Le Point

Cinéma (Tout simplement noir) : tout simplement drôle

Lancée dans 450 salles, la comédie Tout simplement noir se moque copieuseme­nt des revendicat­ions identitair­es. Phénomène en vue ?

- PAR VICTORIA GAIRIN ET JEAN-LUC WACHTHAUSE­N

« C’est facile de militer sur les réseaux sociaux et de brosser son ego. Beaucoup moins de mettre les mains dans le cambouis. Aujourd’hui, on ne sait plus si c’est l’activisme qui nourrit la personne ou bien l’inverse. »

Le réalisateu­r, Jean-Pascal Zadi

C’ est une comédie noire. Pas un polar, pas un thriller, mais une satire avec beaucoup d’humour et d’acteurs noirs. Jean-Pascal Zadi, 39 ans, 1,96 mètre, ancien rappeur, reconnaît lui-même avoir peu de « flow » mais du flair. Son premier « vrai » film – produit et distribué par Gaumont – sort dans une actualité brûlante, alors que, depuis la mort de George Floyd aux États-Unis, la France et le monde butent sur la place des Noirs dans la société. Évidemment, au moment où les activistes antiracist­es déboulonne­nt les statues et manifesten­t par milliers, cette comédie loufoque tombe un peu trop à pic. Pas de chance pour Zadi, qui se prend en pleine figure une actualité violente pour un film qui ne la revendique pas. Tout simplement noir devait sortir mi-avril. Lorsque la première bande-annonce est diffusée, quelques jours après les Césars et le discours d’Aïssa Maïga («je ne peux pas m’empêcher de compter les Noirs »), le réalisateu­r reçoit une salve de messages : « Ouais, comme par hasard… » Deux mois et un coronaviru­s plus tard, le film refait parler de lui en pleine affaire Adama Traoré. « Et là, j’ai reçu les mêmes tweets : “Ouais, comme par hasard…” », s’amuse Jean-Pascal Zadi.

« Malheureus­ement, il y a toujours un problème de timing et j’aimerais mieux qu’il n’y ait plus d’actualité, qu’on puisse sortir un film avec des Noirs, que ça se passe normalemen­t et que les gens s’en foutent », poursuit le réalisateu­r. Y a-t-il une ou des identités noires ? Un racisme institutio­nnel ? Des Français qui auraient accès à l’emploi et d’autres non, juste en raison de leur couleur de peau? Des voix inaudibles car divisées, des violences et des contrôles policiers que rien ne semble pouvoir justifier ? Toutes ces questions, Zadi les traite à sa manière, loin du pathos et de l’idéologie, avec une autodérisi­on revigorant­e. L’histoire est celle de « JP », acteur raté joué par lui-même, qui entend lancer à Paris, en toute sincérité, une grande marche des Fiertés noires – d’abord réservée aux hommes. Au fur et à mesure de ses rencontres (Omar Sy, Fary, Lilian Thuram, Claudia Tagbo, Joey Starr, Éric Judor, Fabrice Éboué, Lucien Jean-Baptiste, Augustin Trapenard et Cyril Hanouna), JP est contraint d’ouvrir sa marche aux femmes, aux Noirs pas si noirs (la scène avec Vikash Dhorasoo est hilarante), aux Arabes (Ramzi) et aux juifs (Jonathan Cohen), incapables de trouver un terrain d’entente.

« Vérités ». Avez-vous déjà entendu parler de la « déconne bienveilla­nte» ? Et de ce truc qu’on appelle le « mokumentai­re » ? Pour savoir de quoi il s’agit, allez voir le film, dont le titre est un clin d’oeil à un groupe de hip-hop des années 1980. Zadi ne croit pas trop aux bons sentiments, encore moins au communauta­risme ou au militantis­me, dont il se moque ouvertemen­t : « C’est facile de militer sur les réseaux sociaux et de brosser son ego. Beaucoup moins de mettre les mains dans le cambouis. Aujourd’hui, on ne sait plus si c’est l’activisme qui nourrit la personne ou bien l’inverse. » À travers son antihéros qui « dit des conneries et fait tout péter », il préfère explorer les sujets, les « vérités » qui lui tiennent à coeur, avec une bonne dose de dinguerie et ce mélange explosif, sur le fil, de fiction et de réalité : le fameux « mokumentai­re » (de mockumenta­ry , en anglais, documentai­re parodique). Aucun risque, avec lui, de tomber dans le politiquem­ent correct. Zadi n’évacue aucune question : JP se permet même une (brève) incursion dans l’univers de Dieudonné – qu’il finira tout de même par fuir en détalant.

Cela ne l’empêche pas de traiter du racisme ordinaire ou de convoquer Mathieu Kassovitz dans une scène délirante de casting au cours de laquelle JP se fait mesurer les narines pour jouer un esclave dans une plantation au Congo. Scène fictive mais inspirée de faits réels. Zadi se souvient avec émotion de ces auditions où on le jugeait « assez noir » mais pas assez « racaille ». Tout est prétexte à la dérision, à la sidération et à quelques situations corrosives, notamment entre l’humoriste Fabrice Éboué et Lucien Jean-Baptiste – le réalisateu­r de La Première Étoile – qui se battent pour savoir qui est plus noir que l’autre, le premier reprochant au second de faire des films « Bounty » où des Noirs « se tapent le cul dans la neige ». Ces clichés, Zadi les met en scène pour mieux dénoncer une réalité. « Quand j’étais petit, à Bondy, raconte-t-il, les seuls Noirs connus étaient soit footballeu­rs, soit rappeurs. […] Moi je voulais faire du cinéma, mais il n’y avait aucun

modèle de réalisateu­r ou d’acteur noir. […] Pour mes parents, c’était un suicide. Ça n’existait pas.» Le cinéma, Zadi y est entré par la petite porte, s’endettant pour s’offrir sa première caméra, autoprodui­sant des petits films vendus sous le manteau et des clips de rap. On a vu quelque part qu’il a suivi le cours Simon. « Ah ah, j’y suis resté une semaine ! On devait jouer une pièce et je crevais d’envie d’être Louis XIV. Mais le prof m’a regardé de haut et m’a lancé : “Bah non, t’es pas crédible !” Je n’y ai plus jamais foutu les pieds. » Tout simplement noir est un film à tiroirs, si bien qu’on se perd parfois un peu dans les messages qu’il est censé véhiculer. Mais son auteur se défend d’intellectu­aliser la cause, laissant parfois le spectateur blanc un brin dérouté. Zadi s’en moque.

Loin de lui l’idée de faire un film de Noir pour les Noirs. « Tout le monde peut en rire, parce que c’est universel. En fait, le personnage aurait pu être chinois, juif ou rouquin, sa trajectoir­e aurait été la même. » Son rêve ? Que dans dix ans, son film soit devenu ringard et inregardab­le. Qu’on dise en l’évoquant : « Ah ouais, c’était le truc où on parlait des Noirs ? Ça craint à mort ! »

En attendant, le film appelle à une journée sans Noirs en octobre. « Caissiers, éboueurs, aides-soignants, etc. Pendant le coronaviru­s, on s’est aperçu que, sans eux, sans les Noirs, la France ne pouvait pas tourner », lâche Jean-Pascal Zadi. Lequel précise toutefois, en interview, que cet appel à ne rien faire est avant tout une blague. Jusqu’à ce que l’actualité la rattrape ?

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Autodérisi­on. Stéfi Celma et Jean-Pascal Zadi dans « Tout simplement noir ».
 ??  ?? Pastiche. Jean-Pascal Zadi en « Liberté guidant le peuple » sur l’affiche du film.
Pastiche. Jean-Pascal Zadi en « Liberté guidant le peuple » sur l’affiche du film.

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