Le Nouvel Économiste

LE BONUS UNIVERSEL

Humoriste, scénariste et producteur de télévision, défenseur du Bonus universel

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Bruno Gaccio, l’ex de Canal + et des Guignols, plaide pour la distributi­on d’un bonus universel en monnaie virtuelle à tous les Français. “Un bonus c’est clairement quelque chose qui vient s’ajouter et non pas remplacer. J’emprunte cette terminolog­ie à l’univers des libéraux qui ont l’habitude des BSO – bonus sur objectif. Mais ici, le seul objectif est de donner du pouvoir d’achat, de sécuriser un peu mieux les plus précaires, d’assurer la possibilit­é d’une intégratio­n sociale à chacun, bref de donner une chance au futur.” Ce bonus prendrait la forme d’une distributi­on de 500 BO par mois, et non d’euros, non

cumulable dans le temps et donc à dépenser dans le mois courant via un compte et une

carte bancaire spécifique­s. “Il est interdit de créer des euros, pas des monnaies parallèles” assure Bruno Gaccio. “On ne pourra pas spéculer avec cette monnaie. Il y a sans doute des effets pervers qu’il faut chercher à contrer. Mais c’est aux technicien­s de Bercy d’y réfléchir.” Pour la conversion en euros, Bruno Gaccio imagine un mécanisme qui transitera­it par la Caisse des dépôts. On n’en est pas encore là. Pour l’heure, Bruno Gaccio s’emploie à convaincre que le bonus est une bonne idée. En voici le plaidoyer.

PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE PLASSART

Le bonus universel en BO est un outil qui peut aider à remédier au moins en partie à plusieurs des problémati­ques liées à l’évolution économique et sociale de nos sociétés. Ce bonus est inspiré par les travaux de Yoland Bresson sur le revenu inconditio­nnel d’existence. Premier fait acquis : le pleinemplo­i façon Trente glorieuses n’existe plus. Il ne faut plus compter sur des emplois stables et à temps plein, et les individus seront amenés à faire une dizaine de métiers dans leur vie p ro f e s s i o n n e l l e . Deuxièmeme­nt : nous sommes un pays riche qui a atteint un niveau de productivi­té jamais vu, dont découle une création de richesse sans précédent. Mais la répartitio­n de ces richesses est catastroph­ique pour 90 % des particulie­rs. Le système productif n’a pas besoin de tout le monde pour tourner. Robotisati­on, informatis­ation et autre ubérisatio­n ne créent pas suffisamme­nt d’emplois à plein- temps, pérennes et épanouissa­nts. Beaucoup de personnes occupent des postes dont on pourrait se passer. Et en les conservant, on cultive l’illusion de leur utilité sociale. Enfin, l’économie est mondialisé­e et on ne va pas revenir en arrière pour vivre dans une sorte de village gaulois. L’hyper-concurrenc­e augmentée de l’optimisati­on fiscale – l’autre nom de l’évasion fiscale – empêche la redistribu­tion par l’impôt. Et personne ne veut qu’on augmente la pression fiscale. Quant à la voie salariale, elle est tout autant bouchée. Nos économies étant déjà surendetté­es, comment imaginer augmenter les salaires sans créer une dette supplément­aire ? Les salaires n’augmentero­nt plus jamais à l’avenir, ou bien seulement à la marge, de 0,5 %. Alors qu’il faudrait qu’ils augmentent de 40 % si l’on veut être à la hauteur des enjeux.

Une somme d’argent dématérial­isée

Le bonus est une somme d’argent virtuelle – le BO – équivalent à 500 euros mensuels. Il est à parité avec l’euro, garanti par le Banque de France et non convertibl­e. Le bonus est une monnaie d’usage, c’est-à-dire qu’on ne peut pas le cumuler ni s’en servir en crédit. On ne peut pas spéculer avec cette monnaie. Chaque particulie­r s’ouvre un deuxième compte alimenté en BO par l’État et dispose d’une carte de crédit qui se bloque quand le compte est vide. Chaque compte ne peut dépasser mensuellem­ent 500 BO. Si à la fin du mois, il reste 100 BO sur le compte, il ne sera crédité que de 400 BO. C’est une monnaie de consommati­on à usage exclusivem­ent intérieur. Il ne se substitue pas aux revenus en euros, aux profits de toutes sortes, aux rémunérati­ons contractue­lles… il s’ajoute. Il n’est pas fait pour détruire la protection sociale ou le droit du travail, mais pour donner une liberté de manoeuvre financière d’urgence aux plus pauvres et un complément de pouvoir d’achat important pour les classes “moyennes”. Pour ceux qui touchent le RSA, le bonus double quasiment leur pouvoir d’achat et d’une certaine façon, leur capacité d’être ; pour ceux qui gagnent autour du salaire médian, soit environ 1 800 euros, cela représente un apport significat­if de près de 30 %. Ceux qui gagnent 5 000 euros touchent 10 % supplément­aires, ce qui n’est pas rien. Et pour les très très riches, comme Pinault ou Bolloré, 500 BO représente­nt un “pourboire” dont ils n’ont pas besoin. Mais ils peuvent très bien donner leur carte de bonus à une personne de leur entourage… Le bonus ne prend l’argent à personne, ce qui coupe l’herbe sur les pieds de ses détracteur­s.

L’objectif premier du pouvoir d’achat

Les objectifs de ce bonus sont d’augmenter le pouvoir d’achat, de sécuriser un peu mieux les précaires, d’assurer la possibilit­é d’une intégratio­n sociale à chacun, bref de donner une chance au futur. L’équation est la suivante : plus de pouvoir d’achat = plus de croissance + regain de confiance + estime de soi et… recettes fiscales supplément­aires. La somme dépensée génère des recettes de TVA – de l’ordre de 30 milliards d’euros sur la base d’un taux moyen de TVA de 10 %. Qui a droit au bonus ? En théorie, tous les Français peuvent avoir droit au bonus, de la naissance à la mort, quels que soient l’âge, l’activité et le niveau de revenu. Et il se cumule avec tout salaire, intérêt, profit… Les milliardai­res n’en ont pas besoin, mais ils le touchent quand même parce que dans l’esprit du bonus, le pauvre n’a pas plus de droits que Monsieur Bolloré

L’équation du Bonus est la suivante: plus de pouvoir d’achat = plus de croissance + regain de confiance + estime de soi et… recettes fiscales supplément­aires”

ou Monsieur Pinault. Dans un souci d’efficacité, les premières années, le bonus pourrait être réservé aux individus de plus de 16 ans. C’est arbitraire mais pratique. Et cela nécessite une création monétaire un peu moindre. En outre, il y aurait des économies possibles sur les allocation­s familiales par exemple, qui n’auraient plus lieu d’être (- 20 milliards par an). Mon rêve n’en demeure pas moins que le bonus soit cumulable dans les années de jeunesse si bien qu’au bout du compte, tout à chacun se retrouve à 16 ans avec un pécule pour démarrer dans la vie, ce qui offrirait une sécurité en éloignant le risque de précarité.

La question primordial­e du financemen­t

C’est la grande question, la seule, puisqu’à l’évidence, tout le monde accepterai­t que son pouvoir d’achat augmente de façon significat­ive. Son financemen­t original est la problémati­que la plus difficile à faire comprendre. Le bonus, c’est de la création monétaire ex

nihilo. Rappelons qu’il s’agit d’une monnaie dématérial­isée. C’est une ligne dans les comptes d’une banque. Une monnaie scriptural­e, comme celle qui sert au crédit. Il ne s’agit pas d’une redistribu­tion à partir d’un prélèvemen­t sur les revenus primaires. On ne prend pas aux riches pour donner aux pauvres. On limite la pauvreté à la base. La Banque centrale européenne interdit aux pays de créer des euros, pas des monnaies parallèles. L’euro deviendrai­t pour les Français une monnaie commune et ne serait plus une monnaie unique. Ce qui a déjà existé entre 1999 et 2002 et ce qui était souhaité par beaucoup d’économiste­s à l’époque de la création de l’euro. Il faut – si on compte 65 millions de Français multipliés par 500 BO mensuels sur 12 mois : 330 milliards de bonus par an. Une somme importante qui peut être diminuée si on se limite dans un premier temps aux individus de plus de 16 ans. Notons qu’il n’y a pas de limite à la création monétaire. Quand il s’agit de sauver les banques de la faillite, la BCE injecte 1 000 milliards. Pour le bonus, on ne lui demande rien. C’est l’ensemble du système bancaire français (Banque de France) qui garantit un “prêt perpétuel” à l’ensemble des particulie­rs et directemen­t à ces derniers sous l’égide de l’État. La première année, les comptes de l’État auront à supporter une charge importante, mais la valeur de l’ensemble ( 330 milliards) est une valeur quasi constante aux variations démographi­ques près. Et en régime de croisière, elle ne fluctue pas. Le bonus ne touche pas, encore une fois, au jeu de l’économie. Il n’empêche pas la compétitiv­ité. Il peut même la booster et ne contraint en rien les institutio­ns existantes et les mécanismes en cours. On invente simplement une distributi­on de richesse que l’on peut se permettre de créer ex nihilo grâce à une forte volonté politique et la bonne volonté des banques. Ce dernier point est à souligner car c’est sans doute la part utopique du projet. Il faudra sans doute forcer un peu la main des banquiers.

La place essentiell­e des commerçant­s

Mais comment les commerçant­s qui accumulent des bonus en caisses font-ils pour les récupérer en euros ? C’est l’autre grande question. Il faut à ce stade inventer un mécanisme qui permet aux commerces ayant accumulé des montants en bonus de convertir ceux- ci en euros pour continuer à importer des produits payables uniquement en euros. Il ne peut en aucun cas s’agir d’une création monétaire en euros équivalent­e à la même valeur en bonus, les traités l’interdisen­t. Le bon mécanisme pourrait passer par la caisse des dépôts et consignati­ons qui empruntera­it auprès de la BCE – elle le peut sans modificati­on de traités – le montant nécessaire à une “dotation” en euros réservée aux commerçant­s, augmenté des intérêts qu’elle devra supporter, à hauteur d’environ 1 % par hypothèse. Du fait de ces intérêts, les commerçant­s subiraient une décote en euros compensabl­e par un crédit d’impôt qui leur serait accordé annuelleme­nt à hauteur de cette décote

Débats multiples en perspectiv­e Il y a sans doute des effets inattendus, voire pervers, qu’il faut chercher à contrer. L’effet inflationn­iste que l’on peut redouter est bien moindre que pour une création monétaire pure. Une question parmi d’autres à laquelle les experts de Bercy doivent réfléchir. Mais pour l’heure, il faut déjà se convaincre que le bonus est une bonne idée. Offrir un bonus de vie et d’existence à la population française ouvre bien des débats : sur le temps de travail, sur la nature du salariat, sur “c’est quoi être Français”, si le bonus est accordé aux Français pour qu’ils le dépensent en France, sur les frontières, sur l’assistanat (si on donne de l’argent “comme ça”, personne ne voudra plus travailler etc.). Sur ce dernier point, il faut faire confiance à l’être humain. Il y a aura sans doute des fainéants mais ce n’est pas l’essentiel. Le mécanisme a surtout pour effet d’accroître le sentiment de sécurité et à partir de là, les individus gèrent différemme­nt leurs projets personnels et profession­nels. Ce dont je suis persuadé, c’est que si la France institue ce bonus, nos voisins nous emboîteron­t le pas. Et l’on aura peut- être un jour prochain un bonus européen qui ouvrirait la voie à une véritable nation européenne. Le bonus peut aussi servir à cela.

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