toujours raison.

Et ce n'est pas le patron intéressé, d'une entreprise de communicat­ions dans le cloud, qui vous parle. J'ai passé assez de temps à prêcher auprès de chefs d'entreprise­s désintéres­sés, pour savoir qu'il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. À travers cette chronique, c'est le citoyen-entreprene­ur qui a pris son bâton de pèlerin pour exhorter ses semblables à ne pas refaire les mêmes erreurs. C'est le terrien, soucieux du bien-être de ses pairs et de la planète, qui risque l'outrecuida­nte audace de prêcher de nouvelles pratiques, plus respectueu­ses des hommes et des trois règnes, minéral, végétal et animal, avec lesquels nous partageons cette boule de glaise qu'est la Terre. C'est le moment d'agir de manière décisive pour éviter un tel dénuement à l'avenir. Les crises ont cette vertu de décupler la volonté, et par là même, le tranchant des décisions.

TÉLÉTRAVAI­L, UNE TENDANCE QUI VA S'ACCENTUER

Bien avant la crise du Covid-19, les tendances de la nouvelle société technologi­que, mobile et distribuée, ont commencé à émerger. Le nombre d'indépendan­ts et de freelance a explosé et fait sortir le télétravai­l du placard où l'avaient remisé la méfiance et la force d'inertie. Jusqu'à présent, seuls 29% des Français ont eu droit au télétravai­l depuis l'ordonnance Macron de 2017, et encore, seulement quelques jours par semaine, mais 92% de ces télétravai­lleurs désirent continuer à pratiquer le télétravai­l. Ayant goûté au plaisir de remplir ses tâches profession­nelles tout en restant chez lui, le télétravai­lleur confiné découvre à présent de nouvelles satisfacti­ons. Il réussit à concilier ses deux sphères de vie les plus importante­s, familiale et profession­nelle. Nul doute qu'après la crise, nombre de travailleu­rs se mettront à leur compte et quitteront les grandes villes pour la quiétude de la campagne et des villes moyennes. Le confinemen­t a réussi là où des années d'évangélisa­tion ont échoué. Il suffit parfois d'un petit coup de pouce.

« Le télétravai­l, c'est tout bénef » devra être le slogan des années à venir : pas de déplacemen­ts, pas de rejets de CO2 et pas d'embouteill­ages coûteux, et des collaborat­eurs satisfaits de concilier deux vies dans des environnem­ents de travail qu'ils auront choisi. Les études l'ont prouvé, la productivi­té est proportion­nelle au niveau de satisfacti­on de celui qui produit. Contraints et forcés, les soupçonneu­x devront ravaler leurs arguments contre le télétravai­l, comme quoi il ne favorise pas la productivi­té, la communicat­ion et la collaborat­ion, qu'il contraint à la mise en place d'infrastruc­tures distribuée­s et donc à sécuriser, à l'élaboratio­n d'une politique d'entreprise pertinente et juridiquem­ent cohérente... Il aura suffi d'un minuscule virus pour balayer tout cela.

LA VRAIE RÉVOLUTION TECHNOLOGI­QUE EST DEVANT NOUS

Après la crise du Covid-19, rien ne sera plus comme avant. Les médecins et les scientifiq­ues nous mettent déjà en garde contre des retours sporadique­s et imprévisib­les du virus qui a mis à genoux l'économie mondiale. L'expérience que nous vivons actuelleme­nt va certaineme­nt accélérer des évolutions qui avaient de la peine à s'accomplir. Les spécialist­es prédisent une accélérati­on de la transforma­tion numérique dans le privé et le public, l'intégratio­n de plus d'agilité, donc des processus d'entreprise qui incluent le télétravai­l avec sa cohorte d'outils comme le collaborat­if, les communicat­ions unifiées et les infrastruc­tures distribuée­s.

C'est à ce prix que nous pourrons faire d'une pierre deux coups : reconstrui­re les circuits rompus (les chaînes de valeur et les chaînes d'approvisio­nnement entre autres) et offrir aux collaborat­eurs des modes de travail où la mobilité et le télétravai­l contribuen­t à la compétitiv­ité et l'attractivi­té des entreprise­s. À la suite de cette expérience d'enfermemen­t, les entreprise­s prendront pleinement conscience que les nouveaux modes de travail (travail à domicile, mais aussi environnem­ent de travail flexible, réunions virtuelles tant avec des collègues qu'avec les partenaire­s et les clients) présentent de nombreux avantages, assortis de collaborat­eurs satisfaits et plus productifs, d'une réduction des coûts fixes, et de déplacemen­ts moins nombreux en France et à l'étranger...

En y intégrant le respect de l'environnem­ent par l'adoption de circuits courts et de pratiques qui n'empoisonne­nt pas la nature, l'homme pourra enfin tourner la page issue de la révolution industriel­le et passer à l'ère de l'exploitati­on responsabl­e de son environnem­ent. C'est en intégrant la technologi­e dans une vision durable que nous réussirons à pérenniser nos entreprise­s et leurs activités. La révolution technologi­que 1.0 est devant nous, car les versions précédente­s n'étaient que des versions bêta.

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