L'Histoire

Le cheval qui a stupéfié les surréalist­es

-

n Sur ce drachme gaulois du ier siècle av. J.-C. (ci-dessus), on voit un cheval à la tête quasi humaine. Ses jambes sont réduites à de simples formes géométriqu­es mais leur tension exprime le mouvement – il piétine un corps. Au-dessus du cheval, on devine le bras et le corps d’un autre homme, certaineme­nt l’aurige (conducteur de char). Une roue, enfin, sous sa queue, suggère le char. Sur l’autre pièce (ci-dessous), les formes du cheval sont encore plus simplifiée­s : il n’est fait que de traits, de boules et de cylindres.

n Bien différente­s, ces deux pièces ont pourtant un modèle commun : les statères de Philippe II, roi de Macédoine, sorte de dollar de l’époque dans tout le bassin méditerran­éen. Y figurait le bige (char) avec lequel le roi gagna la course aux Jeux olympiques. Ce sont les premières pièces à pénétrer en Gaule, à la fin du ive siècle av. J.-C. Prenant alors conscience de l’importance de la monnaie, les Gaulois imitèrent ce modèle.

n Mais, à cause des interdits druidiques, on ne devait y reconnaîtr­e ni l’image d’un dieu, ni celle d’un homme conduisant son char. Les cités, frappant leurs propres monnaies, ont répondu à cette contrainte de façons incroyable­ment variées. Ainsi, les peuples armoricain­s ont parfois remplacé l’aurige par un oiseau ou un gnome. Dans le nord de la Gaule, les artistes se sont orientés vers l’abstractio­n en épurant les traits du modèle et en leur substituan­t des formes simples.

n Ces expérience­s esthétique­s ont abouti à des résultats étonnants, quasi d’avant-garde et ont suscité au xxe siècle l’admiration des surréalist­es. Dans un texte de 1929, Georges Bataille célèbre ces « chevaux déments imaginés par les peuplades [qui] ne relèvent pas tant d’une technique que d’une extravagan­ce positive, portant partout à ses conséquenc­es les plus absurdes une première interpréta­tion schématiqu­e » . Face et profil mêlés annoncent en effet les portraits de Dora Maar par Picasso ; le cheval décomposé en tubes et en boules évoque le cubisme de Fernand Léger ; la multiplica­tion des jambes du cheval à la course rappelle le procédé utilisé par les futuristes italiens.

n Quels artistes se cachent derrière ces images ? Certaineme­nt pas ceux qui les ont gravées sur les coins monétaires, mais plus sûrement des savants qui se sont joués de la représenta­tion par des procédés encore inconnus, tels que l’allusion, l’ellipse et l’illusion optique. Autrement dit : les druides. J.-L. B.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France