Tribune Libre « Un tir aux pigeons » !
Bernard Charles ancien député-maire de Cahors analyse la situation politique, à la veille des Sénatoriales.
« Plusieurs semaines après les élections présidentielles et législatives il semble utile d’analyser ces scrutins et leurs conséquences nationales et lotoises.
L’élection présidentielle a été une suite d’événements inédits qui ont permis à Macron de gagner en se mettant au-dessus des partis. Victoire nette mais sans grand élan populaire (23 % au 1er tour) et une abstention record (+ de 50 %) ce qui avec les nombreux nuls fait beaucoup.
Les causes nationales sont connues et elles illustrent la coupure qui s’est créée entre la population et la politique. La droite avec ses guerres internes, empêtrée dans ses affaires a perdu une élection imperdable par elle. La gauche a payé 5 ans d’indécisions et de manque de discipline républicaine. Les attitudes des frondeurs ont discrédité le gouvernement et le PS en refusant de manière archaïque des réformes incontournables. Tout cela conjugué à un rejet du système de moins en moins capable de traiter les grands problèmes de la société et on retrouve un électorat balkanisé et la fin du bipartisme. Quant au PRG, qui fidèle à sa tradition, il aurait dû être présent dans cette évolution, il a fait de mauvais choix stratégique souvent confus que j’ai désapprouvé. Ces erreurs vont conduire, comme le PS, à la fin programmée du plus vieux parti de France. Le PRG aurait dû être comme l’a fait le Modem pour le centre droit de Macron, l’organisateur du centre gauche autour du nouveau Président. Depuis plus de 40 ans les Radicaux militent en effet pour le rassemblement social-démocrate du centre gauche, du centre et du Centre droit. Les thèses, il y a 40 ans, du « Manifeste Radical » de Jean-Jacques Servan Schreiber sont d’ailleurs très proches des thèses du livre programmatique du Président Macron. La création, souhaitée par le Président, d’une grande force social-démocrate doit permettre à tous de se retrouver au-delà des différences. Le rapprochement PRG/valoisien est d’actualité, après maints essais dans le passé qui ont été vains, cela peut aider la création de cette fédération social -démocrate mais c’est un peu tard. Le risque des extrêmes est là, notre situation économique nécessite une mobilisation consensuelle de la classe politique par un gouvernement le plus large possible.
Dans le cadre de ce grand mouvement de changement le Lot a été comme d’habitude plutôt à contre-courant. Sans remonter à l’époque du basculement du Lot vers le radicalisme quand le Prince Murat et les Bo- napartistes furent battus, il faut remarquer que déjà lors d’une vague de droite qui toucha toute la France en 1993, le département du Lot fut le seul département où les députés sortants de gauche furent réélus parmi les 62 députés de gauche rescapés. Dans la 1re circonscription du Lot lors des législatives il en a été de même puisque le candidat d’En Marche fut battu par un candidat LR ce qui n’était pas le sens de l’histoire sur le plan national. Plusieurs raisons expliquent cependant ce résultat et montrent la culture politique particulière des Lotois. Le candidat d’En Marche, suite au résultat du 1er tour n’a pas fait une campagne de rassemblement. Lors du 1er tour, comme l’ont dit tous les commentateurs politiques, le travail et l’implantation des élus n’avaient aucun rapport avec cette élection. Ceux qui étaient bien implantés ou pas, ceux qui avaient bien travaillé ou pas ont été emportés par le phénomène présidentiel. Ce résultat a induit en erreur le candidat en Marche car au 2e tour on regarde le profil du candidat, la vague présidentielle s’affaiblit et il faut rassembler.
D’autres raisons existent également. Au 2e tour la 1re circonscription du Lot e eu une abstention exceptionnelle. Le candidat LR est élu avec moins de voix que lors de la précédente législative où il avait été battu. Le candidat LR a astucieusement placé sa campagne sous le signe d’un élu lotois connu, mettant même ses affiches sur celles de Dominique Orliac du 1er tour avec « Pour le Lot ». Au moins plus d’un millier des électeurs de Dominique Orliac ont ainsi voté pour le candidat LR car le fait d’être reconnu lotois était important pour eux. Ce glissement des votes a été accentué par les manoeuvres insidieuses à l’encontre des radicaux de certains socialistes, passés d’ailleurs en 15 jours d’Hamon à Macron, mais aussi de certains anciens socialistes en préretraite en attente d’illusions, d’où leurs réactions et le vote « anti en Marche » vu dans les communes. On le voit, le Lot reste atypique et les prochaines élections sénatoriales pourraient être aussi un « tir aux pigeons étonnant ».
Faute d’un leadership politique, d’un vrai patron, la gauche lotoise a une profusion de candidats. Cela ouvre une voie royale au candidat LR au demeurant reconnu comme un élu de qualité. Pour tout arranger les candidats sous l’étiquette de Macron (Simon-Picquet et Bladinières) vont prendre de plein fouet la révolte des élus locaux contre le matraquage visà-vis des budgets des collectivités locales (baisse des dotations, fin des emplois aidés, suppression de la TH, etc..) décidé par le gouvernement.
À côté de ces problèmes électoraux nationaux et locaux de lourds problèmes existent ( chômage, pouvoir d’achat, endettement, etc…). L’autosatisfaction des néo députés Macroniens ne va pas suffire à réduire le déficit public considérable (2240 milliards d’euros soit plus de 350.000 euros par habitant). Il faut savoir plaire pour être élu mais aussi déplaire pour réformer. Un grand rassemblement est donc nécessaire sur un programme clair et bien équilibré qui allie progrès social et développement économique. Le Président ne doit pas être reconnu comme le Président des riches et des nantis mais le Président de tous, des jeunes aux retraités en passant par toute la population tout en arrêtant de stigmatiser ce qu’il appelle « les fainéants ».
C’est une des dernières chances de faire évoluer notre pays qui a les capacités d’une progression positive dans une Europe rénovée et essentielle. Pour réussir le pouvoir actuel doit absolument éviter ses tâtonnements estivaux, la marginalisation des métropoles et des territoires ruraux, la coupure entre ceux qui ont réussi et ceux qui souffrent. Il faut ressouder notre tissu social pour gagner. Le non-cumul des mandats, la mise en place en cours de parlementaires « hors sol » sont des facteurs qui peuvent renforcer cette marginalisation. L’évolution du travail parlementaire et du mode électoral tel qu’il est prévu (diminution du nombre, proportionnelle nationale, etc…) vont faire que, par exemple, à terme il y aura un député pour 500.000 habitants soit en milieu rural 1 député pour 2 départements. On est loin du parlementaire de terrain en soutien des territoires.
La France acceptera les changements nécessaires si on lui explique bien les objectifs recherchés et si une grande majorité y adhère en surmontant des inégalités réelles. »