Pixar : joyeuse fête des Morts !
« Coco », le nouveau film des studios d’animation Disney-Pixar, sort en salles le 29 novembre. Il a pour cadre « el Día de los muertos », la fête des Morts que le Mexique célèbre chaque année en grande pompe. « Le Figaro Magazine » s’est rendu dans la pet
C’est dans le dédale des petites rues de San Miguel de Allende que nous les avons aperçus pour la première fois. Eparpillés sur les vieux pavés de cette ville historique de l’Etat de Guanajuato, dans le centre du Mexique, les pétales orangés de cempasúchil (rose d’Inde) jalonnaient les routes et les trottoirs, cerclaient les porches des maisons, ornaient les balcons et les fenêtres des bâtiments, voletaient au gré d’une douce brise qui portait à nos oreilles le son de guitares et de tambours accompagnant une lointaine parade. Au détour d’une ruelle plongée dans une pénombre vespérale, éclairée par des lampadaires et quelques bougies scintillantes dans une noirceur bleutée, le cortège se fait entrevoir. Ils sont une centaine, déambulant dans une ambiance presque spectrale. Les hommes sont vêtus de noir. Les femmes arborent des robes colorées. Tous ont leur visage grimé de blanc et de noir leur donnant l’apparence de squelette. Certains dansent au son de la musique, d’autres marchent d’un pas lent. Des adolescents traînent en bande, des enfants tirent leurs parents par la main, des couples arborent fièrement leur déguisement et se font photographier par les touristes et les badauds.
En arrivant sur la grande place du jardin Allende, la procession stoppe devant l’immense façade néogothique de la cathédrale emblématique de la cité, la parroquia de San Miguel Arcángel, illuminée de mille feux et devant laquelle les habitants ont dressé leurs ofrendas : des petits autels décorés de fresques, garnis d’offrandes et sur lesquels les photos d’êtres aimés disparus ont été accrochées. Perchées sur des échasses, d’autres silhouettes squelettiques dominent cette masse compacte où il est difficile de se mouvoir. Sur le côté, quelques-uns de ces morts-vivants tentent de corriger leur maquillage qui a bavé en raison de la chaleur qui émane encore des vieilles pierres des bâtiments.
Cette scène, qui s’est déroulée lors de la Toussaint,
semble tout à fait irréelle et digne d’un film. Cela n’a pas échappé aux responsables des studios d’animation Pixar qui ont choisi le folklore entourant cette fête des Morts annuelle pour matière première dans la conception de leur nouveau long-métrage, Coco, en salles en France le 29 novembre, réalisé par Lee Unkrich – déjà connu pour ses participations à des monuments tels que Toy Story, Monstres & Cie et
Le Monde de Nemo et Adrian Molina.
Dans ce film, le 19e depuis leur création, Pixar raconte l’histoire de Miguel, un jeune garçon épris de musique mais élevé dans une famille de cordonniers parfaitement « mélophobes ». Sa passion le poussera, le jour de la fête des →
→ Morts, à participer à une compétition musicale en dérobant la guitare d’Ernesto de la Cruz, défunte idole de Miguel et surnommé « le plus grand musicien de la terre ». Un larcin qui le projettera dans le monde des morts où le gamin sera réuni avec ses ancêtres et aura l’occasion de soigner – ou de rouvrir – de vieilles plaies familiales. Vingt-deux ans après le succès mondial de Toy Story (premier film de l’histoire entièrement conçu en images de synthèse et réalisé par l’immense John Lasseter, également au générique de Coco comme producteur exécutif), Pixar poursuit son entreprise de révolutionner le film d’animation. « Je pense qu’il n’y a plus rien que nous ne puissions faire, techniquement du moins, nous explique Adrian Molina, scénariste et coréalisateur du film, dans un vieux café du centre de San Miguel de Allende. Beaucoup de films de Pixar ont été marqués par des prouesses techniques : les fourrures des créatures de Monstres et Cie, l’univers aquatique du Monde de Nemo…
Depuis quelque temps, je pense que nous avons atteint un niveau de maîtrise qui nous permet de nous concentrer encore plus sur le coeur de ce que nous faisons : la création d’histoires qui puissent résonner en chacun de nous, que l’on soit grand ou petit. »
Dès l’ouverture de Coco, c’est pourtant bien l’immense talent des artistes de Pixar qui ne manque pas de charmer et de captiver le spectateur : le visage ridé de Mamá Coco plus vrai que nature, le majestueux pont de pétales de cempasúchil qui relie le monde des vivants à celui des morts, les créatures fantastiques et attachantes qui peuplent le royaume des esprits – représenté comme une gigantesque tour de Babel colorée, enchevêtrement de petites maisons inspirées de la ville (réelle) de Guanajuato –, les incroyables effets de lumière… sans compter l’épatante minutie des détails. Par exemple lorsqu’un personnage joue de la guitare : le mouvement de ses doigts et de ses mains sur les cordes a été reproduit à la manière de celui des humains – idem lorsqu’un autre joue des claquettes. Amusant mais inutile ? Tous ces éléments rigoureusement recréés participent pourtant d’une narration silencieuse qui fait pénétrer le spectateur au coeur du film.
Toute cette technique ne représente pourtant qu’une partie du travail des studios sur un film comme Coco. « Le projet est né en 2011, raconte Adrian Molina. Mais le “tournage” à proprement parler n’a débuté qu’il y a un an et demi… » Et avant ?
« Des recherches ! Beaucoup de recherches. Nos équipes ont sillonné le Mexique des mois entiers pour rapporter la documentation nécessaire à nos équipes créatives, témoigne celui dont l’histoire personnelle a également enrichi la conception du long-métrage. Mais c’est la rédaction d’un scénario complet qui englobe tout ce que nous voulons véhiculer qui prend le plus de temps. » En comparaison avec ces six années de gestation, la durée de production d’un film typiquement hollywoodien ne prend que vingt-quatre mois… Comme toutes les oeuvres de Pixar, et tous les bons films d’animation que l’on désigne à tort « pour les enfants »,
Coco dispose de multiples niveaux de lecture : il y en a pour tous les âges. « Mais le coeur de l’histoire, c’est l’importance de la famille, poursuit Molina. C’est un peu le thème parapluie du film en dessous duquel nous avons pu glisser d’autres idées : le sens du devoir, les sacrifices à faire pour poursuivre nos passions, le prix de la gloire… » Une pléiade de notions qui se complètent et enrichissent un scénario qui serait sans cela très simpliste et que les créateurs ont eu l’audace d’imaginer dans un univers a priori peu joyeux : celui des morts. Les règles du monde des esprits, dans Coco, ont d’ailleurs quelque chose d’effrayant : si après votre mort, vos proches ne pensent plus à vous et ne vous honorent pas lors d’el Día de los muertos en posant votre portrait sur une ofrenda, vous disparaissez – une seconde fois, et pour de bon cette fois.
« Cela fut un défi de jouer avec ces règles, explique Adrian Molina. Elles sont inspirées de la mythologie mexicaine qui considère qu’il y a trois morts : celle quand votre coeur s’arrête, une deuxième quand vous êtes enterré et une troisième lorsque personne ne se souvient de vous. » Et le talent de Pixar de se servir de ces lois pour créer des scènes d’humour aussi bien que des séquences tragiques. Une dualité que l’on retrouve d’ailleurs dans le rapport à la mort qui existe dans la culture mexicaine et que l’on peut constater lors des célébrations d’el Día de los muertos.
Le 2 novembre dernier, au cimetière de San Miguel de Allende, c’était un flux continu de familles qui, toute la journée, convoyaient vers l’entrée. Sous un soleil radieux, elles déambulaient entre les sépultures pour aller refleurir les tombes de leurs proches, participer à une grande messe en plein air, profiter des bandes de mariachis jouant sur leurs instruments des airs entraînants. A l’extérieur, les fleuristes vendaient des bouquets de cempasúchil et d’autres fleurs colorées à foison. Sauf la vision de sépultures abandonnées et tombées en décrépitude, rien n’est sordide dans ce moment célébré partout dans le Mexique. La veille, lors des parades ouvrant ces célébrations, une des très nom- →
→ breuses touristes américaines présentes pour l’occasion nous expliquait être venue exprès à ce moment de l’année : « C’est agréable – et un peu rassurant ! – de voir comment la mort est considérée ailleurs. Je ne sais pas si c’est forcément mieux que chez nous, mais ça fait réfléchir. »
Joyau architectural du Mexique, San Miguel de Allende, ville dont les fondations datent du XVIe siècle, se situe littéralement au coeur du pays et attire chaque année plusieurs millions de visiteurs. Des cités aussi authentiques, il n’en existe guère plus qu’une poignée au Mexique. Et si ses évidentes qualités esthétiques, dignes des plus belles cartes postales, ont été une mine d’inspiration pour les réalisateurs de Coco, c’est tout de même la première fois que les studios Pixar créent un univers si proche de la réalité, si identique au patrimoine culturel d’un pays entier. Peut-être Pixar fut-il encouragé par le succès phénoménal de Kung Fu Panda (des studios DreamWorks), qui chantait les louanges de la culture chinoise, et dont les trois volets ont chacun rapporté plus de 600 millions de dollars de recette ?
A ce jour, le pari de Pixar semble réussi.
Déjà sorti il y a quelques semaines au Mexique, le film a récolté plus de 27 millions de dollars en dix jours – c’est-à-dire plus que n’importe quel film d’animation dans l’histoire du pays. La presse locale félicite notamment la version espagnole de
Coco, s’étonnant qu’une société américaine ait pu retranscrire avec autant de fidélité le folklore d’el Día de los muertos. Une aubaine pour les studios, à une époque où l’industrie du cinéma américain subit bon nombre de critiques le
whitewashing (le fait de donner à des acteurs « caucasiens » des rôles de personnages d’autres origines ethniques). Reste à voir comment les autres pays accueilleront le film, mais à en croire les premières critiques diffusées sur internet, Pixar se dirige une fois de plus vers un nouveau triomphe. « Nous n’avions vraiment aucun agenda en tête quand nous avons conçu Coco, assure Adrian Molina. C’était en 2011 ! Mais c’est toujours rassurant de voir qu’une création peut résonner particulièrement dans son époque. Quant au souci du manque de diversité à Hollywood, je pense que le public a assez d’empathie pour toujours s’attacher au héros d’un film, quel qu’il soit. Alors, pourquoi ne pas en profiter ? Que ce soit un petit enfant, un jouet qui prend vie, un robot, une princesse d’Ecosse ou même un poisson, les spectateurs voudront toujours savoir ce qui lui arrive. Mais nos films n’ont pas la vocation ni la prétention de sauver le monde. » Deux décennies après la sortie de Toy Story, et après avoir connu quelques turbulences au milieu des années 2000 avant d’être sauvé par un rachat de Disney en 2006 (7,4 milliards de dollars, une vraie affaire), Pixar poursuit ce que ses fondateurs Steve Jobs, John Lasseter et Ed Catmull souhaitaient faire dès le début des années 1980 : révolutionner le cinéma d’animation et toujours repousser les limites pour atteindre l’excellence. En une heure quarante, Coco parvient à transporter son public dans un autre monde : celui de l’enchantement, du rire et de l’émotion. En bref, du divertissement de qualité, intelligible et intelligent… 100 % en images de synthèse. Ces mêmes images de synthèse qui viennent pourtant trop souvent polluer des films classiques où de « vrais » acteurs s’agitent maladroitement sur des fonds verts mal gérés et où l’organique disparaît pour laisser place au superficiel. D’où ce mystère : comment un long-métrage entièrement généré par ordinateur peut-il nous paraître plus vrai, plus authentique que d’autres productions ? « Je pense réellement que la technique n’est pas importante, témoigne Adrian Molina. Si l’on prend le temps d’écrire une histoire puissante, le public oublie les défauts visuels et se concentre pour savoir ce qui va se passer. » Un conseil que certains studios hollywoodiens seraient bien avisés de suivre…
En sortant de la salle, il y a fort à parier que bon nombre de spectateurs fredonneront frénétiquement les entêtantes chansons composées pour le film par Robert Lopez et sa femme Kristen Anderson-Lopez, déjà à l’origine du titre de La Reine des neiges, Let It Go, l’un des plus vendus de l’année 2013. Et, peut-être, comme l’espère Adrian Molina, auront-ils « envie de se reconnecter avec leurs proches. C’est le coeur de ce film. Dans les moments de doute, dans des périodes difficiles de nos vies, les premiers vers lesquels nous pouvons toujours nous tourner, ce sont les membres de notre famille. » Claro que sí ! ■