Les Inrockuptibles

Brit mix

Entre pop, soul et r’n’b, TIRZAH est emblématiq­ue de l’ébullition qui s’est emparée de la scène britanniqu­e. Avec Devotion, elle propose un premier album aussi expériment­al qu’émouvant.

- Naomi Clément

SON LABEL NOUS A PRÉVENU : TIRZAH

EST UNE GRANDE TIMIDE. Et en effet : à l’autre bout du fil, la Londonienn­e murmure d’une voix hésitante, presque craintive, écourtant souvent son discours dans le but d’éviter toute réponse hasardeuse. “Je ne suis pas quelqu’un de très aventureux, confesse-t-elle dans un rire délicat. C’est sans doute pour cela que j’ai toujours fait de la musique avec la même personne, Micachu.”

Micachu, de son vrai nom Mica Levi, est depuis dix-sept ans sa fidèle alliée, sa productric­e attitrée. En 2013, les deux amies, qui se sont rencontrée­s à l’âge de 13 ans à la Purcell School (une école de musique située dans la périphérie de Londres où elles étudient alors la harpe et le violon), se lancent ensemble avec I’m Not Dancing, un titre pop-dance aussi euphorique que minimalist­e, qui capte rapidement l’attention du label Greco-Roman, dont l’un des cofondateu­rs est Joe Goddard de Hot Chip.

Cinq ans et deux ep plus tard, la paire est aujourd’hui de retour avec Devotion, le premier album de Tirzah Mastin, entièremen­t produit par Micachu. “J’aurais du mal à collaborer avec quelqu’un d’autre.Créer un projet avec l’une de mes meilleures amies est pour moi la meilleure façon d’exprimer ma créativité.”

Dévoilé le 10 août, Devotion est une collection de chansons façonnées au fil des ans, à l’abri d’un home studio improvisé que Tirzah partage avec son groupe d’amis dans le sud de Londres. Là, cette native de l’Essex explore ses joies et ses doutes, ses tourments et ses désillusio­ns, ses sentiments les plus confus et enfouis. “C’est un album qui parle beaucoup d’amour, un patchwork de différente­s expérience­s et relations que mes amis ou moi-même avons vécues.”

Sur Gladly, le premier single issu de ce disque, la jeune trentenair­e évoque les joies que procure une relation amoureuse épanouie, exposant au passage sa voix et son lyrisme soul, inspirés par des chanteurs tels que Al Green, Barry White ou D’Angelo. “Je les ai beaucoup écoutés dans ma jeunesse, au même titre que des gens comme Lauryn Hill ou les Destiny’s Child”, précise cette enfant des années 1980.

Souvent décrite comme de la pop DIY, la musique de Tirzah porte en elle quelque chose de résolument soul, voire, par moments, de r’n’b. Sur Go Now ou Say When, elle décortique le thème de la romance avec une vulnérabil­ité et une mélancolie qui rappellent l’ADN de ces genres musicaux. “Je ne sais pas comment expliquer l’origine de cette mélancolie, parce que je ne pense vraiment pas être une personne mélancoliq­ue au quotidien, murmure-t-elle. Mais il y a sans doute une différence entre la façon dont je m’exprime à travers la musique, et celle que j’applique dans la vie de tous les jours. Les canaux doivent s’emmêler, à un moment !” (rires)

Coincée quelque part entre pop, soul et r’n’b, Tirzah propose avec Devotion une oeuvre qui participe au renouvelle­ment actuel de la scène UK, contribuan­t un peu plus à faire tomber les barrières entre les genres. “Il se passe énormément de choses en Angleterre en ce moment, mais je me sens souvent en dehors de la boucle. J’ai l’impression de vivre dans une cave par moments, et je crains parfois que mon emploi de designer ne m’écarte un peu de tout ce qu’il se passe en termes de musique.”

Diplômée de la London College of Fashion, cette touche-à-tout passionnée, dont les centres d’intérêt naviguent entre musique, arts et mode, occupe depuis plusieurs années, en parallèle de ses projets musicaux, un poste de designer dans une agence d’impression. “Enfin, je viens de faire une pause, parce que j’ai eu une petite fille ! Mais j’ai toujours aimé cet équilibre entre mon travail de tous les jours et la musique. Je ne veux pas que cela devienne quelque chose de trop sérieux.”

Désormais maman d’un premier album, Tirzah continue de percevoir la musique comme un moyen d’expression pur et sincère, qui se doit d’être dégagé des pressions exercées par les rouages de l’industrie. Et lorsqu’on lui demande si elle pourrait un jour en faire une carrière à temps plein, la jeune femme, d’une voix plus affirmée qu’au début de notre échange, répond : “Pour le moment, je suis très satisfaite de cette situation. Je sais qu’il y a énormément de gens qui sont très heureux d’avoir fait de la musique leur carrière principale ; mais en ce qui me concerne, je préfère avoir le choix.”

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Devotion (Greco-Roman Records)

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