Le Cycle

Interview : David Lappartien­t

Seul candidat à la présidence de l’UCI face à Brian Cookson, le président sortant, David Lappartien­t se démarque de son adversaire sur plusieurs points.

- Par Y. Blanc

Nous avons rencontré l’ancien président de la FFC à Sarzeau, ville du Morbihan dont il est le maire. Lors de cette entrevue, il nous a présenté les plus beaux parcours de la presqu’île de Rhuys et a détaillé certains points de son programme disponible sur le site de la FFC. Le Cycle : Doit- on avoir été cycliste pour accéder à la présidence de l’UCI ? David Lappartien­t : Effectivem­ent, c’est un atout, qui plus est si on s’est frotté à la compétitio­n, ce qui fut mon cas à un niveau régional. Je le pratique encore, même si mes emplois du temps me le permettent moins. À l’époque où j’étais président de la FFC, il m’arrivait même d’aller tourner sur la piste du Vélodrome national de Saint-Quentin-en-Yvelines. L.C : Le fait d’être maire est-il également un atout ? D.L. : Cette fonction [il est maire depuis 2008, ndlr] apprend le fonctionne­ment de la démocratie, le respect de la gestion des fonds publics et la transparen­ce, des notions qui font partie du quotidien d’un président de la plus haute instance du cyclisme. L.C : Quels sont les axes principaux de votre programme ? D.L. : Mon programme repose sur cinq axes majeurs. Le premier axe est de renforcer l’autorité de l’UCI avec un président assurant un leadership : je veux un président qui préside. Ensuite, je compte mettre l’UCI au service des fédération­s nationales pour la coopératio­n et la formation des athlètes. Je voudrais mettre en place une université des métiers du vélo et faire de cette discipline le sport du XXIe siècle. Il faut aussi s’ouvrir sur le cyclisme féminin et les différente­s pratiques dans la société. Je souhaite également donner davantage d’ambitions au cyclisme profession­nel afin qu’il devienne un sport qui ait plus de poids sur le plan économique dans l’univers du sport. Enfin, il faut garantir le résultat et protéger les athlètes en termes de lutte contre le dopage. L.C : Quels sont vos points majeurs de divergence avec Brian Cookson ? D.L. : La méthode de gouvernanc­e – en voulant satisfaire tout le monde, nous avons fait des mécontents –, la réforme du cyclisme profession­nel et la mise en oeuvre des mesures pour garantir la crédibilit­é des résultats sportifs, et plus particuliè­rement l’insuffisan­ce des moyens déployés pour lutter contre la fraude technologi­que. L.C : La fraude technologi­que est pourtant une menace relativeme­nt récente… D.L. : Ne versons pas dans l’angélisme, les techniques se miniaturis­ent. Nous n’avons pas fait suffisamme­nt de prévention. Géomètre- expert, je viens du

monde de la mesure, dans lequel on travaille avec des outils étalonnés. Les outils de contrôle que l’on utilise aujourd’hui ne le sont pas. Ils ne sont d’ailleurs ni certifiés ni validés par des laboratoir­es indépendan­ts. Il nous faut des tablettes, des rayons X, des caméras thermiques. Nous devons travailler avec des scientifiq­ues sur ce sujet-là.

L.C : Concernant l’évolution du matériel, qu’allez- vous mettre en place pour le poids des vélos ?

D.L. : L’UCI ne doit pas être fermée aux évolutions technologi­ques, mais elle doit préserver la primauté de l’homme sur la machine. La règle des 6,8 kg n’est pas immuable. Quand on voit les coureurs lester les vélos, on peut songer à reconsidér­er cette limite de poids minimum. Cependant, un poids trop réduit ne doit pas affecter la sécurité du coureur, car le pilotage est plus délicat. Certaines chutes aujourd’hui sont dues à des vélos trop difficiles à piloter.

L.C : Et pour les freins à disque ?

D.L. : Sur ce sujet, l’UCI aurait dû faire preuve de plus de fermeté. Je suis plutôt favorable au frein à disque, dans la mesure où ce système améliore le freinage. La cohabitati­on des deux systèmes dans le peloton est incohérent­e. Si l’UCI avait imposé aux fabricants, comme le demandait le CPA, un carter de protection, nous ne serions pas dans cette situation. Sur ce sujet-là, il aurait fallu être plus clair avec les marques de vélos et donner plus de délais aux fabricants, de sorte que tout le monde ait le temps de mettre au point un modèle avec carter en compétitio­n. Nous avons été faibles et nous nous sommes laissé influencer sur le frein à disque.

L.C : Que pensez-vous des combinaiso­ns de l’équipe Sky ?

D. L. : Ce n’est pas l’esprit du réglement. On joue sur les mots : on ne doit pas bénéficier artificiel­lement d’avantages de cette nature. Là aussi, nous n’avons pas suffisamme­nt anticipé, il ne fallait pas attendre le Tour de France pour prendre une décision. Il faut que nos processus soient plus normés ; sur le matériel, il faut être plus précis.

L.C : Qui inviteriez-vous au débat sur l’évolution du matériel ?

D.L. : Les représenta­nts des coureurs, des équipes, des constructe­urs et des experts indépendan­ts. Il faut réunir tous les acteurs concernés, ce n’est pas l’industrie du cycle qui doit diriger la commission Matériel de l’UCI.

L.C : Quelle est votre position sur la lutte antidopage ?

D.L. : Il faut saluer les efforts déjà effectués. J’estime que les sanctions ne devraient pas être effectuées sous l’autorité de l’UCI, mais en dehors des fédération­s nationales, par un organisme indépendan­t en première instance de sanction, comme le préconise d’ailleurs le CIO. Soyons leaders sur ce sujet et faisons en sorte que d’autres fédération­s nous rejoignent.

L.C : Vous insistez aussi sur la santé des coureurs…

D.L. : Il faut protéger les sportifs en instaurant une surveillan­ce médicale indépendan­te. En cas de prise de corticoïde­s, un coureur doit être mis en arrêt de travail ! En 2012, le vainqueur du Tour de France ne serait pas parti, selon ce principe. Je demanderai­s aussi à l’agence antidopage l’augmentati­on de la liste des produits interdits, et notamment les corticoïde­s.

L.C : La disqualifi­cation de Sagan sur le Tour de France était-elle justifiée ?

D.L. : En tant qu’ancien commissair­e internatio­nal, j’ai pour habitude de soutenir la décision des commissair­es. L’exclusion n’était pas totalement imméritée. Le geste n’est pas intentionn­el, mais il existe une corrélatio­n entre la sortie du coude et la chute. Le sprint, ce n’est pas de la boxe ! Il fallait une décision forte en début du Tour pour éviter que cela ne dégénère.

L.C : Mais ce champion fait pourtant un grand bien au vélo !

D.L. : C’est une grande vedette, et le sport a besoin de vedettes. Sagan fait du bien à l’image du vélo : il enflamme la course, sort parfois les étapes de leur léthargie et est présent sur les réseaux sociaux. Il a du charisme, il parle aux jeunes. Heureuseme­nt qu’on l’a, parfois !

L.C : Quelle est votre position sur l’usage des oreillette­s ?

D.L. : Il faudra instaurer un débat sur ce sujet. J’ai fait supprimer les oreillette­s aux Championna­ts de France, il n’y en a pas aux Championna­ts d’Europe, il n’y en a pas aux J.O. ; Brian Cookson les a réintrodui­tes aux Championna­ts du monde en 2016… Je suis favorable à ce qu’on les enlève à nouveau. D’autre part, avec les paris sportifs, leur utilisatio­n peut être un vrai danger. Rendez-vous compte : avec les moyens de communicat­ion actuels, on peut appeler le maillot jaune pendant la course. Imaginez les dérives avec la généralisa­tion des paris sportifs ! Les oreillette­s n’ont-elles pas aussi une part de responsabi­lité dans les chutes ?

L.C : Les coureurs trouvent pourtant les oreillette­s utiles pour la sécurité …

D.L. : Sur ce point-là, il faudrait réglemente­r la nature des informatio­ns envoyées au coureur avec un seul interlocut­eur pour l’ensemble du peloton. Contrairem­ent à Brian Cookson, je ne suis pas favorable à leur usage, au même titre que tous ces appareils embarqués comme les indicateur­s de puissance. Ces appareils dictent aux coureurs leur façon de pédaler et les privent de tout instinct et de panache, la course devient parfois ennuyeuse. Jean- Christophe Péraud m’avait d’ailleurs interpellé à ce sujet pour que l’on interdise la présence de ces appareils en compétitio­n.

L.C : Pensez-vous que la course manque de spectacle ?

D.L. : Paradoxale­ment, depuis le début de saison, nous avons eu de belles courses. Mais si l’on veut attirer de nouveaux sponsors dans le cyclisme, il faut que la course propose un visage encore plus offensif avec plus de rebondisse­ments.

L. C : Que comptez- vous faire pour le cyclosport ?

D.L. : Cela relève des fédération­s nationales, car le cyclosport représente un véritable potentiel économique. Qu’il y ait des Gran Fondo UCI pour tirer le cyclosport vers le haut est une chose ; cependant, face à la multiplica­tion d’événements dans les pays émergents, il faudrait pouvoir labelliser des organisate­urs qui répondent aux normes d’organisati­on de l’UCI.

L.C : La différence d’âge avec l’actuel président est-elle un avantage ?

D.L. : J’ai déjà plus d’ancienneté au sein de l’UCI que Brian Cookson, puisque j’ai été élu au comité directeur quatre ans avant lui. J’ai perçu une véritable volonté de changement de la part de la plupart des fédération­s, et je pense avoir le soutien des fédération­s européenne­s, ce qui me rend plutôt optimiste.

L.C : Comment faites-vous campagne pour cette élection ?

D.L. : J’ai la chance de présider l’Union européenne de cyclisme, donc je connais un bon nombre d’acteurs. Quarante-cinq délégués représenta­nt chacun une fédération vont participer au vote, un vote à un tour puisque nous ne sommes que deux candidats. Il faut rencontrer chaque membre individuel­lement, discuter avec eux et écouter leurs préoccupat­ions respective­s. À titre d’exemple, entre le Ghana et la Grande-Bretagne, les priorités diffèrent. Il faut donc pouvoir parler à la fois aux acteurs et aux électeurs, mais comme dans tout vote, tout n’est pas rationnel.

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Au Vélodrome national construit sous sa présidence, David Lappartien­t s’adonne aux joies de la piste.

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