Sopwith “Camel”, un bien mauvais chameau
Le “Camel” (chameau) fut un chasseur handicapé par ses performances dès son introduction et rapidement devenu obsolète… au point d’être relégué à l’attaque au sol.
Le meilleur chasseur de la Première Guerre mondiale ? Réputation usurpée ! La preuve…
* Lire Le Fana de l’Aviation n° 579 à 585.
Entre le 4 juillet 1917 et le 11 novembre de l’année suivante, les Sopwith “Camel” détruisirent 1 294 avions ennemis, chiffre qui ne fut atteint par aucun autre type d’appareil au cours de la guerre.” Cette affirmation, écrite dans la presse aéronautique des années 1970 et qui perdure encore aujourd’hui jusque sur la page Wikipedia du “Camel”, est un mythe. Il s’effondre en examinant simplement les caractéristiques techniques de l’appareil par rapport aux autres chasseurs en service sur le front, amis comme ennemis. Et plus encore en lisant les statistiques opérationnelles, puisqu’il est le chasseur le plus abattu…
Une industrie britannique en retard d’un moteur
L’histoire du Sopwith “Camel” ne peut faire l’économie d’un examen du contexte de l’industrie aéronautique britannique durant la Première Guerre mondiale. Une industrie longtemps à la traîne de l’industrie française, laquelle a bénéficié avant la guerre d’un immense enthousiasme de la nation et d’un budget illimité, alimenté par le produit d’une souscription nationale érigée en véritable devoir patriotique pour préparer la revanche contre l’Alle- magne. Ces moyens ont permis à la République française de multiplier les commandes auprès de nombreux constructeurs aéronautiques et de favoriser leur transformation d’atelier d’artisan en véritables industriels. Ce raisonnement vaut également pour les motoristes qui bénéficient d’un tissu industriel de moteurs automobiles déjà existant très dynamique.
Rien de tel en Grande-Bretagne : les forces armées n’investissent que tardivement dans l’aéronautique, particulièrement l’armée de Terre, dont les commandes sont d’ailleurs très majoritairement réservées à son seul atelier d’État, la Royal Aviation Factory. Ses réalisations sont particulièrement médiocres, mais malgré tout commandées et utilisées au front, comme les BE 2, FE 2 ou RE 8 (lire Le Fana de l’Aviation n° 571). Difficile pour un constructeur aéronautique privé d’exister dans ces conditions. Fort heureusement, un autre acheteur public d’importance est pour eux dans de meilleures dispositions : la marine britannique, chargée de la défense du territoire national et des bases navales. Elle équipe son Royal Navy Air Service (RNAS) avec plusieurs appareils réalisés par des sociétés privées, et tout particulièrement la Sopwith Aviation Company qui s’est fait remarquer avant la guerre par son biplan “Tabloïd”. Sa variante à flotteurs,
l’hydravion monoplace Schneider, est utilisée par les unités embarquées du RNAS tout comme le sera son successeur nommé “Baby”. Le biplan biplace Sopwith 1 ½ “Strutter”, testé en 1915, sera largement utilisé et même commandé par la France qui en organisera sa production sous licence à grande échelle – plus importante que la production britannique. C’est avec le Sopwith “Pup” que la Sopwith Aviation Company réalise le premier avion de chasse britannique vraiment réussi, un petit biplan parfaitement équilibré et d’une grande maniabilité, très apprécié des pilotes.
Malheureusement pour les pilotes britanniques, leur industrie aéronautique, qui parvient à produire de bons appareils, reste dépendante de la France pour ses moteurs. Nombre d’entre eux sont importés directement du continent tandis que les usines britanniques organisent une production de certains modèles sous licence – des copies qui ne sont pas forcément de la meilleure qualité. Toutes ces contraintes font que les appareils britanniques accusent un retard technique sur ceux de leurs adversaires, qui ne pourra être comblé qu’à la toute fin de la guerre. Le Sopwith “Pup”, quelles que soient ses qualités de vol, est propulsé par un moteur rotatif Le Rhône de 80 ch qui est le même qui équipe le chasseur français Nieuport 11, équivalent au “Pup” en performances comme en maniabilité. Mais quand le prototype du Sopwith “Pup” est testé au mois de février 1916, le Nieuport 11 se bat déjà dans le ciel de Verdun où il conquiert la supériorité aérienne face aux Allemands équipés de Fokker “Eindecker”. Et quand le Sopwith “Pup” de série est livré aux unités du RNAS se battant sur le front en octobre 1916, le Nieuport 11 est déjà envoyé au rebut par les Français qui sont passés, tout comme les Allemands, sur des appareils à moteur en ligne autrement plus performants, respectivement le Hispano Suiza 8a (150 puis 180 ch) et le Mercedes D.III (160 puis 170 ch) équipant le Spad VII et les chasseurs Albatros D.
même faiblesse intrinsèque du moteur s’applique au Sopwith “Camel” qui est équipé d’un moteur rotatif, le plus souvent un Clerget de 130 ch voire un Le Rhône 9Jb de 110 ch dont la puissance réelle de l’un comme l’autre avoisine les 125 ch. Quand le “Camel” fait son entrée au combat au mois de juin 1917, le Spad VII français est déjà au front équipé d’un moteur surcompressé de 180 ch tandis que la plupart des chasseurs allemands ont un Mercedes D.IIIa de 170 ch. En décembre 1917, le Gnome monosoupape de 150 ch est testé sur le “Camel” ; le moteur est installé sur plusieurs appareils dans les unités, donnant un gain en performances appréciable. Mais à cette époque, le Spad XIII et le SE5a britannique sont déjà en ligne avec leurs moteurs de 220 à 230 ch, alors que les Allemands introduisent en juin 1918 en quantités limitées leurs premiers Fokker D.VII F à moteurs surcompressés BMW D.IIIa de 230 ch.
Sopwith “Camel”, qui représentent environ 45 % de l’effectif de la chasse britannique en 1918, restent majoritairement équipés d’un moteur dont les performances les laissent sur place – seuls 15 % des 2 548 “Camel” recensés en octobre 1918 sont équipés d’un moteur de 150 ch, le Bentley BR 1. On peut dès lors se demander pourquoi un tel appareil a été maintenu en production toute la guerre durant. Il se trouve que les Britanniques n’ont guère eu le choix car les précieux moteurs Hispano ne leur ont été livrés qu’au compte-gouttes, que ce soit ceux importés de France qui a conservé l’essentiel de sa production pour ses forces aériennes, ou ceux produits par leur propre industrie sous le nom de Wolceley “Viper”.
Un prototype qui vire à droite
Le développement du Sopwith F.1 (son nom officiel) débute à la fin de l’été 1916 sous la direction de l’ingénieur Herbert Smith, alors que le Sopwith “Pup” n’est même pas entré en opérations, afin de lui trouver un successeur à la fois plus puissant et mieux armé, car arrivent déjà sur le front des chasseurs Albatros armés de deux mitrailleuses.
Le prototype est achevé le 22 décembre 1916, et s’il présente une ressemblance avec le Sopwith “Pup”, ses lignes sont plus compactes. Pour faciliter la production, l’aile supérieure est construite d’un seul tenant et ne comporte aucun dièdre, à l’inverse de l’aile inférieure qui en comporte un de 3°. Le fuselage, bâti autour d’une armature en bois, possède un revêtement en aluminium autour du moteur, puis en contreplaqué jusqu’à l’habitacle et entoilé jusqu’à la queue de l’appareil. Juste en retrait du moteur, le fuselage possède un renflement pour loger l’armement composé de deux mitrailleuses Vickers synchronisées avec l’hélice – cette bosse caractéristique vaudra à l’appareil son surnom officieux de “Camel” (chameau). Son propulseur est un moteur rotatif, un Clerget 9Z de 110 ch, mais un autre prototype teste le Clerget 9B de 130 ch, le Le Rhône 9Ja de 110 ch et le Clerget 9Bf de 140 ch.
Le prototype F.1 quitte le sol le 26 décembre 1916 aux mains du chef pilote de la société Sopwith, Harry Hawker. Il s’aperçoit tout de suite que l’effet de couple du moteur rotatif, combiné avec un centre de gravité très en avant, donne à l’appareil une extraordinaire capacité à faire des virages serrés vers la droite. Mais il remarque également la grande sensibilité des commandes qui rendent le pilotage assez malaisé, surtout durant le décollage. L’avion est instable et nécessite une constante attention du pilote ; un virage mal maîtrisé a tôt fait de se transformer en vrille.
Très lourdes pertes en opérations
Rapidement commandés en série par le RNAS, les premiers appareils font leur apparition au sein du Squadron 4 RNAS en France au début du mois de juin 1917. À la fin du mois, le Sqn 3 RNAS en reçoit également, motorisés par un Bentley BR.1 de 150 ch qui en fait la version du “Camel” la plus performante. Un des pilotes de l’unité, le flight sublieutenant H. Rochford, témoigne : “C’était une machine instable dont le puissant moteur lui donnait un vicieux coup vers la droite dès qu’elle prenait l’air, ce qui devait être corrigé en donnant beaucoup de coups de palonnier à gauche (…) Cependant, aucun avion ne pouvait être manoeuvré si vite, et c’était un gros avantage au combat.”
Alors que la production monte en puissance et s’organise dans un réseau de sept sous-traitants, les livraisons affluent aux unités. Le chasseur intéresse également le Royal Flying Corps qui en commande pour son compte à la Sopwith Aviation Company, équipant son premier escadron (le 70) en juillet. Au mois
J’ai vu une mitrailleuse me tirer du sol et j’ai viré vers elle pour la faire taire
de janvier 1918, 18 escadrons en sont équipés, sept du RNAS (1, 3, 4, 8, 9, 10 et 13) et 10 du RFC (3, 43, 46, 54, 65, 70, 73, 80 plus les 28 et 45 partis pour l’Italie), ainsi que le Sqn 4 de l’Australian Flying Corps combattant en France.
Les débuts opérationnels du Sopwith “Camel” sont d’emblée marqués par de lourdes pertes. Arrivé en pleine bataille des Flandres où l’armée britannique tente d’effectuer une percée autour de la ville d’Ypres, le Sqn 70 est littéralement anéanti au combat en perdant pas moins de 35 pilotes en 1917 (tués, prisonniers ou disparus), dont 28 durant la bataille proprement dite entre le 31 juillet et le 7 décembre. Sachant qu’un escadron comporte à cette époque 18 appareils, cela signifie que l’unité a perdu deux fois son effectif. Les pertes des autres unités de “Camel” du RFC sont moins cruelles mais guère plus clémentes, avec 14 pilotes perdus pour le Sqn 65 en seulement deux mois d’opérations, 10 pour le Sqn 3 et 13 pour le Sqn 45 avant qu’il ne soit envoyé pour l’Italie en décembre. Les résultats des unités du RNAS sont nettement meilleurs, avec entre quatre à huit pilotes perdus pour les six escadrons engagés dans la bataille.
Des jeunes pilotes à peine formés
Plusieurs facteurs peuvent expliquer les pertes des appareils du RFC, le premier d’entre eux étant que leurs “Camel” sont équipés
des moteurs Clerget ou Le Rhône, bien moins puissants que le Bentley BR 1 de 150 ch monté sur ceux du RNAS. Mais les caractéristiques techniques du chasseur n’expliquent pas tout, la valeur des pilotes est à prendre en compte. Le Royal Flying Corps est sorti laminé des offensives à outrances lancées par son chef, Sir Hugh Trenchard, qui les fait attaquer coûte que coûte sur les objectifs dans les lignes ennemies. Devant l’ampleur des pertes, la politique des autorités britanniques a été de raccourcir le temps de formation des pilotes (“No empty seats” - pas de sièges vides) qui n’était déjà pas fameux comparés aux standards en cours dans les aviations françaises et allemandes. Nombre de jeunes pilotes n’ont eu qu’une poignée, voire aucune heure de vol sur leur avion d’armes quand ils sont arrivés dans leur escadrille. Si le système de formation britannique s’est amélioré à la fin de l’année 1917, il est loin d’avoir encore produit ses effets et les pilotes du RFC, placés au coeur de la bataille terrestre, en ont été les principales victimes. Le Sqn 70, le premier sur “Camel”, a ainsi perdu 15 pilotes sur 18 en septembre 1917, un niveau sans précédent et sans équivalent dans l’ensemble des autres forces aériennes. Les unités du RNAS, dotées de moteurs plus performants, aux pilotes probablement mieux formés, étaient stationnées le long de la côte près de Dunkerque et ont sans doute été relativement moins exposées à la fournaise.
Le dernier épisode de la bataille des Flandres voit l’armée britannique réaliser une attaque appuyée par des chars à Cambrai, à partir du 20 novembre 1917. Les Sopwith “Camel” y expérimentent alors des missions d’appui tactique en étant équipés de bombes Cooper de 9, 11 ou 25 kg fixées sous le train d’atterrissage. Une mission très dangereuse et peu populaire auprès de pilotes qui doivent affronter en plus des tirs venus du sol ceux de la chasse ennemie toujours placée en surplomb dans des conditions favorables. Le capt. Arthur Gould Lee, pilote au Sqn 46, qui participe à la bataille et a toutes les peines du monde à naviguer dans la brume avec son “Camel” pour repérer l’objectif, en témoigne :
“Dans cette confusion aveugle,il n’y avait aucun espoir de sélectionner et de viser une cible. Mon premier souci était de me débarrasser de ces dangereuses bombes avant qu’une balle tirée du sol ne les fasse exploser. Après avoir fait un virage serré j’ai remarqué une batterie de canons alignée, sur laquelle j’ai piqué à 45° et lâché mes quatre bombes. En me penchant sur un côté j’ai pu voir les explosions, un groupe de fumées grises avec des flammes au centre – une bombe avait percuté entre deux canons, les autres quelques mètres plus loin. Des échardes de bois m’ont alors atteint au visage : une balle venait de percer un de mes haubans de cabane. Cela m’a mis en rage et j’ai piqué sur un autre groupe de canons que j’ai arrosé d’une centaine de balles, puis j’ai vu une mitrailleuse me tirer du sol et j’ai viré vers elle pour la faire taire d’une courte rafale.
“Soudain des traceuses m’entourent”
Alors que je reprenais de l’altitude, un “Camel” m’a frôlé en sortant de la brume. J’étais littéralement en nage… Cela devenait trop dangereux et je suis remonté dans un nuage à une centaine de mètres de hauteur, y restant une trentaine de secondes avant de plonger de nouveau. La forêt de Lateau était derrière moi. En faisant de violentes embardées, j’ai survolé les cimes des arbres avec la brume accrochée aux branches. Soudain les arbres ont disparu et je me suis retrouvé face à une route que j’ai suivie en reprenant mon souffle. Soudain, tac- tac- tac- tac… et des traceuses m’ont entouré. J’ai violemment balancé mon “Camel”. Deux chasseurs Albatros D sont arrivés derrière moi, suivis d’un troisième plus en retrait. Je n’étais aucunement dans l’état d’esprit d’engager un combat héroïque à 100 m de hauteur, mais de simplement sauver ma peau ; j’ai continué à virer aussi sec que possible. J’ai mis une rafale sur le premier boche qui m’est passé devant, puis une autre sur le deuxième, quand mes mitrailleuses se sont enrayées. Il n’y avait qu’une chose à faire et je l’ai faite : grimper dans les nuages. Je ne voudrais plus jamais voler dans un nuage sur un “Camel”, car j’ai détesté. Les commandes sont lourdes, il faut constamment maintenir la pression sur le manche, et l’avion a tendance à basculer vers la gauche et à partir en vrille. Enfin, j’ai pu désenrayer mes armes.”
En sortant de son nuage, Arthur Gould Lee découvre une colonne hippomobile ennemie dans laquelle il sème la pagaille en volant au ras des pâquerettes et paniquant les montures, puis tire ses dernières cartouches sur une colonne de soldats qu’il voit s’enfuir dans les bois. Rentré à sa base, il effectuera plusieurs autres missions durant la bataille de Cambrai et revendiquera deux victoires à bord de son “Camel”. Il sera descendu rien de moins que trois fois par la DCA, ayant la chance de s’en sortir… Il survivra à la guerre surtout parce qu’il se fait affecter à l’arrière peu après la fin de la bataille !
De plus graves pertes sont encore à venir pour les pilotes de “Camel” durant l’année 1918. Profitant de leurs troupes ramenées de Russie qui est sortie du conflit, les Allemands lancent une série d’offensives qu’ils espèrent décisives. Le 21 mars 1918, l’offensive Michael pulvérise la 5e Armée britannique dans la Somme et menace de rompre le front avec une avancée de 50 km des 17e, 2e et 18e armées allemandes. La brèche est contenue par les troupes françaises de réserve… et ralentie par l’aviation alliée qui attaque au sol les colonnes allemandes avec tout ce qu’elle a. La Royal Air Force, créée durant la bataille par la fusion du RFC et du RNAS, va y employer toutes ses escadrilles de “Camel” équipés de bombes, qui vont de nouveau subir de lourdes pertes avec 50 pilotes tués, disparus ou capturés au mois de mars (15 % de l’effectif théorique), des pertes encore plus importantes que les pires mois de la bataille des Flandres qui n’ont été que de 34 pilotes au mois de septembre précédent. Les “Camel” représentent à cet instant un peu moins de la moitié de la chasse britannique, soit 17 escadrons de chasse à 24 appareils sur les 38 engagés en France, tandis que 11 autres volent sur SE 5a, six sur Bristol F2B biplaces, trois sur Sopwith “Dolphin” et un sur Nieuport 27.
Immédiatement après l’offensive Michael, les Allemands attaquent le 9 avril dans les Flandres (offensive Georgette) autour de la ville d’Ypres, sur le terrain même gagné par les Britanniques deux mois plus tôt, lesquels parviendront à les contenir avec l’aide de troupes françaises. Les “Camel” sont de nouveau sollicités pour attaquer les troupes ennemies sorties des tranchées à la bombe ou à la mitrailleuse, et vont subir un nouveau mois de pertes proche de la cinquantaine de pilotes. Ce niveau de
Mes mitrailleuses se sont enrayées. Une seule chose à faire : grimper dans les nuages
pertes sera à peine inférieur les deux mois suivants quand la RAF va prêter main-forte à l’aviation française qui tient le choc face aux offensives allemandes Blucher-Yorck (fin mai) et Gneisenau ( juin).
Septembre noir pour la Royal Air Force
Le pire reste cependant à subir avec les offensives alliées lancées à compter du mois d’août, lors desquelles les “Camel” font de l’appui sol leur rôle pratiquement exclusif : les pertes viennent encore à doubler avec 93 pilotes de “Camel” perdus au mois de septembre 1918, surnommé Black September (septembre noir) par les personnels de la Royal Air Force, et qui correspond au mois le plus meurtrier pour les aviateurs britanniques en général, même si les pertes sont tout aussi importantes en août et octobre. Appuyant au sol les attaques des soldats de l’Empire britannique, les “Camel” sont désormais clairement dépassés face aux Fokker D. VII qui deviennent majoritaires parmi les chasseurs allemands. Deux nouvelles unités, les 17th et 148th Aéro Squadrons de l’armée américaine, sont engagées au mois de juillet au combat sur Sopwith “Camel” et seront les dernières unités du front occidental à en être équipées. Leurs pertes seront très lourdes – 19 pilotes perdus en quatre mois d’opérations pour le 17th Aéro Squadron sur un effectif de 24 pilotes, huit pour le 148th engagé plus tard. Le témoignage d’un de leurs pilotes, le 1st lt Elliott White Springs, est révélateur de l’emploi du “Camel” dans les derniers mois de la guerre. Engagé dans l’armée britannique et pilote de SE 5a au Sqn 85, il est muté au 148th Aéro Squadron, qui se forme sur le terrain de petite Synthe, au mois de juillet 1918.
“Je suis venu sur place et j’ai découvert qu’ils allaient nous faire voler sur Sopwith “Camel”, un petit biplan difficile avec un Clerget rotatif de 130 ch et deux mitrailleuses Vickers tirant à travers l’hélice. Ils pouvaient faire du 145 km/ h en ligne droite mais vous ne pouviez en fait jamais voler ainsi, vous deviez grimper ou piquer. Mais ils étaient capables de voler à l’envers et tourner dans une cage d’escalier. Ils ne montaient plus au-dessus de 4 500 m et perdaient 300 m dans un virage ; ils étaient redoutables en dessous de 1 500 m si vous arriviez à prendre les Fokker à cette altitude. (…) Un “Camel” était désavantagé au début d’un combat quand l’altitude était primordiale, mais en combat tournoyant à basse altitude plus rien ne pouvait le contrer. Si les Fokker n’arrivaient pas à les descendre lors de leur premier piqué, ils les laissaient souvent sur place pour ne s’en prendre qu’aux isolés des formations. Un “Camel” pouvait ridiculiser un SE 5 ou un Fokker au niveau de la cime des arbres, mais il ne pouvait pas grimper ni piquer. Ses mitrailleuses avaient une portée pratique de 100 m, au-delà on gaspillait trop de balles en raison des vibrations du moteur.”
Tout le problème des pilotes de “Camel” est qu’aucun Fokker ne se hasarde à rester se faire ridiculiser dans un combat tournoyant à basse altitude : la chasse ennemie est toujours plus haut et ne les attaque effectivement qu’en réalisant des passes de tir en profitant de leur vitesse.
L’avion le plus abattu du front occidental
Les exemples se multiplient d’escadrilles entières de Sopwith “Camel” (théoriquement huit appareils) anéanties lors d’un combat. Le 8 août 1918, lors de l’offensive britannique sur la Somme, huit Fokker D.VII tombent à 11 h 20 sur une escadrille du Sqn 201 à Harbonnières sur la rive sud de la rivière : six Sopwith “Camel” sont abattus, un pilote est tué et cinq autres capturés. Le même jour, sept “Camel” d’une escadrille du Sqn 209 sont criblés de balles par une formation ennemie et deux pilotes perdus, tandis qu’au Sqn 65, huit appareils sont touchés, causant la perte de deux pilotes et faisant deux blessés. On peut citer d’autres exemples, comme à l’aube du 4 septembre 1918 lorsque aucun appareil d’une escadrille du Sqn 70 ne rentre à sa base : partis pour une patrouille à l’est de la ville de Douai, ils sont attaqués par des Fokker D.VII qui les descendent tous, tuant trois pilotes et entraînant la capture des cinq autres.
Quand se termine l’année 1918, les escadrilles de Sopwith “Camel” sont au sommet de la martyrologie des aviateurs alliés. Sur les 16 escadrilles de l’Empire britannique engagées en France la dernière année de la guerre, quatre ont perdu plus d’une quarantaine de pilotes au combat, sept une trentaine et cinq “seulement” une vingtaine, les meilleures étant les 201 et 208, toutes deux issues du RNAS, qui n’ont eu chacune que 18 tués, disparus ou prisonniers. Ce sont des pertes supérieures à celles subies par les moins bonnes escadrilles françaises durant la même période, nommément la SPA 77 qui en perd 14… Statistiquement, un pilote britannique de “Camel” présent dans son unité au 1er mars 1918, avant les offensives allemandes de printemps, n’a que 25 % de chances d’éviter de
mourir au combat jusqu’à l’armistice ou de finir dans un camp de prisonniers. 657 pilotes de Sopwith “Camel” sont tués ou capturés au combat en France durant toute la guerre, pour 866 appareils perdus du fait de l’ennemi, ce qui en fait l’avion de la RAF le plus descendu de la Première Guerre mondiale, en valeur absolue comme en proportion comparativement aux autres appareils engagés en nombre.
Reste la question des victoires aériennes remportées par le Sopwith “Camel”. Les 1 294 avions ennemis ne sont que des revendications et non des appareils détruits – les Allemands ne perdent d’ailleurs qu’environ 630 pilotes au combat sur la partie du front où ils affrontent les Britanniques en 1918. Et le système britannique de confirmation des victoires revendiquées est le plus laxiste des belligérants, se basant sur les simples déclarations du pilote. Les victoires accordées, qui intègrent les avions simplement mis en fuite ( out of control), sont surtout un moyen de maintenir le moral de pilotes durement éprouvés par les pertes. Il est donc impossible de dresser un véritable bilan des appareils détruits par le “Camel”, mais qui est sans aucun doute inférieur à ceux victimes des SE 5a, sans parler du Spad français en haut du palmarès : les meilleurs palmarès des pilotes de l’Empire britannique, tout aussi relatifs que puissent être leurs tableaux de chasse, sont en grande majorité des pilotes de SE 5a, bien plus performants avec leur moteur en ligne Hispano que ne l’ont été les “Camel” avec leurs moteurs rotatifs – des avions l’un et l’autre comparables respectivement au “Spitfire” et au “Hurricane” de la Deuxième Guerre mondiale.
Plus cheval de labour que pursang de course, le “Camel” va cependant éclipser le SE 5a dans la mémoire collective grâce aux oeuvres de fictions : il est l’avion de Biggles dans la bande dessinée parue durant l’entre-deux-guerres, puis après la Deuxième Guerre mondiale est la monture imaginaire du chien Snoopy dans son rêve d’affronter le Baron rouge, qui par ailleurs est abattu suite à un affrontement contre des Sopwith “Camel”, même si ceux-ci ne sont pour rien dans sa chute finale.
À l’assaut des Zeppelin sur la mer du Nord
Fait assez peu connu, les Sopwith “Camel” vont réaliser plusieurs exploits techniques dans le domaine aéronaval contre les Zeppelin allemands. Ces derniers, non contents de réaliser des raids contre les îles britanniques, font aussi des patrouilles le long de la mer du Nord et tentent de s’en prendre aux navires de la Royal Navy qui y font des patrouilles régulières. C’est pour protéger ces navires qu’une version embarquée du Sopwith “Camel”, le 2F.1, va être mise en production au début de l’année 1918. Destiné à affronter les Zeppelin, le 2F.1 est équipé d’une – quelquefois deux – mitrailleuses Lewis fixées sur l’aile supérieure et inclinable pour tirer vers le haut. Afin de faciliter son stockage sur les navires, le fuselage du 2F.1 est démontable et fixé par des ferrures situées derrière le poste de pilotage ; les câbles des commandes de queue sont désormais extérieurs au fuselage. Dernière modification, le train d’atterrissage est largable : l’appareil est destiné à décoller à partir de navires, sur des rampes de lancement installées sur une des tourelles de canons. Une quarantaine de navires de lignes en seront ainsi équipés, tout comme les huit bâtiments transporteurs d’avions qui en logent plusieurs dans leurs hangars. Les Sopwith 2F.1 sont destinés à être des consommables, car rien n’est prévu pour leur retour si ce n’est de se poser en mer (d’où le train largable) ; le pilote voire l’appareil sont repêchés par des navires d’escorte.
Les Sopwith 2F.1 vont également connaître une utilisation opérationnelle sur le premier porte-avions du monde mis en service, le HMS Furious, un navire de ligne transformé et dont le pont d’envol reste coupé par le château de commandement du navire, rendant les appontages si délicats qu’aucun ne sera tenté en opération. Opérationnel en mai 1918 après des travaux de transformation, il réalise une douzaine de patrouilles en mer du Nord au cours desquelles ses 2F.1 vont se frotter à l’aviation côtière ennemie. Leur action d’éclat se déroule incontestablement lors du raid sur la base de Zeppelin de Tondern, près de l’actuelle frontière germanodanoise. Partis à l’aube du 19 juillet 1918 en deux vagues de trois et quatre appareils équipés de bombes, les Sopwith 2F.1 se faufilent à travers les défenses ennemies et parviennent à incendier dans leurs hangars deux Zeppelin, les L 54 et L 60, ne perdant qu’un pilote noyé en mer au retour. Trois pilotes, à court de carburant, doivent se poser au Danemark neutre où ils vont être internés mais dont ils vont rapidement s’évader. Un autre Zeppelin, le L 53, est détruit le 11 août 1918 par un Sopwith 2F.1 en mer du Nord, appareil lancé selon un nouveau vecteur : une barge remorquée par un navire.
Autres cieux, autres cocardes
Les Sopwith “Camel” ont également été engagés durant la guerre par la Royal Air Force sur d’autres fronts, à commencer par le front intérieur, à défendre les îles britanniques des bombardements allemands sur Zeppelin et bombardiers Gotha. Ces raids ne provoquent que des destructions légères, voire symboliques sur l’industrie britannique,
mais en touchant les populations, ils contraignent le gouvernement britannique à mobiliser d’importants moyens militaires, qui sont autant de pilotes et d’appareils à ne pas combattre sur le front occidental.
Le “Camel” va devenir l’arme de prédilection des escadrons de Home Defence. Le premier d’entre eux, le Sqn 44, est opérationnel au mois de juillet 1917 ; il y en aura un total de 12 opérationnels à la fin de la guerre dont sept sur “Camel” (Squadrons 37, 44, 50, 61, 78, 112 et 143). Une partie d’entre eux sont modifiés pour le combat aérien nocturne, avec la dépose de leurs mitrailleuses Vickers dont le tir de nuit peut éblouir le pilote. Elles sont remplacées par deux Vickers installées sur l’aile supérieure tandis que le poste de pilotage est décalé vers l’arrière pour permettre au pilote d’y avoir accès ; les appareils ainsi modifiés seront connus sur la dénomination officieuse de Sopwith “Comic”. Ils obtiendront en tout et pour tout quatre victoires aériennes contre des bombardiers Gotha, la première d’entre elle remportée par le major Gilbert W. Murliss-Green du Sqn 44, un as ayant déjà remporté six victoires sur le front de Salonique et qui ajoute une pièce de plus à son tableau de chasse en endommageant un Gotha au-dessus de Londres dans la nuit du 18 au 19 décembre 1917, lequel s’abîme en mer lors de son vol retour.
Le commandement de la Royal Air Force considère à juste titre que les bombardiers nocturnes allemands peuvent être tout aussi efficacement combattus près de leurs bases en France et forme en juin 1918 une unité spécialisée sur “Camel”, le Sqn 151, dont le commandement est confié au maj. Murliss-Green, la
Les pilotes “descendus” par les Britanniques en aussi bonne santé que jamais !
première escadrille de l’histoire de l’aviation spécifiquement dédiée au combat nocturne. Ses pilotes revendiqueront 21 victoires, dont au moins deux d’entre elles sont incontestablement remportées contre des bombardiers géants Zeppelin-Staaken abattus dans les lignes alliées.
Des “Camel” belges et grecs
Italie, suite à la défaite de Caporetto, deux escadrons de chasse, les Squadrons 28 et 45, sont prélevés du front français et rejoints par le Sqn 66 de création récente pour renforcer l’aviation italienne durement mise à mal. Perdant respectivement dix, quatre et 18 pilotes durant leur séjour en Italie, ces unités auront des pertes bien inférieures à celles des escadrilles du front occidental, ce qui est assez logique face à une aviation austro-hongroise bien moins mordante. Mais ces pertes s’avèrent supérieures à celles des escadrilles italiennes locales équipées de Spad et Hanriot, dont les moins chanceuses perdront six pilotes durant la même période. Les revendica- tions britanniques en Italie seront tout aussi inflationnistes, au point de dépasser celles de toute la chasse italienne, pourtant forte de 22 escadrilles de 18 appareils. L’as des as italien Francesco Baracca s’en moque dans une correspondance datée du 27 avril 1918 : “Les aviateurs britanniques sont apparemment en train de descendre des avions ennemis avec la plus grande facilité, bien que nous soyons capables de vérifier que leurs opposants, au lieu de s’être écrasés, se sont en fait échappés en aussi bonne santé que jamais…”
“Camel” britanniques se battent à Salonique au sein du Sqn 150 créé en 1918 à partir des patrouilles de chasseurs des Squadrons 17 et 47. D’autres stationnés sur les îles de la mer Égée font face aux quelques avions germano-turcs surveillant les détroits ; on en trouve également parmi les forces britanniques de Mésopotamie (Irak) qui se battent contre une aviation allemande aux effectifs très réduits.
les deux escadrilles américaines sur “Camel”, deux autres nations alliées utilisent le “Camel” durant le conflit. Les Belges en re- çoivent une cinquantaine durant la guerre qui équipent leurs 9e et 11e escadrilles de chasse – dont les pilotes préfèrent voler sur le Hanriot HD 1 (lire Le Fana de l’aviation n° 579). Ils obtiennent peu de résultats comparativement à ces derniers équipés du même moteur mais aux performances supérieures. L’aviation de la marine grecque, épaulant la Royal Air Force en mer Égée, en reçoit six durant la guerre et bien d’autres après l’armistice, qui seront utilisés durant la guerre gréco-turque de 1919 à 1921 à attaquer au sol les troupes ennemies jusqu’à ce que leur usure ne les contraigne à être retirés du service.
ce temps ont lieu les dernières missions de guerre de la RAF sur Sopwith “Camel” dans la guerre civile russe, notamment au sein du Sqn 47 qui soutient les forces blanches du général Denikine dans le Sud de la Russie et dont les derniers détachements quittent le pays en 1920. C’est durant cette même année que le “Camel” est retiré du service alors que la production s’est arrêtée après 5 695 exemplaires construits, toutes versions confondues.