Odin, dieu poète et guerrier
Odin était d’apparence si belle et si magnifique quand il siégeait avec ses amis que cela réjouissait tous les coeurs. […] Il connaissait les artifices pour changer de teint et de forme comme il le voulait. […] Tous ses propos étaient rimés et allitérés, comme dans ce qu’on appelle maintenant la poésie. Lui et ses grands prêtres sont appelés forgerons de poèmes, car cet art commença avec eux dans les pays du Nord. Odin savait faire de telle sorte que, dans la bataille, ses ennemis devenaient aveugles ou sourds ou remplis de crainte, que leurs armes ne mordaient pas plus que des baguettes, mais ses hommes à lui allaient sans armure, enragés comme des chiens ou des loups, mordant leurs boucliers, forts comme des ours ou des taureaux. Ils tuaient les gens mais eux, ni fer ni feu ne les navrait. C’est ce que l’on appelle la fureur des berserkir [des guerriers-fauves réputés surpuissants].” R. Boyer (éd. et trad.), L’edda poétique, Fayard, 1992, p. 603.
Dans l’étude des croyances nordiques, on a souvent privilégié, et exagéré, la relation aux dieux, aux dépens du lien avec le royaume plus ordinaire des forces et des esprits environnants, qui passait non par un culte mais par la magie. Celle-ci et la sorcellerie étaient utilisées pour tenter d’obliger les puissances surnaturelles à intervenir dans le monde des hommes. Plusieurs sortes de magie étaient pratiquées par des gens différents à des fins variées. On trouve dans les sagas et la poésie près de 40 termes pour désigner des sorciers et sorcières !
La magie qui revient le plus dans les sources, exercée surtout par des femmes, est le seidr, qui vise à influencer le destin par des pratiques qui relèvent parfois de la transe. Il y avait aussi, par exemple, le galdr, qui prenait la forme d’une incantation chantée sur un registre très aigu. Chacune remplissait des fonctions spécifiques mais qui se recoupaient partiellement, et leurs sorts pouvaient être combinés pour une meilleure efficacité. La magie était un domaine très majoritairement féminin même si l’on raconte aussi que quelques sorciers, bien que marginalisés, étaient investis d’un pouvoir tout à fait singulier et terrifiant.
Nous disposons de quelques sources pour connaître la vision du corps humain développée par les Scandinaves. Chaque individu était composé d’une enveloppe extérieure, le hamr (« forme » ou « coquille »), contenant le hugr, son essence ou esprit ; chacun avait en outre un hamingja, une sorte d’esprit résidant dans le corps mais qui pouvait aussi se mouvoir indépendamment, et qui pouvait même être vu par les personnes possédant le don de le voir. Le hamingja de quelqu’un était la personnification de sa chance, très importante dans la société nordique, et pouvait abandonner son hôte dans des circonstances extrêmes. Tout le monde avait également un fylgja (au pluriel fylgjur), littéralement « celui qui suit » (souvent rendu par « double fantomatique » ou « ectoplasme »), esprit à la fonction protectrice qui apparaît en rêve pour avertir d’un danger ou donner un conseil. Les fylgjur étaient toujours de sexe féminin, même pour les hommes, et se transmettaient au sein de la famille. En Islande, beaucoup croient toujours à l’existence de ces êtres, et ils sont parmi les aspects les plus durables de la spiritualité scandinave de l’ère viking.
Nous ne savons pas très bien quelle vie après la mort s’imaginaient les Scandinaves. Un des neuf mondes est un enfer, appelé Hel, que l’on peut raisonnablement rapprocher de son équivalent chrétien. Il semble accueillir la plupart des simples mortels, sans distinction entre des « bons » et des « méchants » ; les guerriers élus seraient eux accueillis au Walhalla, aux côtés des dieux. Dans tous les cas, il semble que le passage de la vie à la mort soit conçu comme un voyage vers un autre endroit que Midgard.
L’héritage de ces croyances traditionnelles est encore bien vivant : les dieux nordiques sont réadaptés en BD, en comics, en films – comme le dernier- né des studios Marvel, Thor : Ragnarok – ou en marques. La toponymie du nord-ouest de l’europe en est aussi truffée. De façon similaire, il est impossible de voyager à travers les paysages scandinaves sans être pris dans le monde empirique des tumulus et autres monuments qui se rencontrent par milliers. Que de telles survivances coexistent intimement avec les églises médiévales, qui sont des trésors architecturaux du Nord, dans des communautés riches de leur folklore semi-païen, témoigne de l’imbrication entre croyances et pratiques dans les mondes scandinaves. n